In Sciences Humaines – Mai 2012 :
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>> Des journées trop chargées
« Je ne tiens plus le rythme, je suis épuisée quand je rentre. Avec la fatigue, mes devoirs sont un peu bâclés. Et en cours, c’est pareil, il y a l’après-midi, avec des matières du genre maths, français, anglais, où l’on a du mal à rester concentré. » Ce témoignage d’une élève de troisième n’est qu’un exemple parmi d’autres des nombreuses doléances recueillies sur Internet (1) à l’occasion de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires lancée par l’Éducation nationale. Outre les 15 000 messages reçus sur la Toile, de multiples auditions ont été menées par le comité de pilotage, qui vient de rendre son prérapport.
Ce sujet n’est pas nouveau : il revient régulièrement sur le devant de la scène, du rapport Debré-Douady de 1962 qui dénonce la fatigue des écoliers jusqu’à celui de la mission parlementaire d’information sur les rythmes scolaires en décembre dernier (2). Depuis les années 1980, le développement des travaux sur la chronobiologie et la chronopsychologie pèse de plus en plus dans le débat. Selon les scientifiques, les rythmes de l’enfant et ceux de l’école française ne sont pas en harmonie. Il est vrai que la France se distingue à tous les niveaux de l’organisation :
• La journée des écoliers (de 8 h 30 à 16 h 30) y est la plus longue d’Europe avec 6 heures de cours dans le primaire. Une lourdeur critiquée par l’OCDE (3). Dans le secondaire, des options se greffent à l’enseignement obligatoire. À ce planning s’ajoutent le transport et les devoirs une fois à la maison – officiellement interdits dans le premier degré (4)… Sur le site Internet de la Conférence nationale, nombreux sont les parents qui déplorent les journées à rallonge de leurs enfants. Stéphanie, par exemple, raconte : « Ma fille se lève à 6 h du matin pour prendre le bus à 7 h 15 et le soir arrive à la maison à 18 h. Elle goûte puis se met aux devoirs. Parfois à 21 h, elle n’a pas fini, mais il faut dîner, puis la douche et au lit, il est déjà 22 h 15. Je trouve cela très fatigant pour des jeunes d’à peine 12 ans. »
• La semaine de quatre jours, instaurée en 2008, fait également figure de bizarrerie française. Au total, la durée de la semaine atteint 24 heures en primaire, auxquelles s’ajoutent 2 heures d’aide personnalisée pour les élèves en difficulté (contre 26 heures pour tous auparavant), entre 25 et 28 heures au collège, entre 30 et 40 heures au lycée selon la série et les options.
• Autre singularité hexagonale, l’année scolaire s’avère la plus courte des pays de l’OCDE : elle ne compte que 140 jours. Mais elle concentre l’un des plus grands nombres d’heures de classe : entre 864 heures (840 heures si l’on tient compte des jours fériés) et 1 033 heures selon l’âge des élèves, contre 608 heures en Finlande ou 620 heures en Norvège…
NOTES
(1) www.rythmes-scolaires.fr
(2) www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i3028.asp#P971_120902
(3) OCDE, « Regards sur l’éducation 2010. Les indicateurs de l’OCDE ». Disponible sur le site de l’OCDE
(4) Les devoirs écrits sont officiellement interdits à l’école primaire (circulaire du 23 novembre 1956), mais cette règle est, à la demande des parents, depuis toujours transgressée par les enseignants.
>> Quels sont les intérêts en présence ?
L’organisation du temps scolaire a toujours répondu davantage à des intérêts sociaux et économiques qu’aux besoins des élèves. Au début du XXe siècle, le calendrier scolaire s’est calé sur les rythmes agricoles en prolongeant les vacances d’été. Dans un pays alors majoritairement rural, les enfants représentaient une main-d’œuvre importante lors des moissons et des vendanges. La semaine d’école, d’une durée de 5 jours, laissait alors un jour de congé et un jour pour l’éducation religieuse. Dans les années 1960, les enjeux économiques liés au développement du tourisme ont commencé à influencer les dates des vacances. La création de deux zones géographiques puis de trois en 1972 a permis d’étaler les congés d’hiver et de printemps. Une mesure qui répondait tout à la fois aux attentes des familles, des stations touristiques et de la sécurité routière. L’instauration de la semaine de 4 jours répondait, elle, aux évolutions de notre société. Avec les 35 heures, les familles accordent davantage d’importance aux week-ends. Les parents divorcés peuvent aussi profiter de leurs enfants un week-end entier.
Les familles, les enseignants, mais aussi l’industrie du tourisme pèsent donc toujours sur le débat, indépendamment des élèves. Les collectivités locales ont elles aussi leur mot à dire car elles gèrent la majeure partie des activités périscolaires (cantines, centres de loisirs…). Reflet de cette pluralité, le comité de pilotage de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires comporte des profils variés : experts de l’éducation, scientifiques, représentants du secteur touristique ou de la culture. Mais curieusement, il ne compte ni enseignants ni parents d’élèves. Ils ont juste été auditionnés. Une manière de réfléchir à froid ?
Officiellement, les fédérations de parents d’élèves et les syndicats se déclarent favorables au changement, dans l’intérêt de l’enfant. La FCPE est montée au créneau pour réclamer une semaine de 4,5 jours. Côté enseignants, la FSU reconnaît « la nécessité d’améliorer les rythmes de vie et de travail des élèves dans la perspective d’une meilleure réussite de tous ». Cependant, sur le terrain, la réalité semble bien différente. Alors que la rue de Grenelle a opéré un revirement en encourageant dans sa circulaire de rentrée les conseils d’école à revenir à la semaine de 4,5 jours, certaines villes qui souhaitaient opter pour l’école le mercredi matin se sont heurtées à un refus. Parents et enseignants ont préféré la maintenir, estimant parfois que le repos du mercredi matin est profitable aux enfants, ce que démentent les recherches sur le sujet.
Du côté des collectivités locales, l’Association des maires des grandes villes (AMGVF) – qui compte 95 communes de plus de 100 000 habitants – se déclare favorable aux 4,5 jours et demi. Mais si on allège les journées scolaires, les collectivités devront prendre en charge le temps libéré. Elles craignent non sans raison un alourdissement de leurs charges. Pas question que « cette nouvelle réforme repose entièrement sur le budget des collectivités locales », a averti Michel Destot, maire de Grenoble et président de l’AMGVF. Le risque est aussi d’aboutir à un traitement inégalitaire des activités périscolaires, en fonction des ressources des collectivités.
>> Quelle organisation optimale ?
Depuis de nombreuses années, les spécialistes des rythmes de l’enfant en France diffusent leurs recherches. Les ouvrages sur le sujet ne manquent pas (1) et aboutissent à des conclusions convergentes. Au niveau européen, une synthèse d’études (2) a ainsi confirmé des résultats maintenant solides. Les chronobiologistes et les chronopsychologues s’accordent sur le fait que, dans la journée, deux moments s’avèrent difficiles pour l’enfant tant d’un point de vue physiologique que psychologique : le début de la matinée et le début de l’après-midi. L’activité intellectuelle et la vigilance des enfants progressent du début jusqu’à la fin de la matinée, s’abaissent après le déjeuner, puis progressent à nouveau au cours de l’après-midi. La priorité devrait donc être d’alléger la journée, avec une rentrée en classe plus tardive le matin (après un temps d’accueil pour démarrer en douceur) et moins d’heures d’enseignement journalier. Pour les plus jeunes (de la maternelle jusqu’au CE1), une journée plus courte s’impose. La reprise de l’après-midi ne devrait être occupée que par des activités qui les sollicitent peu, à caractère ludique par exemple. Des cours peuvent être menés l’après-midi pour les plus âgés du primaire, mais après 14 h 30.
Quant aux vacances, selon les spécialistes, celles-ci doivent durer deux semaines au minimum pour générer des effets bénéfiques, et ce quels que soient leur lieu et leur type. Or aujourd’hui, les congés de la Toussaint ne comptent que dix jours, alors que cette période se révèle particulièrement difficile pour les enfants (tout comme la fin février-début mars). Les scientifiques recommandent le principe du « 7-2 » : un rythme du type sept semaines de cours suivies de deux semaines de repos.
NOTES
(1) Voir Hubert Montagner, Les Rythmes de l’enfant et de l’adolescent. Ces jeunes en mal de temps et d’espace, Stock, 1990, Georges Fotinos et François Testu, Aménager le temps scolaire, Hachette, 1996, François Testu, Chronopsychologie et rythmes scolaires, 4e éd., Masson, 2000, ou François Testu et Roger Fontaine, L’Enfant et ses rythmes : pourquoi il faut changer l’école, Calmann-Lévy, 2001.
(2) Hubert Montagner et François Testu, « Rythmicités biologiques, comportementales et intellectuelles de l’élève au cours de la journée scolaire », Pathologie et biologie, vol. XLIV, n° 6, 1996.
>> Haro sur la semaine de quatre jours !
En 2010, pas moins de 4 rapports ont réclamé l’abandon de la semaine de 4 jours. L’Académie de médecine (1) s’est attaquée la première au sujet, suivie par la Cour des comptes (2) et l’institut Montaigne (3). La mission parlementaire d’information sur les rythmes scolaires (4) leur a emboîté le pas, allant jusqu’à préconiser une interdiction : « La portée politique et symbolique d’une telle décision serait importante. Elle manifesterait clairement la volonté des pouvoirs publics de placer l’intérêt de l’enfant au centre de la nouvelle organisation du temps scolaire en allant au-delà des intérêts acquis. »
Sans ambages, tous ces rapports reprennent les arguments martelés depuis des années par les spécialistes des rythmes de l’enfant. Pourquoi cette organisation est-elle jugée néfaste ? En résumé, elle provoque des ruptures de rythme chez l’écolier et cause de la fatigue (5). Du fait des couchers plus tardifs lors de ces coupures, elle retarde l’horloge biologique. Le lundi et le jeudi, l’enfant subit un décalage horaire : se lever à 7 h équivaut, pour lui, à un réveil à 5 ou 6 h du matin. De surcroît, il accuse un manque de sommeil. Car s’il se couche plus tard le mardi ou la veille du week-end, il ne se lève pas forcément plus tard le lendemain… Les scientifiques recommandent donc une semaine de 4,5 jours (voire de 5 jours). Cependant, réimposer le samedi matin scolarisé paraît périlleux, face à l’adhésion de la majorité de la population au week-end « libéré »… La balance penche donc vers le mercredi matin scolarisé.
NOTES
(1) www.academie-medecine.fr/detailPublication.cfm?idRub=26&idLigne=1768
(2) www.ccomptes.fr/fr/CC/Publications-RPT.html
(3) www.institutmontaigne.org/vaincre-l-echec-a-l-ecole-primaire-3179.html
(4) www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i3028.asp#P971_120902
(5) Antoine Bourillon, « L’enfant fatigué et l’école », La Revue du praticien, vol. LVIII, n° 7, 2008.
>> Le rythme scolaire influence-t-il la réussite ?
Comptant un tiers d’heures d’enseignement de moins que la France, la Finlande décroche toujours de très bons scores aux tests Pisa de l’OCDE (qui évaluent les compétences des élèves de 15 ans en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en culture scientifique). Notre pays obtient, lui, des résultats moyens… Une preuve que le volume horaire global ne joue pas sur la réussite des élèves. Question aménagement du temps, des chercheurs ont tenté d’évaluer les effets de différentes organisations sur les performances des enfants. Leur constat : les capacités de mémorisation sont meilleures après un week-end de 1,5 jour qu’après une coupure de 2 jours. Mais en termes de progrès scolaires, aucune différence notable n’a été relevée entre la semaine de 4 jours et celle de 5 jours (entre le CE2 et la sixième) (1).
C’est plutôt du côté du comportement que l’écart apparaît, selon une étude portant sur un dispositif expérimental menée en zep (2) : lorsque l’emploi du temps est respectueux des rythmes de l’enfant, avec des activités périscolaires, les élèves font preuve d’attitudes plus stables, d’une écoute et d’une attention plus soutenues. Cet aménagement favorise leur épanouissement physique et psychique, ce qui ne peut que faciliter les apprentissages…
NOTES
(1) Nicole Devolvé et Benoît Jeunier, « Effets de la durée du week-end sur l’état cognitif de l’élève en classe au cours du lundi », Revue française de pédagogie, n° 126, janvier 1999, Nicole Devolvé et W. Davila, « Effets de la semaine de classe de quatre jours sur l’élève. Les rythmes scolaires en Europe », Enfance, n° 5, 1994.
(2) René Clarisse, Baptiste Janvier et François Testu, « L’aménagement du temps des enfants », disponible sur www.inrp.fr/primaire/monographies/amenag.htm