PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In La revue internationale de l’éducation familiale Numéro 27, 2010 :

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La revue internationale de l’éducation familiale

Numéro 27, 2010

Éditée par L’Harmatan

 Les relations familles – professionnels.

Un partenariat obligé

  Présentation du dossier

Les relations parents-professionnels dans le cadre de la co-éducation

Michèle Guigue[1]

   Être parent, c’est élever ses enfants, les éduquer, les accompagner de nombreuses années. Cependant les parents ne sont pas, n’ont jamais été, les seuls éducateurs de leurs enfants. Dans un texte fondateur, Éducation et sociologie, Durkheim (1973) définissait l’éducation comme l’action que « les adultes exercent sur les plus jeunes ». Cette formulation met en évidence la transmission d’une génération à une autre, autrement dit la différence d’âges, d’expériences et de connaissances. Toutefois, dans leurs tâches éducatives, les parents ne sont plus seulement en relation avec leur enfant et avec des personnes de leur voisinage et de leur entourage familial, c’est-à-dire des gens somme toute « ordinaires », ils sont désormais en relation avec de nombreux « professionnels » adossés à des institutions qui s’inscrivent dans le champ de la scolarisation, de l’animation et de la prévention, du socio-éducatif et du médico-social.

Néanmoins, pendant longtemps, l’intervention de professionnels ne signifiait pas pour autant qu’il y avait des interactions entre ces différentes instances éducatives. Jusque dans les années 70-80, Donzelot (2009, p. 44), parmi d’autres, souligne que « les institutions constituaient autant de sanctuaires dont les membres ne rendaient compte qu’à eux-mêmes » En effet, les parents étaient seulement les destinataires, on pourrait tout aussi bien dire les objets, de prescriptions et d’injonctions diverses, depuis celles des enseignants qui s’adressaient à eux en tant que parent d’élève, jusqu’à celles des travailleurs sociaux qui touchaient à la protection de l’enfance. Les parents n’étaient pas des partenaires, ils étaient tenus à l’écart de la réflexion sur les objectifs, les démarches, les prises de décision. Même s’ils étaient critiqués, ils étaient marginalisés, plus ou moins ignorés, dans une sorte d’extériorité distante.

C’est au cours des années 90 qu’émergent les discours sur la « co-éducation » (Durning, 1998). Avec les évolutions juridiques, les parents sont devenus membres d’une communauté éducative large et complexe. Une place leur est reconnue qui en fait des partenaires à part entière à associer au fonctionnement des institutions et aux actions des professionnels (Barbe, 2007). Les deux logiques éducatives, familiale et scolaire, qui se développaient séparément, convergentes ou non, sont amenées à se rencontrer. Non seulement les parents peuvent, mais, bien plus, ils doivent participer.

Cette évolution qui fait, en principe, des parents des acteurs des décisions et des pratiques qui les concernent et qui concernent leurs enfants contribuent au « déclin de l’institution » auquel Dubet (2002)[2] consacre l’un de ses ouvrages. En effet, les valeurs, les normes et les pratiques de chaque institution ne s’imposent plus sans négociation ou ajustement dans la mesure où les usagers, ici les parents, ont leur mot à dire et des attentes à faire valoir. De ce point de vue, du fait de l’ouverture de cet espace des possibles et de ces interactions, il y a adaptations des normes, au cas par cas, d’une façon pour ceux-ci et d’une autre pour ceux-là. Autant dire que les normes fluctuent et, par conséquent, s’affaiblissent. On peut alors s’interroger : cet affaiblissement a-t-il pour contrepartie un accroissement de l’autorité parentale ? Certes, d’un point de vue distancié, qu’il soit à tonalité philosophique, politique ou éthique, il est incontestable que la reconnaissance nouvelle de cette place et du pouvoir qui s’ensuit peut conduire à « une lecture démocratique du partenariat en éducation » comme la propose Maubant (2008). Néanmoins, si l’on passe du niveau des principes, généraux et généreux, à celui des conditions de réalisation de ce partenariat, la situation devient plus complexe et ambiguë. Les dimensions organisationnelles qui constituent la toile de fond de cette participation et les composantes interpersonnelles du face-à-face pèsent lourdement dans la structuration de ces nouvelles relations.

Les quatre articles réunis dans ce numéro concernent cet aspect spécifique qu’est la mise en œuvre de la co-éducation. Même dans ce cadre limité, sur un thème potentiellement aussi vaste que celui des relations parents-professionnels, ils ne constituent que des balises orientées selon les deux axes repérés, l’un à dominante organisationnelle, l’autre à dominante interpersonnelle.

Les contributions de Gilles Monceau et de Chiara Sita présentent des recherches centrées sur la conduite de démarches conjointes s’apparentant à des approches écosystémiques. Les parents y sont identifiés par ce statut, indépendamment de leur(s) enfant(s). Ces recherches, articulées à des cadres institutionnels divers, les uns en région parisienne orientés sur la parentalité, les autres en Italie orientés sur leur professionnalisation, montrent combien, à cette échelle organisationnelle, les initiatives et les modalités de coopération des professionnels et des parents sont variables et, surtout, fluctuent avec le temps.

Les contributions de Michèle Guigue et Bernadette Tillard et de Jean-Sébastien Eideliman présentent des recherches portant sur des situations délicates qui se structurent autour d’un enfant en difficulté ou dit « handicapé ». Les parents sont reconnus par rapport à leur propre enfant : Nordine, Frédy,… ou encore Adrien. Dans ce contexte problématique, la diversité des relations parents-professionnels s’amplifie et leurs enjeux, tant émotionnels que stratégiques, s’intensifient. Les relations entre les parents qui éduquent au quotidien et les professionnels qui travaillent à éduquer sont alors extrêmement diverses : retrait, culpabilité et rancœur, coopération discrète ou dévouée.

Des fils rouges traversent l’ensemble de ces contributions, dont voici quelques uns.

Les interactions avec les professionnels font partie des tâches parentales, elles sont même devenues essentielles pour conforter leur propre autorité et l’image construite à leur sujet. L’école, point de passage obligé, s’avère de ce point de vue un lieu particulièrement sensible (Kherroubi, 2008). Ses professionnels se répartissent des fonctions diversifiées : instruire, éduquer, cultiver, socialiser, contrôler, conseiller, soigner, orienter… tout à la fois découpés et rassemblés selon des configurations professionnelles spécifiques qui se compliquent au fur et à mesure des changements, de la maternelle au lycée. Les notes et les relevés des absences donnent à voir, régulièrement et répétitivement, les performances et les défaillances, non seulement de l’élève, mais de ses parents : s’occupent-ils de l’enfant pour assurer sa ponctualité et son assiduité, pour accompagner ses apprentissages ? Les occasions de contacts sont nombreuses, tout d’abord à l’entrée ou à la sortie de l’école, plus tard, tout au moins administrativement, par téléphone et par courrier. Gilles Monceau met en évidence l’activité des directeurs d’école pour aménager leur environnement, en sollicitant la participation de tel ou tel parent, tandis que les associations d’éducation populaire développent des stratégies de formation et de soutien collectives.

Les positions respectives des parents et des professionnels n’en restent pas moins profondément inégalitaires. Tout d’abord, les organisations éducatives sont composées majoritairement de spécialistes. Il n’est donc pas simple de faire entendre sa voix de parent dans des instances collectives. Bien plus, les professionnels ne sont pas équivalents : les statuts et les rôles sont distribués selon une division du travail complexe et hiérarchisée, difficilement saisissable, voire radicalement incompréhensible pour ceux de l’extérieur. Comment la mère de Nordine peut-elle interpréter le refus brutal du principal du collège d’inscrire son fils dans son établissement, devant une commission de professionnels, cela en présence de l’éducateur qui, comme elle, croyait cette réintégration acquise, s’interrogent Michèle Guigue et Bernadette Tillard.

À cet aspect numérique s’ajoutent d’autres caractéristiques renforçant une structure relationnelle qui suscite inévitablement de la domination. Le statut professionnel s’acquiert, on pourrait même dire se conquiert, par une formation, un diplôme, une embauche, un titre, une position dans une organisation institutionnelle. La formation assure la construction de compétences qui permettent de tenir son rôle et d’assumer son identité en « jouant le jeu », selon une expression courante en sociologie. Les professionnels bénéficient donc d’une légitimité et d’un pouvoir que leur expérience renforce. La mère d’Adrien témoigne de sa disqualification par l’institutrice de son fils : en tant qu’enseignante spécialisée, elle connaît « tous les handicaps », il n’y a donc « rien à lui expliquer ! ». Ce garçon n’est qu’un cas particulier rentrant dans une catégorie bien identifiée et Jean-Sébastien Eideliman souligne que la mère est renvoyée à la solitude de ses tentatives de compréhension et à sa culpabilité.

Ces analyses semblent esquisser une approche assez pessimiste des ouvertures amorcées par la co-éducation. Il faut reconnaître que la situation française est marquée par une histoire de la scolarisation construite sur une opposition famille-école très forte, au nom de principes universalistes. Si un constat s’impose : être parent suppose d’avoir (un ou) des enfants, que ceux-ci soient le pivot de la relation parents-professionnels, dans le cas d’interactions individualisées ou qu’ils soient, en quelque sorte, dans les coulisses dans le cas de dispositifs collectifs, les parents peuvent être aussi, par ailleurs, des professionnels. Cette conjonction est d’autant moins anodine qu’elle les situe à proximité de l’école, ainsi il est établi, répétitivement par les recherches en sociologie, que les carrières scolaires des enfants dont les parents sont enseignants sont plus réussies, voire plus brillantes. Cette conjonction n’est, certes, pas toujours aussi favorable, l’activité professionnelle ne met pas à l’abri de situations de domination comme cela est manifeste pour Nadine Gatineau (J.-S. Eideliman). Toutefois, on peut penser que les stratégies de promotion parentale, notamment maternelle, étudiées par Chiara Sita, avec en toile de fond l’institutionnalisation des assistantes maternelles, contribue à tracer un cheminement d’émancipation.

L’exercice de la parentalité se trouve aux prises, d’une part, avec une idéologie contemporaine de professionnalisation et l’omniprésence de discours sur les compétences et, d’autre part, avec des groupes cherchant à préserver leur position et bénéficiant pour cela de leur insertion dans des organisations structurées et reconnues. De leur côté, les parents sont d’autant plus isolés autour de leur enfant que celui-ci pose problème et qu’ils appartiennent à des milieux sociaux défavorisés. Aussi, au delà des valeurs et des principes, la co-éducation implique, pour se développer sans faux-semblant, de prendre en compte les conditions pratiques de sa mise en œuvre dans un contexte socio-historique et institutionnel qui résiste. L’accroissement de l’autorité parentale, acquise juridiquement, en principe, reste souvent à établir dans les faits. Dans cette perspective, les recherches présentées dans ce numéro visent à contribuer à une meilleure connaissance des difficultés et des craintes que suscitent, pour les uns et pour les autres, le développement des relations parents-professionnels. Elles remettent en cause les stéréotypes qui gravitent  autour de « la démission des parents » et suggèrent que ces derniers adhèrent dans l’ombre ou souhaiteraient pouvoir adhérer sans que ce soit aussi pénible.

Références bibliographiques

Barbe, L. (2007). L’usager un nouvel organisateur de la professionnalité, In D. Fablet (coord.), Les professionnels de l’intervention socio-éducative. Modèles de référence et analyses de pratiques (pp. 149-163). Paris : L’Harmattan.

Donzelot, J. (1977). La police des familles. Paris : Éditions de Minuit.

Donzelot J. (2009). A quoi sert la sociologie ? A propos du Travail des sociétés, de François Dubet, Esprit, 8-9, Août-Septembre, pp. 40-49.

Dubet, F. (2002). Le déclin de l’institution. Paris : Seuil.

Durkheim, É. (1973). Éducation et sociologie. Paris : PUF

Durning, P. (dir.) (1998). Le partage de l’action éducative entre parents et professionnels. Relevé des travaux en langue française sur la coéducation des enfants et propositions de recherche à développer, publication du Ministère de la justice, CNFE-PJJ.

Guigue, M. (dir.) (2008). Des jeunes de 14 à 16 ans « incasables » ? Itinéraires d’élèves aux marges du collège, Rapport à destination de l’Observatoire national de l’enfance en danger (http://www.oned.gouv.fr).

Maubant, P. (2008). Pour une lecture démocratique du partenariat en éducation. La revue internationale de l’éducation familiale, 24, 137-153.

Kherroubi, M. (dir.) (2008). Des parents dans l’école. Ramonville Saint-Agne : Érès.

 

 


[1] Professeur, Sciences de l’éducation, Proféor-CIREL, Université Charles de Gaulle – Lille 3.

[2] Les institutions ne bénéficient plus d’une sorte d’extra-territorialité qui les protégeraient du monde et de ses désordres, ce ne sont plus des « sanctuaires ». 25 ans après Donzelot (1977) dans La police des familles, Dubet fait des constats similaires.

 

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