Compte-rendu de la séance du mardi 6 mai 2004 :
– Les politiques d’éducation compensatoire en France, Grande-Bretagne et aux Etats-Unis –
Denis Meuret, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Bourgogne et chercheur à l’Iredu-CNRS.
La notion de discrimination positive recouvre plusieurs sens. On peut en effet ranger sous ce nom aussi bien de politiques de type que des politiques d’éducation compensatoires, qui visent à améliorer l’éducation offerte dans les zones défavorisées, voire dans un sens très large du mot, toutes les politiques destinées aux élèves en difficulté, y compris la plus pratiquée d’entre elles, le redoublement. Cet exposé parle de l’éducation compensatoire, c’est-à -dire des politiques qui consistent à renforcer l’action éducative et les ressources dont elle dispose dans des zones socialement défavorisées. Il s’agit, si l’on veut, de politiques de discrimination positive, mais à bien distinguer des politiques de type « affirmative action » qui consistent à affaiblir les barrières pour certaines populations défavorisées tandis que les politiques d’éducation compensatoire visent, si l’on peut dire, à améliorer le niveau scolaire des ces populations.
En France, il s’agit de la politique des ZEP ; au Royaume Uni, des Education Action Zones et « Excellence in the cities » ; aux USA, des politiques fédérales dites « title 1 » dont la dernière forme est organisée par la loi « Non child left behind »
I. En France, l’expérience des ZEP donne des résultats décevants
En 1997, 15% des élèves de collèges publics étaient scolarisés en ZEP, avec l’extension des REP (voir plus loin), aujourd’hui, autour de 20% des collégiens.
Toujours en 1997, les classes des collèges de ZEP comptaient en moyenne 2 élèves de moins qu’ailleurs. C’est le résultat d’un processus très progressif.
En 1990, un élève de ZEP coûte 5% de plus qu’un autre en heures d’enseignement, venant pour les trois quart des primes des enseignants (laquelle n’a cependant pas réussi à les stabiliser). L’ensemble des moyens supplémentaires – y compris les postes ou heures d’enseignement – mis à la disposition des établissements ZEP représentaient en 98-99 400 millions d’euros, auxquels il faut ajouter 100 millions d’euros pour les primes ZEP versées aux personnels.
I.1. Un objectif tant scolaire que culturel
A la différence des politiques anglo-saxonnes, plus résolument orientées vers la réussite scolaire dans les discipline fondamentales, les politiques françaises de discrimination positive ne visent pas seulement la réussite scolaire (œ les exigences sont les mêmes qu’ailleurs ), mais également un objectif qu’on peut appeler de œ civilisation (apprendre la citoyenneté, langue française bien maîtrisée par tous)
I.2. Un système modifié par la circulaire 99 007 du 20 janvier 1999
Cette circulaire relance les ZEP en :
– Encourageant les activités d’excellence (sport, art, culture, sciences…) afin de œ conforter l’identité de ces établissements , l’objectif sous-jacent étant de promouvoir une éducation égale pour tous partout (premier paragraphe de la circulaire), quels que soient le lieu donné et l’environnement social de l’établissement.
– Instituant les REP, conçus pour exister à l’intérieur des ZEP comme des petits réseaux de quelques établissements œ permettant un pilotage de proximité . Il s’agissait -du moins sur le papier- de créer des œ ZEP à taille humaine , d’un projet pour concentrer les aides.
Dans les faits cependant, ces REP sont devenus des œ ZEP lights , des zones où les problèmes sont un peu moins graves et les moyens alloués un peu moins importants, utilisés parfois comme un dispositif de sortie du statut de ZEP ;
– Instaurant un « contrat de réussite » entre la ZEP et les autorités académiques. Ce contrat fixe des objectifs à atteindre, des priorités à défendre, avec une évaluation réalisée régulièrement sur ces critères. Dans les faits, les critères retenus pour les évaluations sont souvent trop généraux pour quantifier précisément le degré de réussite des établissements classés en ZEP
– Incitant à la création des Contrats Educatifs Locaux dans lesquels Etat et ville, ministère de l ˜Education Nationale et de Jeunesse et Spots s’engagent à promouvoir un projet éducatif concerté pour la ville en question.
Cette circulaire défend aussi très fortement le développement de la œ médiation , par exemple entre les écoles primaires et les collèges, avec des emplois-jeunes qui doivent aussi travailler à améliorer les relations entre les élèves, les parents et le personnel éducatif.
I.3. Les évaluations récentes montrent que les politiques de discrimination positive en France donnent des résultats mitigés.
En France, les évaluations menées sur les ZEP sont pour le moins mitigées.
Denis Meuret (Revue Française de Pédagogie, n° 109, 1994) suit une cohorte d’élèves pendant les deux premières années du collège. Sous contrôle du niveau initial des élèves et des autres prédicteurs classiques de la réussite scolaire (origine sociale, nationalité, etc.) les élèves réussissent moins bien en ZEP qu’ailleurs en français et en maths. Plus ils sont œ défavorisés plus l’écart est grand. Ceci dit, l’étude ne conclut pas que, sans la politique ZEP, cet écart aurait été moins grand. Elle montre que la politique ZEP n’a pas réussi à annuler, pour les populations défavorisées, l’effet négatif propre lié au cumul des handicaps dans certaines zones.
L’étude de Benabou, Kramarz et Prost porte aussi sur le collège – et il faut noter que les principales évaluations ont porté sur le collège alors que la politique ZEP est sans doute plus active en primaire- compare avant et après la réforme de 1999 l’orientation des élèves avant et après leur classement en ZEP. Elle permet donc mieux que la précédente d’évaluer les effets de la politique ZEP et pas seulement le fait de faire sa scolarité en ZEP.
Cette étude montre que les collèges ZEP sont évités par les familles aisées, (et ce dès avant le passage de l’établissement en ZEP). Mais une fois qu’elles y sont, les familles ne fuient plus ces collèges. Cette étude montre également que l’appartenance à une ZEP a un effet non significatif sur l’évolution de la réussite des élèves, que ce soit pour l’accès en quatrième générale, en seconde ou pour l’obtention d’un diplôme (dont le baccalauréat).
II. L’expérience anglaise des programmes EAZ (Education Action Zones) et EiC (Excellence in Cities)
Dans les années 60 existaient seulement quelques Education Priority Areas (EPA) dont la mise en place avait été beaucoup moins volontariste que celle des ZEP françaises de 1981. Les politiques d’éducation compensatoire en Grande Bretagne datent ainsi essentiellement de la période blairiste avec les EAZ et les EiC, dispositifs créés après 1997.
II.1. Les EAZ : un dispositif temporaire avec obligation de résultats
Le système anglais de discrimination positive en matière scolaire offre une philosophie différente du modèle français : il ne s’agit pas d’aider les établissements parce qu’ils ont des difficultés mais d’aider les établissements en difficulté qui veulent s’en sortir en se fixant des objectifs précis. Le système anglais exige ainsi bien davantage une obligation de résultats précis avec des critères bien définis de réussite des élèves dans les matières de base alors que le système français ne propose de fait que des objectifs non quantifiables. Par exemple, les élèves des EAZ sont évalués en fin d’année, alors que les élèves de ZEP le sont en début d’année. En fonction des résultats obtenus, les EAZ doivent réussir à augmenter leurs performances sur des critères quantitatifs précis (par exemple plus 20% de réussite des élèves en deux ans) alors que les ZEP ne doivent poursuivre que des objectifs généraux (augmenter le niveau des élèves).
Les établissements qui se portent candidats doivent proposer un projet concerté avec des entreprises locales, des associations, des parents. Ce projet doit proposer les objectifs de l’EAZ, et les moyens par lesquels il se propose de les atteindre. Le projet est ensuite examiné au ministère et s’il est satisfaisant, la zone concernée reçoit de l’argent.
L’EAZ est administré par un forum dans lequel siègent une ou deux personnes par école de la zone, mais aussi des représentants des entreprises locales. Les craintes de voir les entreprises mécènes dominer ces forums se sont la plupart du temps avérées infondées. Ces forums peuvent embaucher du personnel, qui sert comme personnel d’appui aux écoles.
Le forum a une large marge de manœuvre dans la conduite de la politique de l’EAZ, si ce dernier va mal, il peut même aller jusqu’Ã prendre la décision de l’administrer directement.
Les objectifs assignés aux EAZ sont :
– d’améliorer les compétences en anglais et en mathématiques ,
– de donner aux meilleurs élèves les moyens de poursuivre une scolarité d’excellence,
– d’augmenter les taux de réussite au GCSE,
– et de maintenir à l’école le plus grand nombre d’élèves de plus de 16 ans, notamment en leur donnant des bourses pour qu’ils soient présents, sans obligation aucune de résultats scolaires.
Une autre différence fondamentale entre les systèmes britannique et français consiste dans le fait que le passage en EAZ est provisoire : à l’origine du projet, les établissements concernés pouvaient profiter 3 ans de ce dispositif (il s’agissait de œ booster ces écoles pour les faire rejoindre le tronc commun au bout de ces trois années), ce dispositif a été ensuite allongé à 5 ans (jusqu’en 2003), alors que la durée du dispositif ZEP n’est pas indiquée dans le système français.
Au bout de ces cinq années, les établissements deviennent soit des œ Excellence Cluster (établissements d’excellence en milieu populaire) s’ils ont atteint leurs objectifs, ou s’intègrent aux EiC dans le cas contraire. Dans ce deuxième cas, les établissements concernés perdent les aides supplémentaires qu’ils possédaient et entrent dans le dispositif général d’aide aux zones scolaires défavorisées.
Une dernière différence est l’aspect bien plus concentré des aides : les EAZ sont au nombre de 73 en 2003 et représentent 2 à 3% des élèves, alors que les ZEP sont à la même époque environ 800 et représentent entre 15 et 20% des élèves. Chaque EAZ regroupe 15 à 25 écoles.
En 2000, une évaluation nationale permet de quantifier l’efficacité du dispositif EAZ. Entre 1998 et 2000, l’augmentation de la réussite scolaire à 7 ans (KS1) en EAZ est deux fois supérieure à la moyenne nationale ; On retrouve une augmentation supérieure à l’augmentation nationale à 11 ans (KS2), mais les résultats sont moins nets à 14 ans. En 2001, l’accroissement du taux d’élèves réussissant bien le GCSE est également deux fois supérieur à l’accroissement national. Ces chiffres, même s’ils recouvrent des réalités très différentes d’un établissement à un autre, indiquent une certaine efficacité des EAZ.
I.2. Les EiC sont créés sur des critères de pauvreté
Les EiC sont décidées par les LEA( les administrations locales de l’éducation), sur la base de critères de pauvreté. A la différence des EAZ, il n’y a pas d’examen de candidatures d’établissements.
600 écoles secondaires sont concernées par ce dispositif, qui leur offre 350 millions de livres.
Les EiC agissent par trois principaux modes d’action :
– les cities learning centers
– les learning mentors : des adultes qui travaillent pour aider les enfants les plus en difficulté. On leur attribue la responsabilité d’un petit nombre d’élèves, ils doivent veiller à ce qu’ils viennent à l’école, les aider dans leur travail et plus généralement à réussir à l’école. On peut noter la différence avec les emplois-jeunes en France qui faisaient surtout œuvre de médiation.
– les programmes d’aide pour les meilleurs élèves, notamment avec des cours d’été ou des programmes de familiarisation avec les universités.
III. La discrimination positive aux Etats-Unis
Toutes les mesures d’affirmative action sont laissées de côté, l’exposé s’attachant en effet dans cette partie à présenter les mesures américaines de discrimination positive (dans le sens des ZEP françaises).
III.1. Une politique d’éducation compensatoire plusieurs fois réformée depuis les années 60
La politique scolaire de discrimination positive porte le titre de Title One, car elle constitue le premier paragraphe de la loi de Johnson sur la grande pauvreté. Le gouvernement fédéral envoyait de l’argent aux Etats qui le distribuaient à leur tour aux districts, qui le distribuaient ensuite aux écoles dans certaines conditions pour les élèves pauvres en difficulté. Cette politique qui fonctionnait par l’intermédiaire de milliers de programmes s’est vite révélée très décevante.
En 1994, Bill Clinton réforme Title one : les subventions ne vont plus à des programmes que les écoles implantent auprès de ceux de leurs élèves qui y sont éligibles – un type de politique dont les évaluations avaient montré l’inefficacité- , mais aux écoles elles mêmes, pour améliorer leur fonctionnement d’ensemble.
Une nouvelle réforme intervient à nouveau en 2002 avec la loi No Child Left Behind (NCLB), soutenue à la fois par les démocrates et les républicains. Cette loi accorde une hausse des ressources fédérales pour Title One de 18,6 à 22,1 milliards de dollars par an à partir de cette date pour l’éducation compensatoire.
Cette loi de janvier 2002 préconise de mieux former les enseignants des écoles de Title One, cette meilleure formation étant une condition pour continuer à recevoir des ressources fédérales accordées dans le cadre de NCLB.
Cette loi cible aussi son action sur l’anglais et les mathématiques. Elle donne aussi de l’argent pour mettre en place des programmes d’apprentissage de la lecture aux parents, ainsi que des cours du soir ou d’été pour les élèves.
Elle accorde des crédits aux œ charters schools qui sont des écoles financées exclusivement sur fonds publics, évaluées tous les 3 ou 5 ans et qui doivent fermer si les évaluations des élèves sont mauvaises.
III.2. Des résultats évalués et sanctionnés chaque année
Tous les élèves de tous les groupes doivent avoir en 2014 atteint un niveau satisfaisant en anglais et en mathématiques. L’année de base est 2003. Quel que soit le niveau de base des Noirs, des Blancs, des Asiatiques, des Handicapés…, chacun doit arriver à un niveau à la fin de la période. L’équité est ainsi visée en même temps que l’efficacité.
Si dans une école ou un district, un groupe n’atteint pas les objectifs, c’est comme si aucun ne l’avait atteint. Si l’école échoue deux ans de suite, il y a d’abord un droit de fuite, les parents peuvent aller dans une autre école, l’école de départ devant les aider dans leurs démarches pour trouver une autre école, le district payant le transport. L’école doit aussi mettre en place un school improvement, plan qu’elle doit soumettre au district.
Si au bout de quatre ans, l’école échoue encore, l’école doit remplacer son personnel, revoir son programme d’études, diminuer l’autorité du chef d’établissement et le remplacer par un conseiller extérieur et augmenter la durée journalière et annuelle de la scolarité.
Au bout de cinq années, l’école est prise en charge directement par l’Etat et est convertie en charter school, et donc destinée à disparaître si elle n’améliore pas ses résultats.
Il faut noter que ces évaluations ne se font pas, en tous cas pas exclusivement, sur la base de QCM. Il s’agit de voir si les élèves sont capables de maîtriser des concepts et ensuite de les appliquer. Les résultats des tests sont ensuite communiqués aux parents et aux éducateurs, leur valeur moyenne pour les différents groupes est mise en ligne. De fait, toutes les écoles des EU, et pas seulement les plus défavorisées, pratiquent ces tests et les mettent dans la présentation des établissements.
III.3 Une politique qui favorise la responsabilité
L’intervention de l’Etat fédéral consiste ainsi à fixer des buts, organiser des évaluations et donner des incitations (une incitation majeure est l’autonomie, puisque l’intervention administrative est inversement proportionnelle au succès de l’établissement) et des ressources.
La philosophie de cette politique repose sur le fait qu’un service est dû aux élèves, que tous doivent atteindre un niveau minimal. La responsabilité des parents est également encouragée avec le droit de fuite ou la possibilité de se former eux mêmes.