In UdemNouvelles – le 11 mars 2013 :
Accéder au site source de notre article.
Certains parents sont déstabilisés devant la tristesse de leur enfant. Ils minimiseront cette émotion, paniqueront devant leur incapacité à aider leur progéniture ou encore auront recours à la punition. Ces comportements pourraient entrainer chez l’enfant des attitudes négatives par rapport à la tristesse qui, à l’âge adulte, joueraient un rôle dans la manifestation de symptômes dépressifs. Ce sont les conclusions d’une étude exploratoire menée par des chercheurs du Département de psychologie de l’Université de Montréal.
L’équipe a demandé à 140 étudiants de premier cycle de remplir trois questionnaires, le premier évaluant la socialisation des émotions – les agissements des parents à l’égard des sentiments de leurs enfants –, le deuxième les attitudes devant la tristesse et le dernier les symptômes de dépression.
Quatre attitudes liées à la tristesse se sont révélées significatives: la perception de la tristesse comme étant une plainte, la colère envers soi-même d’être dans un état de tristesse, la crainte d’être rejeté si l’on est triste et la peur de l’état auquel la tristesse pourrait conduire.
«Plus les étudiants disaient avoir ces attitudes négatives face à la tristesse, plus il était probable qu’ils aient vécu une socialisation parentale des émotions non soutenante, comme la punition ou l’indifférence, et plus ils rapportaient de symptômes dépressifs», indique Marie-Ève Boucher, première auteure de l’étude publiée dans la Revue européenne de psychologie appliquée.
Selon la doctorante en psychologie, cette étude serait la première à examiner le lien entre la socialisation parentale des émotions des enfants et la dépression à l’âge adulte. «Jusqu’à présent, la science s’est surtout penchée sur les méta-émotions des parents, c’est-à-dire les pensées associées aux émotions, et comment celles-ci déterminent leur comportement envers les émotions de leurs enfants», remarque-t-elle.
La tristesse, une émotion salvatrice
Les gros chagrins ne sont pas agréables à vivre, mais ils sont essentiels à la psyché humaine. «La tristesse est une émotion adaptative, explique Marie-Ève Boucher. Elle aide à accepter les pertes vécues au quotidien. Elle permet d’être plus calme et introspectif. Ce ralentissement général donne le temps d’intégrer la perte. Par la suite, l’énergie revient et la vie peut reprendre son cours.»
Mais les attitudes négatives à l’égard de la tristesse freinent ce processus. C’est ainsi que s’installe peu à peu la dépression. «Selon la théorie de mon directeur de recherche, le professeur Serge Lecours, ainsi que de nombreux autres auteurs, la dépression serait une expression pathologique de la tristesse, poursuit l’étudiante. Prenons la colère par rapport à la tristesse. Lorsqu’un parent punit son enfant parce qu’il a de la peine, il amène ce dernier à retourner sa détresse contre lui-même en se fâchant, voire parfois en s’automutilant. Cette façon de faire lui permet de réguler ces émotions négatives. La colère donne à ces individus l’impression d’avoir du pouvoir sur leurs émotions. Mais en même temps, elle inhibe la tristesse, empêchant celle-ci d’effectuer son travail de réparation, ce qui peut conduire à la dépression.»
Marie-Ève Boucher croit que la socialisation parentale des émotions devrait être abordée par les psychothérapeutes dans leur pratique. «C’est un chemin qui demeure peu exploré jusqu’à maintenant, affirme-t-elle. Pourtant, si l’on a affaire à un patient qui gère mal ses émotions, ce serait pertinent de l’amener à révéler son passé familial afin de vérifier si son attitude a pu être façonnée par l’indifférence de ses parents relativement à ses émotions par exemple.»
Idéalement, tout parent devrait être suffisamment à l’aise avec la tristesse de son enfant pour savoir l’accueillir et en discuter. «Mais ce n’est pas toujours le cas, reconnait la doctorante. L’enfant se tourne généralement vers son père ou sa mère pour savoir comment réagir à une situation. Il apprend par modelage. Si l’on ne sait pas comment gérer sa peine, mieux vaut diriger son enfant vers un autre adulte de confiance avec qui il pourra parler librement.»
Marie Lambert-Chan