PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Contribution au débat sur l’Ecole, de Jean-François VINCENT, Président de l’Office Central de la Coopération à l’Ecole

|La définition des missions de l’Ecole, essentielle à la construction d’un projet éducatif cohérent, doit s’articuler autour :
de la question des « contenus culturels d’éducation et de formation » et leur acquisition, dans la problématique de « l’éducation durant toute la vie » ;
de la construction de projets personnels de réussite ;
de l’éducation à la solidarité.
Mais l’Ecole de la République, n’est actuellement pas prête à relever ces défis pour des raisons qui tiennent à la fois à la définition des contenus d’enseignement et à la façon dont ceux ci sont transmis.
La question «éducative» doit trouver dans les missions de l’Ecole et dans les pratiques professionnelles des enseignants la place centrale que les « spécialistes du savoir » ont toujours refusé de lui donner. C’est un enjeu majeur pour une Ecole du XXIème siècle au service de la construction d’une humanité solidaire.|

Le débat public sur l’Ecole représente un enjeu de société majeur et les déclarations des plus hautes autorités de l’Etat le concernant soulignent toutes son importance. Mais le balayage « fermé » des échanges autour de vingt-deux questions, s’il peut se comprendre dans l’optique de la synthèse nationale ultérieure qui sera effectuée, relativise de fait, l’importance de certaines d’entre elles pourtant essentielles. C’est regrettable pour la cohérence globale du projet à construire qui devra être en corrélation avec les enjeux d’une société complexe, ouverte et incertaine.
Ce débat n’a de sens en effet que s’il envisage la question de l’Ecole dans une large réflexion prospective envisageant les problèmes politiques, sociaux, économiques, techniques et écologiques auxquels les Français, les Européens, et d’une façon générale les sociétés occidentales, auront à faire face dans les années à venir.

Les questions concernant les missions de l’Ecole, se situent en introduction du « guide du débat public », et devraient amener à définir un projet clair et ambitieux répondant à cette question « quelle Ecole pour quelle humanité au XXIème siècle ? » . Mais le fait que la seule question sur « les missions de l’Ecole à l’heure de l’Europe » se trouve noyée parmi deux dizaines d’autres interrogations, lui fait perdre le caractère déterminant qu’elle devrait avoir dans le débat et fait craindre qu’elle ne soit abordée que de façon superficielle ou qu’elle ne suscite au mieux (ou au pire) qu’une unanimité de surface autour de quelques grandes idées généreuses

Trois questions constitutives d’un nouveau projet pour l’Ecole du XXIème siècle devraient, à mon sens guider les échanges : « Comment l’Ecole peut elle construire une culture commune permettant à chaque citoyen de se former durant toute sa vie ? » ; « Comment l’Ecole peut elle amener chaque élève à construire un projet personnel de réussite? » ; « Comment éduquer à l’Ecole, les citoyens de demain aux enjeux auxquels l’ensemble de l’humanité sera confronté dans les décennies à venir ? »

La question des « contenus culturels d’éducation et de formation » et leur acquisition, ne peut être envisagée dans le seul cadre de l’Ecole c’est à dire durant la seule période de scolarisation. Elle est à situer dans la problématique beaucoup plus large de « l’éducation durant toute la vie ».
L’Ecole ne représente plus en effet, depuis de nombreuses années, l’unique source et le seul moment d’éducation et de formation de la majorité des citoyens et toutes les études prospectives mettent clairement en évidence que les citoyens devront consacrer de nombreuses périodes de leur vie à des temps de retour en formation de plus en plus long.

Autant que d’une quantité définie et limitée de connaissances indispensables pour le développement de l’autonomie intellectuelle, l’Ecole du XXIème siècle devra doter les citoyens des savoir-être, savoir-faire, compétences méthodologiques, techniques…, qui leur seront nécessaires dans la perspective d’une formation continue.

Or, l’Ecole de la République, dans ses programmes, dans ces dispositifs de certification, dans ses enseignements, n’est actuellement pas prête à relever ce défi pour des raisons qui tiennent à la fois à la définition des contenus d’enseignement et à la façon dont ceux ci sont transmis.
De la maternelle à l’Université, l’Ecole se focalise sur les seuls savoirs « théoriques disciplinaires » au détriment des compétences technologiques, méthodologiques, relationnelles, sociales, culturelles, créatrices ou « manuelles »…, jamais prises en compte dans les dispositifs d’orientation et de ce fait, fortement déconsidérées par les enseignants, les familles et les élèves eux mêmes.

Cette survalorisation de ce que les psychologues appellent, « l’intelligence cognitive » trouve son explication dans le poids de la « culture savante » dans la construction de l’Ecole. Cette réalité qui induit une « réussite » scolaire socialement discriminée, est d’autant plus dramatique qu’elle semble naturelle à l’ensemble des citoyens (même à ceux qui en furent les victimes) et qu’il faut beaucoup de courage pour remettre en cause ou simplement questionner son bien-fondé.

Le questionnaire du débat aborde la question majeure du « socle de connaissances, de compétences, de règles et de comportements » mais les débatteurs ont-ils tous conscience que définir ce corpus nécessite d’abandonner certains éléments de la culture scolaire du passé pour faire entrer ceux indispensables aux exigences du futur… ?

Comment définir un corpus de base qui ne soit pas un corpus au rabais, mais un socle définissant les éléments essentiels d’une culture commune, permettant la diversification des parcours scolaires et professionnels ultérieurs?
Combien de résistances au nom de « l’abaissement du niveau » faudra-t-il affronter pour faire admettre cette impérieuse nécessité ?

Combien d’hypocrisies pour masquer le renoncement ?

Bien sûr les derniers Ministres ont affirmé avec force que toutes les filières scolaires devaient jouir d’une égale dignité… Mais ces déclarations sont, dans l’organisation actuelle du système scolaire, des déclarations d’une profonde démagogie. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les dispositifs d’orientation qui sélectionnent par défaut, vers l’enseignement technologique ou professionnel les élèves n’ayant pas montré une « intelligence » suffisante pour suivre un enseignement général long (bien sûr le mot d’intelligence n’est jamais utilisé… on lui préfère pudiquement celui de « niveau »).

La définition d’un socle culturel commun, adapté aux exigences de la vie dans une société fort différente de celle qui fonda l’Ecole de la République et élargi à toutes les formes « d’intelligences », de talents ou de potentialités, implique de redéfinir la place du collège au sein de la période de scolarité obligatoire, de modifier son fonctionnement qui juxtapose les enseignements et leur fait perdre leur sens, d’introduire l’enseignement de la technologie pour tous le plus tôt possible, de reconsidérer le poids respectif des disciplines…

Cet objectif essentiel de formation aux intelligences multiples pour reprendre la terminologie d’Howard Gardner, implique l’affirmation qu’à l’Ecole, la façon dont on apprend est aussi importante que ce que l’on apprend et nécessite de questionner les pratiques professionnelles des enseignants et la place réelle des enfants dans les apprentissages.
Cette question éminemment « pédagogique » doit trouver dans l’Ecole de demain, la place centrale que les « spécialistes du savoir » ont toujours refusé, jusqu’à lors, de lui reconnaître

Identifier, valoriser les potentialités de chaque élève pour lui permettre de construire son projet de réussite en développant la capacité à coopérer avec d’autres dans la résolution de problèmes complexes, doit être le second objectif de l’Ecole de la République.

Pour construire des objectifs qui dépassent largement la seule sphère cognitive, le cours magistral qui reste la norme dans de nombreuses classes, n’est certainement pas le plus adapté.

D’une façon à peine caricaturale l’enseignement est en effet aujourd’hui conçu comme un processus gradué qui remplirait les esprits vides avec des portions d’un savoir achevé, proportionnellement au temps passé sur les bancs de l’Ecole.
Plus que la compréhension, la simple mémorisation (qui se fait essentiellement à la maison, avec toutes les inégalités que cela entraîne) et la répétition, sont au cœur de cette conception descendante de l’enseignement. Cela explique la difficulté des élèves français à transférer et à réutiliser, dans des situations plus complexes et non scolaires, ce qui a été vu en cours, comme le montrent nombre d’études internationales.

L’individualisme et la compétition sont les autres caractéristiques de enseignement actuel et handicapent tout autant l’apprentissage et la compréhension.

L’Ecole a toujours fonctionné en valorisant le travail individuel, l’émulation par la compétition et le mérite personnel, renvoyant la réussite ou l’échec de chaque apprenant à sa seule volonté, à sa propre responsabilité. C’est même certainement cette suite d’épreuves, de contrôles, et de sélections, autour de connaissances vides de sens (que l’on s’empresse d’oublier aussitôt apprises), qui fait perdre le sens réel de l’apprentissage pour nombre d’élèves.

Pour apprendre les élèves doivent au contraire, prendre des risques, oser décrire leurs représentations, faire des essais et des erreurs, échanger, confronter, explorer, chercher avec d’autres et recommencer. Le développement de compétences complexes exige des contextes variés où les efforts portent davantage sur la collaboration, la recherche de solutions différentes et sur le développement de nouveaux savoirs et savoir faire.

Il est nécessaire que l’Ecole prenne enfin conscience que toutes les pratiques pédagogiques ne se valent pas pour « apprendre », que certaines sont docilisantes et construisent la « mésestime » de soi, l’individualisme, que d’autres sont au contraire socialisantes et émancipatrices et qu’elles permettent une réelle compréhension de la complexité. L’enjeu de formation professionnelle des enseignants dans le domaine pédagogique, est absolument essentiel.

Mais il ne s’agit pas seulement pour l’Ecole, de donner une formation minimale à tous les Français, et de construire une culture commune permettant aux citoyens de vivre ensemble dans un état nation qui n’existe plus. Apprendre à vivre ensemble, dans une société demain planétaire qui devra inventer de nouveaux équilibres politiques, économiques, sociaux et écologiques, est certainement l’objectif le plus important que l’Ecole du XXIème siècle devra construire.
Malheureusement, le questionnaire support des débats ne fait que survoler cette question.

Certes tous les Français vont à n’en pas douter, manifester le désir de former des citoyens instruits, autonomes, solidaires, responsables, conscients de leurs droits et respectueux de leurs devoirs. Mais là encore, la déclaration de bonnes intentions n’est pas suffisante. Il est indispensable d’affirmer que la question éducative est essentielle et que ces objectifs ne peuvent se construire au travers des seuls discours, cours ou exercices « théoriques ».

Cela nécessite de prendre conscience également que parmi l’ensemble des valeurs que l’Ecole doit construire, la solidarité devra occuper une place centrale et que pour prendre sens elle doit se trouver au cœur d’ apprentissages que l’on construit « avec les autres, par les autres, pour les autres, et non pas seul contre les autres ».

Cela doit se traduire de façon concrète par le développement de « l’apprentissage coopératif » qui implique le travail au sein de groupes hétérogènes, l’entraide, les échanges entre pairs, la mise en œuvre de projets complexes et dont les études menées ces vingt dernières années dans les domaines du rendement scolaire, du développement social et du développement affectif, ont toutes montré qu’il était plus « performant » dans les trois domaines, que les situations d’apprentissage compétitives ou individuelles (Johnson, Maruyama, Nelson et Skon en 1981, Slavin en 1990, Tardif en 1992).

Pour prendre sens la solidarité doit également se trouver au cœur de projets spécifiques abordant les problématiques du développement durable, du commerce équitable et celles concernant, d’une façon générale les équilibres sociaux, économiques, politiques et écologiques, qui seront au cœur de la société mondiale du XXIème siècle.

Cet ancrage du projet de l’Ecole dans un projet politique envisageant la construction d’une humanité solidaire et responsable ne doit pas simplement traduire une affirmation éducative généreuse. Il doit être la véritable mission que la société assigne à l’Ecole de demain et guider la réflexion de l’ensemble des autres questions en débat.

Print Friendly

Répondre