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" Extrait : Que penser alors du discours très à la mode sur la «?personnalisation?» des parcours scolaire ?
Jean-Yves Rochex. Les enfants sont certes tous différents mais je dirais, de manière provocatrice, que les élèves ne le sont pas… Une différenciation des apprentissages qui contribue effectivement à réduire les inégalités n’est pas à chercher d’abord dans les particularités individuelles infinies des enfants, sur lesquels on a d’ailleurs beaucoup de préjugés et de fantasmes, mais bien plus dans l’analyse des objets de savoir et des obstacles socio-cognitifs que leur appropriation rencontre. Nos recherches montrent ainsi qu’une large part des difficultés de certains enfants se joue dans leur aptitude à construire une posture d’étude face à leur expérience quotidienne. Ce qui est outil d’action dans la vie ou l’expérience ordinaire doit être à l’école objet de redescription, d’analyse, devenir objet de pensée. Ce qui suppose le «?loisir?» de suspendre le cours de l’expérience ordinaire, pour instaurer le temps et l’espace de l’étude, loisir étant utilisé ici au sens étymologique, du mot grec «?skholé?» qui est à l’origine de notre mot école. C’est la construction de cette posture d’étude qui fait le plus souvent problème pour les élèves en difficulté. Les modalités seraient bien sûr à spécifier selon les disciplines, les niveaux d’enseignement et les univers culturels des élèves. À l’inverse d’une telle orientation, la thématique aujourd’hui dominante de la «?personnalisation?» marque, malheureusement, le retour d’une idéologie très individualiste, voire «?innéiste?», mettant en avant la «?diversité?» des soi-disant «?talents?» – on n’ose plus parler de «?dons?» – des élèves, ou de leurs «?potentiels?», voire de leurs «?rythmes?» ou intérêts. Sous prétexte de personnalisation, revient en force une idéologie méritocratique et l’idée selon laquelle il faudrait que le système éducatif s’adapte au «?potentiel?» supposé de chaque élève, «?potentiel?» qui serait quasiment un fait de nature et non pas une construction sociale et scolaire. En décembre 2010, sur France Inter, Luc Chatel a eu ces mots très éclairants : «?Personnaliser, ça veut dire quoi, ça veut dire que dans une classe aujourd’hui, vous avez à détecter les cinq élèves qui ont du potentiel et qui doivent aller loin, qu’on doit porter le plus loin possible dans le système éducatif. Moi je crois en l’école de l’excellence, je crois au mérite républicain.?» Cette conception méritocratique et individualiste de «?l’égalité des chances?» est tout le contraire d’une politique de lutte contre les inégalités scolaires. On en voit les effets dans la reconfiguration en cours (mais initiée avec Ségolène Royal) de la politique d’éducation prioritaire visant «?l’excellence?» pour les élèves «?à potentiel?» et instaurant le renoncement ou des mesures sécuritaires pour les autres. C’est elle également qui sous-tend les discours ou les projets mettant en cause le collège unique au nom d’une «?diversification?» des parcours ou des filières dont on sait qu’elle épousera étroitement les inégalités sociales et scolaires. Si le souci des personnes que sont les élèves est évidemment nécessaire, il ne doit pas conduire à penser l’apprentissage sur le mode individuel et à méconnaître que, bien pensés, les échanges et le travail collectif entre élèves de différents niveaux sont sources d’apprentissage et de progrès pour tous. L’enjeu est donc moins d’individualiser, et encore moins de constituer des classes ou groupes de niveaux, mais bien plus de parvenir, selon les mots de Wallon, à constituer chaque classe «?en un groupe où, dans l’ordre même des études, tous soient responsables de chacun et où chacun ait des responsabilités particulières?»."