En cette période de doute sur l’Union européenne et sur les capacités des gouvernants et des élus à conduire leur pays dans l’intérêt de tous, ce livre est le bienvenu pour mettre les choses au point à partir d’une investigation rigoureuse. Il approfondit et développe les résultats de l’ouvrage précédent de l’auteur – Les inégalités entre États et populations de la planète. Trop c’est trop ! – en les recentrant sur une comparaison entre les ressortissants de l’Union européenne et un échantillon mondial représentatif.
Cette base d’acquis permet de resserrer l’argumentation sur des points essentiels et sous une forme concise facilement accessible. En moins de 200 pages, ce livre explicite clairement les concepts et méthodes de la théorie du développement humain et en quoi elle ramène les doctrines néo-libérales à ce qu’elles sont : des justifications de l’exploitation du plus grand nombre par une minorité qui détruit la planète. La croissance n’est pas nécessairement productrice de progrès, celui-ci dépend de la manière dont les richesses sont réparties et de modes de production qui ne stérilisent pas leur environnement. L’accroissement des inégalités est le risque majeur du XXIème siècle.
L’auteur fait un sort aux critiques spécifiquement françaises des travaux de portée internationale. En effet, ceux-ci reposent sur des critères indépendants des situations locales spécifiques, ce qui contribue à renforcer les chances d’objectivation, tout autant que l’indépendance plus grande des chercheurs et des moyens plus importants que ceux attribués par des recherches nationales.
En quelques pages, à l’aide de tableaux et d’encadrés, le lecteur apprend à raisonner sur les données collectées par le PNUD – Programme des Nations Unies pour le Développement, à partir de ses indices, notamment l’IDH (Indice de Développement Humain), mis au point par le Prix Nobel d’économie Amartya Sen. En l’associant au coefficient G de Gini (du nom de son concepteur), qui, pour une population donnée, constitue un indicateur des inégalités de revenus, l’auteur peut montrer, avec des chiffres précis, qu’à revenus égaux ou proches, les Etats plus égalitaires font plus et mieux, en termes de développement humain, que les États plus inégalitaires.
En outre, tout ne se joue pas que sur les différences entre pays riches et pauvres. Avec un Produit national brut inférieur à d’autres, un pays peut faire mieux tant pour la santé que pour l’éducation de ses ressortissants et, à l’inverse, dans un pays riche, une partie de la population peut vivre en dessous du seuil de pauvreté (13 % en France).
En ce sens, ce livre constitue un outil pour tous les « indignés » contre des sociétés devenues folles à poursuivre une croissance qui appauvrit l’ensemble des citoyens à qui elle devrait profiter, et, pour tous ceux qui se soucient de modes de consommation à la fois plus partagés et plus respectueux de l’environnement.
Les chapitres analysent, d’une part, les différents types d’inégalités : de revenus, dans le domaine de la vie et de la santé, d’éducation, de genre, d’autre part, les politiques des États et leurs retombées sur les populations. Le dernier, consacré à la distribution et à la redistribution et aux inégalités à l’intérieur des États, analyse les pertes de développement humain dues aux inégalités de revenus et de genre. En effet, la croissance ne se mesure pas seulement en quantités produites, mais aussi en diminution de qualité de vie et d’environnement, calcul qui manque singulièrement aux économistes néo-libéraux.
Les comparaisons sont effectuées dans chaque domaine entre les pays de l’UE membres de la zone euro, ceux hors zones euro et un échantillon témoin de 10 autres, représentatifs à l’échelle mondiale. Elles seraient très utiles à ceux qui, en France, s’intéressent actuellement aux projets territoriaux et locaux, pour analyser de manière objective leurs modes d’institutionnalisation, de fonctionnement et leurs effets escomptés et réels. Les domaines d’analyse sont les mêmes et les méthodes et outils sont utilisables à différentes échelles.
Cet ouvrage s’inscrit dans la même visée que le précédent : démonter les mythes des théories néolibérales qui veulent faire croire que la croissance produit des richesses qui se redistribuent d’elles-mêmes, aboutissant ainsi à une dérégulation des contrôles des activités financières par des instances nationales ou internationales. Il s’agit de ramener les sciences économiques à ce qu’elles devraient être : un objet au service de l’amélioration du sort des êtres humains au lieu de les considérer comme un élément de production parmi d’autres, dont le coût est sans cesse à réduire. Le grand capitalisme privilégie ainsi le profit au détriment de la rétribution du travail.
La visée supplémentaire de ce nouvel ouvrage est de faire apparaître que l’UE possède des atouts quant à l’espoir de donner une autre vision du monde.
Ainsi, le principal intérêt de ce livre, en dehors des connaissances qu’il apporte sur la France comparativement à ses partenaires européens et autres, est peut-être qu’il ouvre, dans chaque cas, des pistes de recherche pour des équipes motivées et des incitations politiques susceptibles d’être lancées par des organismes internationaux tels que l’UE. L’UE pourrait être un relais favorisant l’harmonisation des politiques nationales dans le sens d’une amélioration du développement humain sur des causes non contestables. Par exemple, même dans l’UE, certains pays ont des taux de non vaccination des enfants de moins d’un an insuffisants, supérieurs à 5% (France : 10 %), pour prévenir des complications graves comme dans le cas de la rougeole.
Si les constats sont alarmants, l’espérance est néanmoins au rendez-vous. En cette période où, d’après différentes enquêtes, les Français se montrent encore plus pessimistes que leurs partenaires européens et de l’OCDE, il peut être utile de rappeler qu’il existe de bonnes raisons de jouer la carte de l’Europe. En effet, sur toutes les dimensions, l’Europe se classe en tête et, fondée par des humanistes qui visaient à assurer la paix sur le continent, elle reste dépositaire de valeurs essentielles que les citoyens ordinaires tendent parfois à oublier pour se jeter dans les bras des héritiers du fascisme.
Voici le lien de la présentation du livre sur le site PRISME : http://www.prisme-asso.org/?p=8485