In VousNousIls – le 27 janvier 2014 :
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Le dernier numéro de la Revue internationale d’éducation de Sèvres, éditée par le CIEP (Centre international d’études pédagogiques) est consacré aux espaces scolaires, à leur architecture en France et à l’étranger. Répondent-ils aux besoins éducatifs actuels ? Quels sont les exemples à suivre ? Tour d’horizon.
Quatre murs, 65 m2 et 35 places alignées en rang d’oignons face au tableau… La salle de classe peine à se défaire de ce modèle en France et l’architecture scolaire mériterait d’être davantage considérée. C’est l’un des constats de Maurice Mazalto, ancien proviseur en Normandie, et de Luca Paltrinieri, philosophe, coordinateurs de la dernière Revue internationale d’éducation de Sèvres, présentée ce mercredi 22 janvier à la presse. Malgré l’essor du numérique et des TICE, les résistances restent vives face aux alternatives à l’enseignement frontal. Seuls les espaces périphériques (halls, cafétérias, salles de travail…) connaissent de réelles évolutions. « Il ne s’agit pas de dire que les espaces scolaires sont inadaptés en France », nuance Maurice Mazalto, « les lois de décentralisation et le transfert des responsabilités aux collectivités territoriales ont permis de faire émerger des architectes régionaux plus proches de leur environnement et plus investis dans les projets d’établissements scolaires. Les collectivités territoriales ont repris en main un patrimoine en deshérence. »
Néanmoins, des rigidités demeurent, alors même qu’il faudrait favoriser « les interactions entre l’espace et l’évolution des pédagogies ou des pratiques », note Bernard Quirot, architecte cité dans la revue. L’enjeu des espaces scolaires est d’autant plus grand qu’ils modifient les comportements et « apportent des réponses aux problèmes de violence, en favorisant le vivre ensemble », indique Maurice Mazalto.
Les limites de la transparence
Au centre du dossier : la table ronde, organisée le 25 septembre dernier au CIEP, consacrée à la situation française. Luca Paltrinieri pointe un paradoxe : « On s’aperçoit que plus l’espace scolaire est beau et moins les usagers ont tendance à se l’approprier. » « Le geste esthétique ne doit pas l’emporter sur la fonctionnalité des bâtiments », affirme Maurice Mazalto. La transparence entre les espaces est-elle la solution ? Si elle « favorise le besoin d’interaction sociale des adolescents, en maintenant les contacts visuels », selon Neda Abbasi, une chercheuse de l’Université Deakin à Melbourne, elle a aussi ses limites : « la transparence totale n’est pas synonyme de liberté et de démocratie », estime Luca Paltrinieri, « le risque est de créer une société où tout le monde surveille tout le monde ». Selon Maurice Mazalto, « la cloison n’est donc pas l’ennemie, a fortiori si elle est mobile ». Mais, comme l’a montré la réforme des rythmes scolaires dans le premier degré, ouvrir la salle de classe n’est pas chose aisée car cela revient « à permettre à l’autre de regarder son travail », ce qui génère des réticences.
Plus généralement, Maurice Mazalto rappelle que « l’élève passe beaucoup de temps à l’école, sa deuxième maison ». Par conséquent, « le principal défi est de prendre en considération l’avis de chaque usager ». La Région Ile-de-France l’a bien compris : elle a mené plusieurs concertations, depuis 2011, avec les 400 000 lycéens du public.
Des espaces ouverts en Australie
Les tentatives les plus innovantes de restructuration de l’espace scolaire se situent à l’étranger. En Australie, un coup de projecteur est donné sur quatre établissements secondaires qui ont opté pour des choix de configuration audacieux : les espaces d’apprentissage s’ouvrent, le mobilier est monté sur roulettes, les cloisons sont mobiles pour permettre davantage de flexibilité, des « quartiers » d’apprentissage sont créés et les TICE sont accessibles en tout lieu et à tout moment… A la différence de la France, « en Australie, l’impact des TICE a été pensé très en amont », remarque Luca Paltrinieri. Intervenant de la table ronde, Philippe Tournier, proviseur à Paris, insiste : « on construit toujours pour une période qui excède le temps de nos croyances pédagogiques. »
L’analyse comparée se poursuit — entre autres – au Canada où l’espace classe s’est transformé avec l’arrivée des nouvelles technologies, et au Chili, au travers d’une expérience d’autogestion communautaire d’une école, dans un contexte où la privatisation de l’éducation gagne du terrain. En Italie, les écoles de Reggio Emilia, dans le nord de la péninsule, ont été conçues comme des « espaces intentionnels », avec la volonté d’éduquer par l’espace, « en donnant la priorité aux enfants, à leurs familles et à leurs enseignants ». En Israël, une ancienne directrice d’école, aujourd’hui au ministère israélien de l’éducation, livre un regard sans concession sur les établissements scolaires de son pays, « construits à l’économie » et sans tenir compte des besoins pédagogiques. Autant d’exemples et de réflexions qui interrogent sur l’avenir des établissements scolaires en France.
Charles Centofanti
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