Mis à l’honneur par la ministre le 17 juillet le dispositif des « bacheliers méritants » donne le droit aux 10% des meilleurs bacheliers de chaque lycée d’entrer dans une filière sélective, comme un BTS, un IUT ou une classe préparatoire. Pour la ministre, avec ce dispositif, l’école républicaine tient enfin sa promesse : donner la même chance à tous. Mais suffit-il de permettre l’entrée dans une filière d’élite pour que les élèves réussissent ?
« Déterminismes sociaux, autocensure, déficit d’information sont autant de freins à la réussite dans lesquels se perdent des talents remarquables ». Le 17 juillet, N Vallaud-Belkacem recevait 36 « bacheliers méritants » venus recevoir un diplôme spécial les remerciant de leur engagement dans ce dispositif. Ces bacheliers font partie des 10% de bacheliers ayant obtenu les meilleurs résultats lors de l’examen au bac général, technologique ou professionnel dans chaque lycée. « On leur propose, s’ils le souhaitent, de faciliter l’acceptation de leur dossier dans les classes préparatoires aux grandes écoles, BTS, IUT, écoles d’ingénieurs post-bac etc. où ils ont postulé mais où ils se trouvent en liste d’attente », explique le ministère. Avec ce dispositif de discrimination positive, le ministère leur ouvre les portes de filières inaccessibles. « L’école républicaine n’est pas un mythe. Ce n’est pas un mensonge. C’est une exigence qu’il nous appartient de traduire davantage en actes », déclare la ministre.
A vrai dire on ne va pas bouder notre plaisir de voir 36 jeunes issus des quartiers et des « minorités visibles » invités rue de Grenelle. On a connu d’autres invitations comme celle des « meilleurs bacheliers » lancée par Luc Chatel en 2011. Il avait invité les lycéens ayant plus de 20/20 au bac et s’était retrouvé avec Constance, Adèle et Clotilde plus qu’avec Sofiane, Sandy et Alisson… Il avait involontairement démontré la sélectivité sociale du bac. Et puis les jeunes invités de ce 17 juillet sont vraiment très méritants. Il leur a fallu bien plus d’énergie, de confiance, de travail, d’intelligence pour arriver là que beaucoup de Clotilde. Leurs parents, qui les ont soutenu sur ce chemin, certaines mères en habit traditionnel, ont leur part dans ce succès et démentent bien des préjugés…
Parmi les 36 lycéens présents, nous avons rencontré Antoine Wakim Khalim. Mention bien à un bac professionnel préparé au lycée Briand du Blanc Mesnil (93), il a obtenu avec le dispositif « bacheliers méritants » l’accès à un BTS industriel qui lui était refusé. « Je ne pouvais pas avoir mieux », nous a t-il dit. « C’était mon premier voeu ». Il arrive dans une filière élitiste où il n’y a que 2 jeunes bacheliers professionnels. Ils devront rapidement acquérir le niveau des autres élèves, de bons bacheliers généraux. « J’aurai plus de travail mais je suis motivé et je vais travailler », nous a dit Antoine. Il doit aussi déménager à 400 kilomètres de chez lui. A charge pour sa famille d’en trouver les moyens. On lui souhaite bonne chance.
On aimerait croire qu’il suffise de promouvoir l’information sur les filières sélectives et de donner un coup de pouce ministériel pour que la sélection sociale des élites s’atténue. Malheureusement c’est plus compliqué. Sylvain Broccolichi et Rémi Sinthon, dans un article paru dans le numéro 175 de la Revue française de pédagogie, en ont fait la démonstration. « On disait que les enfants de milieu populaire ont des ambitions moindres et que ça expliquait les écarts d’orientation. Ce qui est masqué c’est que quand on suit le devenir de ces jeunes de milieu populaire, ceux qui semblaient exagérément prudents en fait échouent beaucoup plus que leurs camarades de niveau apparemment à peu près identique. Cela s’explique par le fait que les chances de progresser des élèves au cours des années sont très inégales selon les catégories sociales », nous avait dit Sylvain Broccolichi en 2011.
Cette idée que c’est l’autocensure des familles qui nuit à l’égalité dans l’orientation, il estime qu’elle « déculpabilise l’institution puisque c’est soi-disant les familles qui n’osent pas demander une orientation meilleure… Et puis elle donne un semblant de solution simple : il suffirait de les encourager à oser y aller ! » Le problème vient après et particulièrement en CPGE. « Les enfants des milieux populaires semblent vouloir y aller moins que les autres mais ils y échouent beaucoup plus que les autres. En fait, ils ont de bonnes raisons d’hésiter à y aller ! On peut le dire quand on regarde le résultat final et leurs chances réelles de réussite compte tenu de leurs conditions d’apprentissage. Ce sont elles qui sont fondamentalement en jeu. Apparemment il y a beaucoup de raisons de se boucher les yeux et d’éviter de se demander ce qui conditionne les apprentissages des élèves, ce qui se joue dans la classe ».
On ne peut pas simplement gommer les écarts de niveau entre lycées , les différences entre les bacs et les distances entre les capacités financières des familles dans un système où l’enseignement n’est pas réellement gratuit. Ce sont peut-être ces réalités qui expliquent que sur les 15 000 lycéens à qui le dispositif a été proposé seulement un sur dix a accepté d’en bénéficier. Les autres en ont refusé le bénéfice. Le parcours remarquable de la ministre, qu’elle a rappelé le 17 juillet, ne doit pas être un alibi.
François Jarraud
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