« Les personnels de direction sont la clef de la transformation du système éducatif avec le numérique «
Dans cette troisième partie de l’entretien que Catherine BIZOT accorde à l’An@é pour Educavox, nous abordons avec la Directrice du Numérique pour l’Education le dossier stratégique de la formation des personnels.
S’il est un consensus pour toutes celles et ceux qui aspirent à voir se développer le numérique éducatif dans une école immergée dans ce nouvel écosystème culturel et technologique, c’est bien la nécessité et l’urgence d’une formation des personnels.
Après une mastéristation qui présupposait que l’on pouvait se passer de la formation des enseignants, la création des ESPE avec la loi de juillet 2013 à renoue avec l’idée que ce métier autant qu’un autre et peut être plus que les autres, doit s’apprendre.
Il s’agit maintenant de donner une coloration numérique à cette formation initiale.
Les préconisations de la DNE d’une formation au numérique transversale et didactique sont-elles une réalité dans tous les ESPE ?
Un an après l’ouverture des ESPE toutes les maquettes comportent effectivement cette coloration, mais on peut encore s’interroger sur les différentes formes qu’elle prend d’une Université à l’autre…
La formation continue des personnels enseignants pose un autre problème, celui de la masse des personnels qui sont concernés. Ils sont en effet près de 850 000 dans les écoles, collèges et lycées, et les attentes sont fortes. Car le moins que l’on puisse dire c’est que la formation continue des personnels de l’éducation nationale à souvent joue « le rôle de variable d’ajustement budgétaire » d’un ministère qui n’était pas prioritaire. Il faut dire que la part des dépenses d’éducation en France dans le total des dépenses publiques, avec 11%, est inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE et nettement inférieure à celle des pays anglo-saxons et scandinaves ( données OCDE 2008 )
C’est ce qu’affirmait l’Inspection Générale en 2010 dans un rapport très complet non rendu public et diffuse alors aux seules directions de l’administration centrale. Celui-ci a été complèté par une nouvelle étude en 2013, où l’Inspection Générale confirme tout d’abord combien la formation continue à l’éducation nationale n’a pu être « placée au cœur de la politique de GRH compte tenu des contraintes financières « .
On a assisté à un « véritable effondrement » des moyens consacrés à la formation continue entre 2006 et 2011 : pour le premier degré selon les indicateurs de la DGESCO les moyens attribués sont passés pour le premier degré de 840 M€ à 293M€ et pour le second degré de 673M€ à quelques 117M€.
Ces rapports apportent également une lecture intéressante sur l’évolution de cette formation continue durant ces dix dernières années : la place occupée par des partenaires de plus en plus présents dans la formation et surtout la puissance des technologies numériques ouvrent de nouvelle opportunités et facilitent de nouveaux comportements. La formation au numérique par le numérique s’avère la solution d’avenir. Et on assiste à un accroissement de la multiplicité des sources de documentation.
Pour Catherine BECCHETTI BIZOT, » le niveau établissement scolaire c’est le juste niveau pertinent pour orchestrer la transformation du système éducatif …C’est là que se croisent toutes les problématiques de sa transformation » Il faut donc » favoriser les formations d’initiatives locales et développer une logique d’essaimage.. »
Le mot-clef est dit, il s’agit de susciter, faciliter, accompagner, une « démarche d’essaimage » dans un « maillage de réseaux ». Un écho certainement au projet premier de Tim Berners-Lee inventeur du World Wide Web.
Toute les études montrent, autant dans les autres pays européens qu’en France, que le lieu pertinent de la formation continue reste l’établissement mais que le niveau central est présent dans le champ stratégique et réglementaire. Il suppose un pilotage institutionnel structuré et la définition d’un ratio budgétaire qui lui est consacré, élément essentiel d’un dialogue de gestion partagé.
Les immenses possibilités de communication offertes par Internet doivent permettre de faire entrer la formation continue des personnels dans le monde de l’école numérique, comme c’est déjà le cas dans nombre d’organisations.
En facilitant et décuplant les échanges entre pairs qui se pratiquent déjà dans l’établissement, en alimentant de ressources originales, nouvelles, innovantes, l’auto formation individuelle propre à cette profession intellectuelle , la très grande souplesse du continuum espace-temps propre à la pratique du Web 2.0 permet aux enseignants comme aux cadres de l’éducation nationale d’élargir leur horizon et d’entrer dans des pratiques que certains d’entre eux n’imaginaient pas ou n’osaient pas mettre en œuvre.
Le numérique qui s’abolit de l’espace et du temps permet à chacun de vivre, parfois même en mobilité, la richesse des rencontres qui était recherchées et appréciées lorsqu’ on pouvait participer à une séquence de formation pédagogique organisée par l’institution parfois après un long et coûteux déplacement.
Le numérique permet d’oser, de se lancer ; et cela ne peut que donner une plus grande soif d’apprendre.
L’excellent dossier « le Web 2.0 et les profs » publié par les Cahiers Pédagogiques et Co-écrit par 17 auteurs confirme que le professeur 2.0 peut tout autant « promouvoir ses propres initiatives et s’enrichir des expériences de ses pairs . »
L’éducation nationale doit intégrer ces éléments à la construction de sa propre stratégie de formation de ses personnels.
Le Plan Numérique pour l’Ecole évoqué par le Président de la République comportera-t-il un volet formation continue des personnels ? Quel en sera le contenu ?
D’ores et déjà un appel à projets va être lancé nous dit Catherine BECCHETTI BIZOT pour « la création de parcours de formations en ligne » à usage des étudiants en ESPE et des enseignants .
Et les Personnels d’encadrement ?
« On ne peut imaginer transformer le système éducatif par le numérique si on ne forme pas les cadres » affirme Catherine BECCHETTI BIZOT qui ajoute : « même si dans certains cas ce sont les équipes enseignantes qui font sentir la nécessité de cette formation » aux cadres…et participent parfois également à cette formation en présentant les démarches innovantes qu’ils mettent en œuvre. « Dans les académies les plus avancées il y a eu une co- formation des enseignants et des inspecteurs «
Le proviseur d’un grand lycée parisien me confirmait ainsi récemment le rôle du conseil pédagogique dans le partage des pratiques du numérique pédagogique et la construction de projets de formation des personnels associant l’équipe de direction.
« Les personnels de direction sont la clef de la transformation du système éducatif avec le numérique « insiste la Directrice du Numérique Pour l’Education .
Pourtant le numérique ne semble pas avoir la faveur de ces personnels de direction qui , confrontés à une informatisation massive des outils de gestion y voient » un transfert dématérialisé de la bonne vieille bureaucratie jamais interrogée sur ces pratiques » mais qui pourtant « ne parvient toujours pas à mettre au point … le transfert électronique des actes administratifs « affirme Philippe TOURNIER secrétaire général du SNPDEN qui constate que 21% des personnels de direction citent les problèmes de connexion et de réseau parmi les tâches les plus fréquentes à devoir gérer .
Les collectivités territoriales tout autant que l’Etat sont bien sûr interpellés par cette question.
« Les outils ont été développés de façon anarchique » affirme Catherine BECCHETTI BIZOT qui précise : « Il faut créer des cadres de référence et faciliter l’interopérabilité de tous les outils… Le travail de mise en continuité des outils c’est un chantier qui est devant nous … »
Un chantier qui là encore ne pourra aboutir qu’avec le concours des acteurs de terrain !
Pour y parvenir la DNE semble avoir fait le choix d’une démarche de « co-construction du faire » et de « gouvernance partagée ».
Claude TRAN