Disparue des centres d’intérêt des pouvoirs publics, l’éducation populaire se rappelle aujourd’hui au bon souvenir de l’Etat, alors qu’on parle de cohésion sociale mise à mal après les attentats de janvier.
Au lendemain des attentats de janvier 2015, les banlieues populaires se sont senties stigmatisées plus encore qu’à l’accoutumée. C’est pourquoi les maires de l’association Ville & Banlieue se sont exprimés, en rappelant dans un communiqué la situation de ces quartiers « révélateur et théâtre de nos fractures, de nos impuissances, contradictions et faiblesses », « pris entre […] intégration et désintégration ». En conclusion, ils appelaient à « réintroduire l’éducation populaire qui permet l’émancipation des individus ».
Un peu plus de deux semaines après, c’était au tour du président de la République de recevoir les acteurs des associations engagées dans l’éducation populaire dans le cadre de ses consultations « post attentats ». Pourquoi une telle sollicitation ? L’éducation populaire avait-elle disparu des quartiers ?
Non, répond Irène Péquerul, présidente du CNAJEP (Conseil national des associations de jeunesse et d’éducation populaire) : « A moment donné, nous nous sommes entendu dire que nous n’étions pas suffisamment visibles et identifiables dans les quartiers populaires. C’est un mauvais procès. Les grands réseaux n’ont effectivement pas des antennes partout. Mais, les associations d’éducation populaire sont toujours dans les quartiers ».
Selon Jean-Claude Richez, sociologue à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, c’est toujours la même chose : « Malheureusement, on ne se pose la question de la place de l’éducation populaire qu’en situation de crise. Par exemple, en 2005, après les émeutes dans les banlieues, on a vu l’ensemble des collectivités se mobiliser et redonner des moyens aux associations. Aujourd’hui, à nouveau en situation de crise, on semble encore redécouvrir les vertus de l’éducation populaire pour la cohésion sociale ». Alors que bien des communes en font déjà l’expérience depuis longtemps.
Faire participer les habitants.
A Bègles, souligne Isabelle Foret-Pougnet, adjointe au développement social et urbain et à la vie citoyenne, « l’exigence de participation et de l’émancipation des habitants est une constante de notre politique ».
Elle prend l’exemple de l’association Remue Méninges sur laquelle elle s’appuie pour assurer l’accompagnement scolaire de plus de 200 enfants. « Son action auprès des enfants va bien au-delà de l’aide au devoir classique », insiste-t-elle. En lien avec des universitaires, l’association a créé une université populaire qui implique des parents, issus de milieux populaires le plus souvent, dans une recherche sur la parentalité.
« Nous avons le devoir de continuer à soutenir les acteurs de l’éducation populaire. Sans eux, combien de quartiers auraient explosé ? », interroge Isabelle Foret-Pougnet.
Une action éducative.
A Toulouse, depuis 2002, trois fédérations d’éducation populaire et quelques associations locales se partagent le marché public des centres de loisirs associés à l’école (CLAE) élémentaire : Léo Lagrange, la Ligue de l’enseignement et les Francas.
« Elles ont les compétences, l’expertise et l’expérience pour proposer un service de qualité, estime Marion Lalane-de Laubadère, adjointe en charge de l’éducation, qui en a fait des partenaires dans le cadre de l’élaboration du projet éducatif de territoire. Elles connaissent bien les publics, les quartiers ». Au lendemain des attentats, elles étaient au premier rang dans les quartiers toulousains. « Les retours sur la situation sont globalement très positifs », constate l’élue.
Créer les conditions d’exercice de la citoyenneté.
« Ici, dans certaines écoles, il n’y a plus de mixité, témoigne Marc Vuillemot, maire PS de La Seyne-sur-Mer. A quoi servirait de renforcer l’éducation à la morale républicaine à l’école, si on ne crée pas d’abord les conditions d’exercice de cette éducation à la citoyenneté, de cet apprentissage de la vie collective. Ce savoir-faire appartient au monde de l’animation socio-éducative, culturelle, du sport ».
C’est pourquoi « le secteur associatif et socioculturel est le seul secteur de l’action communale qui ne subira pas de diminution de moyens en 2015 », insiste le maire de La Seyne. En 2014, l’éducation populaire, la culture et le sport – part la plus importante – recevaient déjà près de 80% des presque 1,8 million d’euros de subventions municipales.
Un tissu associatif instrumentalisé.
Cependant, si l’éducation populaire n’a jamais cessé d’être active dans la société, c’est malgré le désengagement massif de l’État au cours des années 1990 et 2000 et, depuis quelques années, malgré les restrictions budgétaires des collectivités.
Du coup, explique Irène Péquerul, les relations entre les pouvoirs publics et l’éducation populaire ont évolué au cours du XXe siècle. « Au sortir de l’après-guerre, l’éducation populaire avait un rôle moteur dans la reconstruction de cadres collectifs, de politiques sociales, culturelles et éducatives innovantes. Aujourd’hui, une partie des collectivités attendent de l’éducation populaire qu’elle serve une prestation de qualité et la moins chère possible plutôt que d’être dans une logique de mobilisation et de transformation sociale ».
« Ce n’est pas vrai dans toutes les collectivités, mais la tendance des vingt-cinq dernières années a été à la contractualisation autour d’objectifs et d’actions précis, confirme Jean-Claude Richez. Ce fonctionnement se traduit par une instrumentalisation qui limite considérablement la capacité d’initiatives des associations, alors que c’est au fondement de l’éducation populaire ».
Vers une nouvelle reconnaissance ?
Mais la situation pourrait changer. Face au contexte social provoqué par la crise de 2008, le secteur lui-même s’est remobilisé, cherchant à se repositionner comme une force de proposition, notamment au travers de la campagne « 100 % Educ’pop » lancée en 2011 par le CNAJEP.
Puis, en 2012, un ministère des Sports, de la Jeunesse, de l’Éducation populaire et de la vie associative est créé alors que, dans le même temps, la réforme des rythmes scolaires replaçait l’éducation populaire dans le champ de vision des pouvoirs publics.
Enfin, bien qu’elle ait été supprimée de son intitulé lors du dernier remaniement, le ministère dirigé désormais par Patrick Kanner travaille actuellement à l’élaboration d’une politique en faveur de l’éducation populaire.
Reste à savoir si ce retour en grâce national aura des effets sur le terrain. Car, si des collectivités territoriales ont continué de soutenir l’éducation populaire ou se remettent à le faire, cela ne suffira pas sans un réinvestissement de l’État.
L’Éducation populaire au service de la transformation et de la cohésion sociales.
Même si l’éducation populaire joue un rôle particulièrement important auprès de la jeunesse, son action s’adresse à tous. « Elle considère chaque individu comme un citoyen potentiel et valorise ses compétences dans une démarche collective, décrit Jean-Claude Richez, sociologue à l’Injep. De ce fait, c’est un facteur éminent de cohésion sociale ». Elle traverse tous les champs, de l’éducation au logement, des loisirs à l’action sanitaire et sociale, de la culture au sport. « C’est un projet politique qui s’inscrit dans une logique de transformation sociale, ajoute Irène Péquerul présidente du CNAJEP. Elle porte un regard sur la société, identifie des besoins et des attentes, élabore et met en œuvre des réponses en s’appuyant sur les citoyens ». On dénombre environ 430 000 associations agréées « Jeunesse et éducation populaire », dont environ 350 réseaux nationaux d’éducation populaire. S’ajoute une myriade de structures qui, sans en avoir le label officiel, se reconnaissent dans les valeurs de l’éducation populaire.
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