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L’éducation partagée ne se décrète pas !
Le fait que des villes qui ont une certaine expérience du PEL hésitent encore pour 2013 ou repoussent la mise en oeuvre de la réforme à 2014 devrait interroger. Ce qui s’est passé hier au cours de la réunion du 12ème à Paris devrait également appeler à réfléchir quant au timing et aux modalités de mise en oeuvre de la réforme des rythmes (qui dans de nombreux cas n’est ni comprise, ni sa plus-value perçue par les acteurs locaux).
Je suis bien d’accord avec Eric Favey quand il dit que" l’institution scolaire ne doit pas décrèter seule l’ordre du jour éducatif d’un territoire. " Il faudrait ajouter également "qu’elle ne doit pas non plus décrèter seule le contenu éducatif des PEdT."
Pourtant c’est ce qui s ‘est passé au risque de gripper l’ensemble du processus de la Refondation, sur des considérations totalement floues puisque le paradigme idéologique de la contestation est extrêmement large et quasi insaissable. Et nous ne sommes qu’au mois de février. Quand on va réellement entrer dans l’opérationnel de la nouvelle organisation, ce sera une autre affaire !
Souvenons-nous de ce qui s’était passé quand Luc Ferry et Xavier Darcos avaient mis en place dans l’urgence, les dispositifs relais (en complétant le dispositif existant des classes relais par celui des ateliers relais) ! La Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) était dans l’incapacité de recruter des éducateurs spécialisés (il faut 3 ans pour les former) dans le délai nécessaire. La Ligue de l’Enseignement et d’autres associations d’éducation populaire avaient à l’époque servi de filet de sécurité sans pouvoir (et c’est bien normal) compenser ce déficit de professionnels spécialisés. Et ce n’était qu’un tout petit dispositif qui ne concernait qu’un faible nombre de collégiens. Que se passera-t-il concrètement en septembre prochain pour encadrer les activités éducatives compémentaires surtout sur le temps de la pause méridienne, si (et c’est fort probable) on ne dispose pas d’intervenants formés et stables ? L’ambition éducative du PEdT ne permet pas de pas de le réduire à un mode de garde et d’occupation des enfants en dehors du temps scolaire.
Au risque d’agacer ceux qui pensent toujours que son application sera obligatoirement assouplie à l’épreuve de la réalité de la mise en oeuvre de la réforme des rythmes, je veux revenir et insister sur le caractère bloquant du décret et dans la même ligne des articles 46 et 47 du projet de loi. Il eut été quand même plus simple d’autoriser sur la base de 4,5 jours, une amplitude de la semaine scolaire comprise entre le lundi et le samedi matin, plutôt que de rendre dérogatoire le choix du samedi matin. On voit bien aujourd’hui q u’un certain nombre de communes vont opter pour le samedi qui il y a encore peu avait les faveurs de tous les éducateurs et de la FCPE. Ils devront passer par une demande de dérogation vécue comme une inutile complication administrative !
De même, pourquoi s’arc-bouter dans le décret et dans le projet de loi sur les neuf demi journées ? Cela limite les possibles dans le respect des 4,5 jours et met de fait hors des obligations de la réglementation des projets en place depuis plusieurs années et qui fonctionnent bien comme le rappelle sans être entendue Claire Leconte.
Plus problématique encore car cela nuit à la bonne compréhension des finalités et donc des enjeux d’un projet éducatif territorial, ni le décret, ni le projet de loi ne donnent une définition du PEdT qui en creux est présenté comme un CEL avec des ambitions moindres que les circulaires de 98 et 2000 (notamment en terme d’interministérialité, de partenariat et d’implication du second degré). On voit bien aujourd’hui que le concept de PEdT est tellement flou qu’il conduit à des projections de mise en oeuvre extrêmement hétérogènes (et pour certaines totalement orthogonales à ce qui avait fait consensus dans le cadre de l’appel de Bobigny). Au point qu’il est impossible de savoir sur quelles bases précise se structure le questionnement des acteurs et des usagers qui se cristallise depuis quelques semaines en contestation qui se radicalise et semble inéluctablement évoluer (j’aimerais tellement me tromper) vers un rejet total de la réorganisation de la semaine scolaire telle qu’elle est proposée par le ministre.
Nous sommes plusieurs au sein du réseau Prisme à proposer une évolution de la loi qui permettrait de recadrer positivement les choses et pourrait par ce biais apaiser les débats pour qu’ils deviennent constructifs. Il serait également certainement sage de renoncer, sauf exception, à une mise en oeuvre de la réforme dès la prochaine rentrée. Il ne sert à rien, comme le dit Eric Favey de façon plus diplomatique, de passer en force et même d’avoir raison tout seul.
Un changement de l’ordre de celui qui est impulsé via cette réforme structurante, correspond à un vrai changement de culture en matière de gouvernance et d’action éducative. Pour le mener à bien, il est indispensable de passer par plusieurs étapes. Des communes comme Courcouronnes envisagent un scénario phasé sur deux années scolaires. D’autres communes pourtant expérimentées dans ce domaine ont décidé de reporter d’un an la mise en oeuvre effective des nouveaux rythmes en projetant de mettre à profit l’année qui vient pour afiner leur projet. Cette manière de monter en puissance aurait pu être proposée plutôt que d’imposer à tous un calendrier qui est peu à peu abandonné, la réalité sur le terrain condamnant à ce renoncement de fait. Tout ça pour ça serait-on conduit à se dire si d’aventure moins de 20 % des communes mettent en oeuvre la nouvelle organisation à la rentrée 2013 ? Et encore, quelle organisation ? Car dans certains cas, on aura simplement fait bouger les curseurs horaires sans que pour autant on ait amorcé le processus d’élaboration d’un PEdT. Que se passera-t-il ensuite ?
Reste une autre question qui n’est pas traitée actuellement. L’appel de Bobigny y faisait référence en évoquant la nécessité de légiférer pour définir ce qui relève du champs de l’éducation partagée et instituer une nouvelle gouvernance de l’action éducative (en termes de coproduction) dans ce champ qui par principe doit mobiliser l’ensemble de la communauté éducative avec une mutualisation des ressources humaines du territoire et des concours financiers disponibles (au lieu des logiques de guichets actuelles).
Dans les dispositions actuelles, mêmes complétées par les propositions du réseau Prisme, il manque ce qui apparaîtra très vite comme essentiel pour inscrire dans la durée, la cohérence et la continuité à l’échelle territoriale, le processus engagé par la Refondation, c’est un cadre tel qu’il a pu être expérimenté a minima dans la mise en oeuvre des projets de réussite éducative (PRE). A l’heure actuellle, le champ de l’éducation partagée ne dispose d’aucune assise juridique solide (autre que le décret et des circulaires incitatives essentiellement liées à des dispositifs type CLAS, CEL et aujourd’hui PEdT) alors que les enfants y passent beaucoup de temps et que de nombreux acteurs interviennent. La gouvernance de l’action éducative telle qu’elle est définie aujourd’hui dans le décret relatif à l’organisation de la semaine scolaire, les circulaires récentes et le projet de loi n’est pas satisfaisante comme on peut le constater dans les échanges très conflictuels qui animent la période. Il devient donc urgent de définir ce cadre. L’appel de Bobigny portait cette ambition !