In L’Education Nouvelle :
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Un des nombreux paradoxes de l’Education Nouvelle tient au fait qu’elle est, très largement, demeurée marginale dans les pratiques tout en réussissant à imposer la plupart de ses « lieux communs » dans les discours éducatifs. Certes, son caractère marginal a été, et reste systématiquement revendiqué par ses promoteurs qui craignent que l’institutionnalisation de ses propositions leur ôte leur caractère « subversif », engendre leur dévoiement et, à terme, provoque leur dilution dans une « pédagogie traditionnelle ordinaire » tout juste « modernisée » pour créer l’illusion. Le repliement sur l’ « entre soi » reste, à cet égard, une des caractéristiques majeures de l’Education Nouvelle, de Winneken et ses écoles de Hambourg aux officines plus ou moins secrètes des écoles Steiner, en passant par la création -? certes sous la contrainte ! -? par Célestin Freinet d’une école privée ou la construction du réseau des écoles Montessori… Mais, simultanément, et, tout en restant sur leur territoire propre, les partisans de l’Ecole Nouvelle ne cessent d’occuper le vaste terrain idéologique médiatique et d’y galoper dans tous les sens, au point, parfois, d’y apparaître comme hégémoniques. Ils parlent et écrivent à tout va, abondamment repris par les vulgarisateurs éducatifs de toutes sortes… des psychologues qui se targuent de pédagogie aux spécialistes de la rubrique « Modes de vie », aussi bien dans les magazines « grand public » que dans l’abondante littérature sur le « développement personnel ». Cette frénésie prosélyte en faveur de l’Education Nouvelle ne cesse, d’ailleurs, d’entretenir une confusion majeure : alors que la « pédagogie traditionnelle » de la « forme scolaire » (enseignements segmentés et cloisonnés, « leçons » magistrales suivies d’exercices d’application, notation et classements systématiques, etc.) semble complètement inamovible, les adversaires de l’Education Nouvelle ne cessent de dénoncer l’emprise des « réformateurs » et de leur attribuer la responsabilité de la baisse du niveau, du laxisme généralisé et de l’abandon de toute véritable exigence intellectuelle dans l’école. Cette situation étrange ne facilite pas l’analyse un peu fine de la réalité des propositions de l’Education Nouvelle dans la mesure où les attaques qu’elle subit suscitent, en réaction, une solidarité de tous ses défenseurs autour de slogans emblématiques… au risque de gommer de nombreuses différences d’approche, voire d’occulter de véritables enjeux fondamentaux. Ainsi en a-?t-?il été de la promotion de la fameuse formule « l’élève au centre du système », génératrice de malentendus s’il en est : alors qu’elle est utilisée dans un rapport annexé à la loi d’orientation de 1989, préparée sous l’autorité de Lionel Jospin, pour souligner la nécessité de sortir d’une « démocratisation-?massification » -? pensée en termes de simple gestion de flux – afin d’aller vers une scolarité permettant, par une intervention pédagogique adaptée à chaque élève, la réussite du plus grand nombre, elle a été présentée -? puis dénoncée -? comme une manière d’écarter les savoirs de l’école et de s’agenouiller devant les caprices des enfants-?rois… Ses promoteurs, alors, se sont sentis obligés de la défendre, s’appuyant sur ce qu’ils avaient voulu y mettre sans s’apercevoir que leurs contempteurs restaient délibérément rivés sur leur interprétation première. D’où ce sentiment de se trouver face à un dialogue de sourds où la polémique ne cesse d’enfler sans que nul, jamais, ne clarifie suffisamment les choses pour qu’on sache de quoi on parle vraiment et ce que signifie exactement les mots qu’on utilise. Et l’on pourrait multiplier les exemples de ces malentendus dans lesquels nous sommes empêtrés et qui bloquent tout autant la réflexion pédagogique que le travail approfondi sur les pratiques. J’en évoquerai ici quelques-?uns, parmi les plus fréquents, en montrant, chaque fois, tout l’intérêt qu’il y a à ne pas s’en tenir aux slogans habituels et à prendre ses distances avec la vulgate de l’Education Nouvelle… mais pour rester fidèle, justement, à la démarche de l’Education Nouvelle, en ce qu’elle a de plus radicalement fondateur ! Ce qui m’amènera à formuler quelques « principes » qui ne se veulent que des « outils-?silex », comme disait Fernand Oury, pour distinguer, au coeur des discours éducatifs, quelques-?uns des enjeux essentiels. Avant de montrer en quoi ces principes nous permettent de comprendre l’entreprise éducative dans sa tension fondatrice.