Notre école oublie les valeurs de la République. Au nom du « mérite », elle creuse les inégalités et abandonne chaque année presque un tiers d’une génération.
En France, jeune et sans diplôme, on n’est rien aujourd’hui. Ou du moins, pas grand-chose. Relégué dans les oubliettes du chômage, de la précarité sociale. C’est le sort de 100.000 jeunes chaque année : environ 14% d’une génération quitte l’école sans la moindre qualification.
Au bout de trois ans, la moitié sont toujours sans emploi, certains, sans avoir jamais eu la chance de rencontrer le moindre employeur. Les autres ne connaissent pas l’embauche, mais le CDD, le temps partiel, l’intérim. Sans diplôme, pas d’emploi, pas d’espoir de réussite sociale, sauf de rares exceptions. Le temps n’est plus où, ayant échoué à l’école, l’on pouvait néanmoins trouver sa place dans la société.
30% d’exclus du marché de l’emploi
C’était vrai déjà, voici dix ou vingt ans. Mais voilà qu’avec la crise, avec la compétition sociale pour l’emploi, même ceux qui ont réussi à décrocher un CAP ou un BEP se retrouvent massivement au chômage. Eux sont 120.000, 17% d’une génération. Et au total, ce sont 200.000 jeunes chaque année, soit presque un tiers d’une génération, qui se trouvent peu ou prou exclus du monde du travail. Et qui sont ces « mauvais » élèves de notre école républicaine, elle qui prétend pratiquer l’égalité des chances, récompenser le « mérite » des uns et des autres sans distinction de naissance, sans privilèges ?
Ils sont massivement issus des milieux les plus modestes, comme le rappelle la sociologue Marie-Duru Bellat :
Au-delà des différences culturelles, des pratiques éducatives, on oublie souvent que les conditions de vie, les moyens financiers dont disposent les familles sont tout aussi importants, comme, par exemple le fait d’avoir sa propre chambre. Tout cela pèse. »
Et au final, on ne trouve pas d’enfants de cadres ou d’enseignant dans les bacs professionnels ! Très peu en bacs technos. »
Dans les facteurs d’inégalités, tout joue et se cumule. »
Une fabrique à « désorientés »
Des jeunes souvent convaincus d’être « nuls « , « orientés » de force vers des filières dont personne ne veut et qui ne mènent plus à grand-chose, et écartés des voies « nobles « , bac général, études supérieures. Constat d’un rapport de 2009, resté dans les tiroirs :
A résultats scolaires comparables, l’orientation varie en fonction de la profession des parents et de leurs diplômes. «
Longtemps, nous avons vécu dans l’illusion du « mérite » scolaire, et de l’excellence de notre école. Les études Pisa de l’OCDE nous ont révélé qu’il n’en était rien. La France non seulement n’a pas une école au-dessus de la moyenne en terme de niveau de ses élèves, mais elle est l’un des pays où le rattrapage des inégalités sociales fonctionne le moins bien.
Chez nous, origine sociale et difficultés scolaires se recoupent étroitement. A cela, une multitude de raisons. Pour donner aux élèves l’opportunité de réussir leurs études, sans qu’entrent en jeu les revenus et le capital culturel de leur famille, il faut concentrer l’effort et les moyens de l’Etat sur les plus modestes. Or, malgré les incessantes réformes de l’école, à ce jour, ni les ZEP, ni les internats d’excellence, ni les contrats « ambition réussite » ne sont parvenus à infléchir cette tendance de fond.
Tout pour les riches…
La Cour des comptes, en 2012, dénonçait l’inefficacité de la répartition des moyens : « Sans corrélation entre les difficultés scolaires constatées sur le terrain, moyens publics et effectifs d’enseignants devraient être alloués en fonction des besoins des élèves. Ce n’est que très partiellement le cas », constatait Patrick Lefas, président de la troisième chambre de la Cour des Comptes.
Ainsi, l’académie de Créteil, qui comprend notamment la Seine-Saint-Denis, se situe tout juste dans la moyenne. A l’inverse, des zones socialement favorisées, où la réussite scolaire ne pose aucun problème, se trouvent paradoxalement mieux dotées que les autres. »
A l’automne, Najat Vallaud-Belkacem, pour la première fois, a lancé une refonte de l’allocation des moyens.
Le mur de l’argent
La réussite scolaire est aussi devenue l’enjeu d’une compétition sociale, biaisée par l’argent et que personne n’accepte de voir. La journaliste Gaëlle Guernalec, auteure de « Jamais dans ce lycée », y raconte sa prise de conscience :
« J’ai traversé cette incroyable période d’angoisse quand votre ado rentre en classe de seconde. On est pris d’une telle fébrilité, plongé dans mille démarches, calculs, qu’on en oublie tout le reste… Mais à un moment, je me suis rendue compte que j’étais en train de trahir mes valeurs, ce en quoi je croyais. Nous devons prendre conscience des conséquences collectives de nos décisions individuelles. Nos stratégies égoïstes, notre angoisse pour l’avenir de nos propres enfants, ont des conséquences terribles pour l’ensemble de la population.
En refusant le brassage social dans les établissements, nous cassons l’égalité des chances. »
Véronique Radier
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