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L’éducation est sans aucun doute l’un des domaines de la vie de notre société pour lequel le niveau de l’information des citoyens est le plus faible. Ils savent plus de choses sensées sur l’économie, sur la sécurité, sur l’alimentation, sur l’environnement, sur l’énergie…que sur l’éducation. Pourtant ils ont tous des enfants ou des petits enfants dont l’avenir les préoccupe voire les angoisse. Etonnant phénomène. Heure par heure, les radios diffusent par exemple des informations sur l’état de la Bourse dans le monde, alors que cela n’intéresse vraiment qu’une poignée de spécialistes et les agents des grands groupes financiers. Mais sur l’école, rien ou presque, hors les palmarès et les crises.
Les sondages peuvent très bien être interprétés dans le même sens. Quand 85 % des sondés approuvent par exemple un ministre qui veut imposer le b-a ba dans tous les CP de France, ou que, plus généralement, ils soutiennent à une écrasante majorité, le retour à des méthodes qui avaient fait la preuve de leur inefficacité, on peut se dire qu’ils sont fort mal informés de la réalité de l’école aujourd’hui et des exigences pour l’éducation du futur. On peut penser que le ministre n’en sait pas beaucoup plus que les citoyens. Mais il a des experts, des savants, pour l’informer et le conseiller, ce qui permet de penser que son opinion n’est pas fondée sur des lacunes ou des erreurs, mais sur une volonté politique de survaloriser le retour au passé, l’appel à la nostalgie, avec des desseins plus ou moins sombres.
Le fait est que bien des citoyens ont pour seule référence le souvenir de leur propre scolarité considérée comme un modèle. A partir du moment où l’on est allé à l’école, on connaît l’école et on peut en parler. On peut juger et exiger. C’est ainsi que l’on recommande facilement le retour à un âge d’or – qui n’a jamais existé – même quand on a été soi-même victime du système de l’époque. Marqué par le modèle pédagogique dominant, on pense que pour enseigner, il suffit d’avoir des savoirs disciplinaires et un peu d’autorité naturelle ou de talent pour les transmettre. Cet état de l’opinion publique facilite énormément la tâche des conservateurs de tous bords qui se délectent du retour aux bonnes vieilles méthodes, du retour aux fondamentaux que les enseignants auraient oublié d’enseigner depuis des dizaines d’années, du retour de la grammaire comme préalable à l’expression/communication, du retour aux bases et, naturellement, aux bases des bases. Les activités mécaniques fonctionnent fort bien pour les élèves qui manipulent depuis longtemps, par exemple, les structures morphosyntaxiques très complexes qu’ils rencontrent depuis leur naissance ou des raisonnements logiques que leurs familles suggèrent fréquemment, par des jeux de provocation, des appels à l’argumentation, avec de vrais dialogues. Ces retours accroissent inévitablement les inégalités, fléau de notre système éducatif.
Au-delà du soutien au conservatisme, ce phénomène qui touche plus fortement l’éducation que d’autres domaines, conduit les citoyens à une ignorance dramatique de la complexité et la lourdeur du métier d’enseignant. Si enseigner, c’est transmettre ses propres savoirs accumulés et corriger des copies, l’image des enseignants, ne peut guère être distinguée. Si cette image était fondée sur leur rôle dans le développement de l’intelligence, dans l’apprentissage des valeurs, la préparation à l’exercice de la responsabilité dans la vie personnelle, professionnelle et sociale, la construction de compétences liées aux savoirs, l’observation du rapport entre les savoirs scolaires et les savoirs savants, la maîtrise des langages, la réflexion sur les conditions de la réussite scolaire, il serait possible que leur image devienne valorisante, reconnue, brillante même, à la mesure de l’importance de leur rôle dans la société.
La bataille de l’opinion reste à faire. Il semble difficile de la gagner si elle n’est pas engagée.
Mais vous n’êtes pas obligé d’être d’accord.
Pierre Frackowiak