L’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) remet en cause la capacité des politiques publiques à enrayer les inégalités sociales et territoriales dont sont victimes les jeunes. Dans son rapport « Parcours de jeunes et territoires », rendu public le 27 janvier 2015, il invite les collectivités territoriales à innover dans l’accompagnement des jeunes dans leurs parcours vers l’autonomie.
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Quand les attentats bousculent les politiques de cohésion sociale
« Est-ce que c’est parce que tu vis ici que tu as moins de chances, ou est-ce que c’est parce que tu as moins de chances que tu vis ici ? », s’interroge sur le blogzep cette étudiante de 22 ans qui a décidé d’habiter dans une banlieue « difficile » de Grenoble pour bousculer ses préjugés et « connaître d’autres modes de vies ».
C’est aussi la question qui sous-tend le deuxième rapport de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), « Parcours de jeunes et territoires », présenté le 27 janvier 2015 lors d’une journée de rencontres et de débats organisée à Paris par l’Injep. Un rapport qui explore les liens qu’entretient la jeunesse avec son territoire de vie dans la transition vers l’âge adulte, et qui montre aussi comment le territoire, et les disparités territoriales s’imposent aux jeunes et contribuent à façonner leurs pratiques et leurs trajectoires.
Ghettos – Ce rapport prend une résonnance particulière, trois semaines après les attentats de Paris et de Montrouge, une semaine après que le Premier Ministre Manuel Valls ait dénoncé « l’apartheid territorial, social, ethnique », dont sont victimes les habitants de certains quartiers, pointant du doigt la « relégation périurbaine » et « les ghettos ».
« Le chômage frappe 10% de la population française, 20% des jeunes et 40% des jeunes des quartiers ! », a rappelé Jean-Benoît Dujol, délégué interministériel à la jeunesse. Le territoire produit-il pour autant ces inégalités sociales ou n’en est-il que le reflet ? Si les scientifiques (sociologues, géographes…) n’ont pas trouvé de terrain d’entente, l’enjeu de cette question est surtout politique, ont tenu à rappeler les chercheurs de l’Injep, car en fonction de la lecture retenue, l’action publique privilégiera les territoires ou les individus.
Métropolisation – Pour Francine Labadie, chef de projet Observatoire de la jeunesse et des politiques de jeunesse et qui a dirigé la rédaction du rapport, certes, les inégalités territoriales reflètent les inégalités sociales, mais « les transformations territoriales à l’œuvre aujourd’hui, et notamment les phénomènes de métropolisation qui touchent les grandes agglomérations, provoquent des inégalités inédites. La métropolisation implique une concentration des richesses et du capital humain, au détriment des périphéries ». Un constat d’autant plus saillant pour les jeunes.
D’un côté, les métropoles attirent les jeunes les mieux formés, les plus diplômés, de l’autre, l’augmentation du coût de la vie et des logements, empêche les plus pauvres d’y rester. Ils sont alors rejetés en périphérie ou contraints de changer de région. « Cette machine à trier renforce le clivage entre les jeunes », analyse Francine Labadie.
Déconnectés – Selon Thomas Kirszbaum, chercheur associé à l’ENS Cachan, et convié à la tribune, il faut questionner la lecture mécaniste de la Politique de la ville qui sous-entend que le territoire jouerait un rôle prépondérant sur le parcours des jeunes.
« Jusqu’à présent, les pouvoirs publics ont cherché à remettre à niveau les territoires « handicapés », sans prendre en compte la mobilité des habitants, en présumant que le « quartier » n’avait pas d’interaction avec ce qui l’entoure. Or les gens ont un usage différencié des services. La question de la mobilité n’est pas suffisamment prise en compte », souligne-t-il.
Remise en cause de l’effet « quartier » – Une remarque étayée par la recherche de Nicolas Oppenchaim, sociologue, présentée dans le rapport de l’Injep. Il s’est penché sur les pratiques de mobilité quotidienne des adolescents vivant en zone urbaine sensible (ZUS) et remet en cause « l’effet de quartier » : « les adolescents ont des pratiques de mobilité très différentes selon les habitudes qu’ils y ont prises. Le quartier serait leur seul territoire de socialisation. Or beaucoup ne font qu’y dormir ! La mobilité quotidienne participe de cette socialisation », explique-t-il. Et de conclure : « Ces adolescents doivent pouvoir profiter d’espaces de fixation et d’espaces de mobilité afin de se séparer de leur environnement familier sans sacrifier les attaches qu’ils y ont tissées. »
Injonction à la mobilité – Représentants associatifs, élus, chercheurs : ce 27 janvier, tous ont en effet dénoncé la tendance à faire de la mobilité un mot d’ordre politique. « Il faudrait bouger pour s’en sortir. Cette nouvelle injonction fait violence aux jeunes ! », a dénoncé Régis Cortesero, chargé d’études et de recherche à l’Injep. Car il ne faudrait pas sous-estimer les liens sociaux de proximité qui sécurisent aussi les jeunes dans leur quartier.
Pour sortir de « l’impuissance » des politiques actuelles – politiques sociales et redistributives qui s’adressent aux individus en fonction de leur statut, et politique de la ville qui privilégie un « traitement territorialisé de la pauvreté concentrée dans des quartiers » – l’Injep préconise « d’inventer des catégories d’action plus dynamiques prenant en compte la situation territoriale et les mobilités. »
Mise à l’épreuve de la mobilité – « Une politique jeunesse doit à la fois partir des territoires enclavés en offrant des services publics de plus grande qualité, et s’adresser à tous les jeunes, pour leur donner envie et les moyens de dépasser leur craintes, et de mettre à l’épreuve leur mobilité. Le rôle des politiques jeunesse est des les accompagner dans cet apprentissage progressif », a témoigné pour sa part Matthieu Angotti, directeur du Centre communal d’action social de Grenoble.
Le mille feuille des politiques jeunesse – Or sur le terrain, de véritables politiques jeunesse peinent toujours à se dessiner, et ce malgré les deux comités interministériels à la jeunesse (CIJ) qui se sont tenus en 2013 et 2014.
Les dispositifs à l’égard des jeunes sont très souvent morcelées, portés par de multiples acteurs, qui ne parviennent pas à se coordonner, rendant tout cela illisible pour les jeunes. « Dans le cadre de la métropolisation la question du chef de file doit se poser. Quand j’ai en face de moi des élus qui pensent que les politiques jeunesse ne doivent s’adresser qu’aux jeunes à risques, droguées, délinquants et décrocheurs, il est difficile de monter une politique globale ! », s’est insurgé Mathieu Cahn, adjoint au maire de Strasbourg, en charge des politiques jeunesse, et vice président de la communauté urbaine de Strasbourg.
Maîtrise de sa destinée sociale – Pour Francine Labadie, il est maintenant essentiel d’aborder la question de la jeunesse sous l’angle du développement : « Que fait-on pour avoir des jeunes en bonne santé, qualifiés, qui contribuent au développement du territoire ? Il faut par exemple permettre aux jeunes de s’emparer des offres de formation ce qui renvoie à la question de l’orientation et des parcours individualisés » insiste-t-elle.
Et le rapport de l’Injep de conclure à l’urgence de penser le développement territorial en termes de « développement humain et pas seulement économique ».
« Il ne s’agit plus tant de réparer et secourir mais, de manière préventive, d’investir socialement dans le développement des capacités des jeunes ».
Pour cela, l’Injep en appelle à des innovations sociales dans l’accompagnement des individus « afin que chacun puisse véritablement s’approprier les ressources en vue d’une réelle maîtrise de sa destinée sociale ».
Investissements d’avenir – Des innovations qui pourraient émerger dans le cadre du programme des investissements d’avenir (PIA) pour la jeunesse. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, qui concluait ces rencontres, a en effet annoncé, outre un 3ème CIJ « décentralisé », que le lancement de l’appel à projets, doté de 60 millions d’euros, interviendrait dans deux semaines.
Des projets qui devraient favoriser « l’émergence de politiques de jeunesse globales et intégrées, qui permettent de traiter les problématiques des jeunes de façon globale et cohérente à l’échelle d’un territoire, en évitant l’écueil d’une juxtaposition d’initiatives sectorielles non harmonisées », comme le stipule la convention du 10 décembre 2014 entre l’Etat et l’Anru.
La jeunesse sera-t-elle enfin considérée comme un investissement d’avenir ?
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