In Le nouvel éducateur n° 197 :
Accéder au site source de notre article.
Le temps à hauteur d’enfant
On croit à tort que le temps de l’enfant est déterminé par l’école : il n’en est rien. Il est d’abord dicté par celui des adultes qui s’occupent de lui et qui sont eux-mêmes soumis aux diktats économiques.
En premier, les parents.
Une maman qui travaille se lève à six heures, et pour laisser son enfant en nourrice ou à la garderie, elle le réveillera à la même heure ; le soir elle ne le retrouvera guère avant dix-neuf heures. Un papa qui travaille se lève à six heures…Si les parents sont commerçants, ils reprendront leurs enfants chez les grands-parents après le dîner et s’ils veulent passer un petit moment avec eux, ils ne les coucheront pas avant vingt-deux heures. Si les parents sont…La déstructuration du temps de travail des parents pèse encore plus lourdement sur les enfants des familles populaires.
Précarité, chômage, temps partiel et multi-emploi, temps de transport… imposent des « temps de l’enfant » assez chaotiques. Et ce n’est pas toujours mieux chez les cadres… même si une jeune fille au pair vient chercher les enfants à la sortie de l’école pour les amener au cours de danse, de violon ou d’anglais.
Ce n’est pas l’école qui domine les horaires de l’enfant, c’est le travail des parents.
Alors que fait l’école face à cette déstructuration ?
Rien ou même pire : elle va concentrer tout le temps scolaire sur les « apprentissages formels » en quatre journées de six à sept heures, auxquelles s’ajoutent les temps de garderie, de cantine, d’étude ou d’accompagnement pour arriver à quatre journées de dix à douze heures de collectivité. Et l’on voit partout en classe des enfants qui bâillent, qui s’endorment, des enfants qui tètent leur langue et qui partent dans leurs rêves. Parce qu’en plus, une fois tous ces temps collectifs absorbés et tout ce travail, il faut encore souvent faire des devoirs, apprendre des leçons. On est bien loin des trente-cinq heures !
Remarquez, on peut dire que ce rythme habitue les enfants à ce qui les attend plus tard. De reculs en reculs, l’Europe vient de voter la semaine de quarante-huit heures comme limite à ne pas dépasser pour les adultes ; le gouvernement français veut ouvrir les commerces le dimanche et les femmes ont désormais le « droit » de travailler la nuit.
Les enfants ont besoin de temps de collectivité avec d’autres certes, mais également de temps personnels, de temps de solitude, de silence et de rêve. Ils en ont besoin chaque jour un petit peu. Le temps de l’enfant, c’est d’abord à la journée, avant d’être à la semaine. Mais pour améliorer les conditions de vie des enfants, il faut songer à ne pas laisser s’effondrer les conditions de vie et de travail des adultes.
Il faudrait au moins cinq journées d’école et plus du tout de « travail » à la maison. Et les enfants devraient pouvoir tout faire avec vingt-huit heures de classe et d’étude.
Mais comment faire avec le temps de travail des enseignants ?
Il suffit d’imaginer des écoles avec six maîtres pour cinq classes, ce qui permettrait aux jeunes enseignants de débuter en position supplémentaire avec des petits groupes et des temps plus courts avant d’avoir la responsabilité d’une classe.
Il suffit d’imaginer une équipe (enseignants, éducateurs) prenant en charge réellement la journée de l’enfant pour permettre un accueil chaleureux et respectueux de chacun.
Il suffit d’imaginer des espaces et des temps à la hauteur des enfants.
Il suffit d’imaginer l’École… au lieu de ne voir que des coûts et des charges à réduire.