In MyEurop – le 25 septembre 2013 :
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Le télétravail se démocratise en France. Souvent plébiscité, cette méthode de travail a déjà conquis de nombreux pays d’Europe du nord. Mais tout n’est pas si rose pour les travailleurs à domicile. Témoignages et décryptage.
Les smartphones, tablettes, et ordinateurs portables ont modifié notre rapport au travail. Depuis plus de 10 ans, le développement d’internet et des technologies numériques ont permis le développement du télétravail en France comme ailleurs.
Mais que désigne ce concept abstrait? On parle de télétravail lorsqu’une tâche s’effectue, dans le cadre d’un contrat de travail, au domicile ou à distance de l’environnement hiérarchique et de l’équipe du travailleur, à l’aide des technologies de l’information et de la communication (TIC).
Un rapport sur cette forme de travail est sur le bureau de Cécile Duflot, Ministre de l’Egalité des territoires et du logement. Les auteurs estiment qu’il faut "développer massivement le télétravail" qui n’aurait que des avantages, en permettant, notamment, de:
convaincre des individus de venir vivre sur un territoire et participer à la revitalisation des campagnes […] En donnant au salarié plus d’autonomie et une meilleure maîtrise de ses horaires de travail, le télétravail réduit le stress et améliore les conditions de travail. L’articulation entre vie privée et vie professionnelle s’en trouve facilitée et les gains en pouvoir d’achat peuvent être importants : réduction des coûts de transport, du nombre d’heures de garde d’enfants, des frais de déjeuner[…]"
Que des avantages ?
La réalité vécue par les télétravailleurs n’est pourtant pas aussi rose comme l’explique à Myeurop.info, Laurent Taksin, sociologue à l’Université catholique de Louvain :
On observe une forme de désocialisation du travailleur. Ne pas travailler dans les locaux de l’entreprise, c’est manquer la pause déjeuner, ou la grosse engueulade dans le bureau. On perd une part de la vie collective. Quant à l’entreprise, elle doit accepter de perdre le contrôle de ses travailleurs, ce qui n’est pas simple. Cela représente également un coût pour la société qui doit équiper son employé avec tous les outils de comunication nécessaires. Le télétravail ne peut être pérenne que s’il existe une vraie relation de confiance entre le salarié et sa hiérarchie."
Un sentiment partagé par Frédéric. Depuis trois ans, il exerce son métier de journaliste en télétravail :
C’est vrai que c’est agréable de ne pas avoir à se lever le matin ou de prendre les transports en commun. Après, en tant que journaliste, l’interaction avec les autres me manque beaucoup. Certes il y a Skype ou le téléphone, mais ce n’est pas la même chose. Au départ j’avais du mal à distinguer temps de travail et temps consacré à la vie privée. Je ne pense pas poursuivre en télétravail très longtemps."
Retard à la française ?
Selon le rapport du Ministère :
La France est en retard sur les principaux pays de l’OCDE en matière de développement du télétravail. En prenant en compte au moins trois sources de données sur les cinq dernières années, la France se situe au 13e rang des pays de l’OCDE."
Une affirmation contre laquelle s’insurge Philippe Planterose, président de l’association française de télétravail et des téléactivités (AFTT) :
La France n’a plus tant de retard que ça. Depuis 4-5 mois, on observe une progression. Pratiquement toutes les entreprises du CAC40 ont signé des accords sur le télétravail. Seules les petites et moyennes entreprises n’en ont pas. Mais ça n’empêche pas les employés d’avoir recours aux TIC hors de leurs bureaux. On parle de télétravail gris ou télétravail au noir. On estime que 17% des actifs pratiquent ce type de télétravail. Si on prend cette donnée en compte, la France n’a pas a rougir face aux autres pays d’Europe."
Mais le télétravail gris peut poser de nombreux problèmes aux salariés :
En cas d’accident de travail ou même en terme de rémunération, le salarié ne peut rien réclamer car cela se fait hors des heures de travail définies par son contrat. De plus, il utilise souvent son propre ordinateur ou smartphone et non ceux de l’entreprise ce qui comporte un risque pour les systèmes informatiques des entreprises",
rappelle le président de l’AFTT.
Un cadre législatif est pourtant mis en place dès 2002 dans le cadre d’une initiative européenne. Elle liste les droits et devoirs de l’employeur et du salarié :
- L’employeur se doit d’informer le télétravailleur des conditions de son contrat et du travail à réaliser (lieu du travail, durée, rémunération) ; de fournir la possibilité au télétravailleur de rencontrer régulièrement ses collègues ; de couvrir les coûts directement causés par le travail ; de fournir un service approprié d’appui technique et d’équipement (sauf si le télétravailleur utilise ses propres outils).
- De son côté, le télétravailleur doit gérer l’organisation de son temps de travail et prendre soin des équipements qui lui sont confiés.
Un accord interprofessionnel encadrant le télétravail a également été signé en 2005. Il faut dire qu’en la matière, la France espère beaucoup. En 2009, un rapport du Centre d’analyse stratégique prédisait que le télétravail pourrait concerner jusqu’à 50% de la population active en 2015. Aujourd’hui on en est encore loin. L’année dernière, seuls 12,4% des salariés travaillaient au moins 8 heures par mois hors de leur entreprise.
Les scandinaves ont 20 ans d’avance
En Europe, ce sont les pays du nord qui ont le plus investi dans le domaine du télétravail. En 2010, c’est la Finlande qui comptait le plus de télétravailleurs (32,9% des actifs). Venait ensuite la Belgique avec 28% et la Suède avec 27,2%.
Les pays scandinaves, comme la Suède, favorisent depuis les années 90 le télétravail. Durant cette période, l’Etat lance des plans favorisant l’équipement des ménages en ordinateurs portables. Le pays va jusqu’à accorder des avantages fiscaux aux entreprises qui mettent des PC à disposition des salariés. Tout comme les Britanniques, les Suédois peuvent déduire de leurs impôts les frais liés à l’utilisation de leur domicile comme lieu de travail.
D’après le centre suédois des hautes études d’assurance, 90% des entreprises de plus de 500 personnes ainsi que 30% des PME ont régulièrement recours au télétravail. La communication ainsi que les services financiers et autres consultants sont les plus touchés. Il faut dire que le pays est l’un des pays d’Europe où l’on utilise le plus internet dans le cadre du travail (70%).
Le terme même de télétravail est devenu obsolète dans la société suédoise. On lui préfère celui de "travail flexible/mobile."
Les Espagnols s’y mettent aussi
Parmi les pays européens les plus réticents à se mettre au télétravail, la France n’est pas seule. Les Espagnols ont longtemps été réticents. En 2002, l’Espagne comptait le plus faible taux de télétravailleurs en Europe (4,9% contre 21,9% en Finlande à la même époque).
Il faut attendre l’année 2007 pour voir une évolution. Le gouvernement de l’époque met en place une réforme permettant aux 230 000 employés de la fonction publique d’effectuer jusqu’à 40% de leur temps de travail à la maison.
L’administration doit fournir aux télétravailleurs un ordinateur portable, un numéro de téléphone ou un téléphone portable et l’accès gratuit à un service de maintenance en cas de problème technique.
Selon l’Institut national des statistiques espagnoles, en novembre 2012, 21,8% des entreprises privées se sont, à leur tour, laissées séduire. Seul problème pour les Espagnols, la stagnation professionnelle. Dans une interview accordée au quotidien El Pais, Josep Ginesta, le directeur du bureau du travail de l’université ouverte de Catalogne rapporte que 20% des télétravailleurs ne sont jamais promus dans leurs entreprises.
Un paradoxe au vu des bénéfices qu’une société tire du télétravail. On estime qu’un poste en télétravail revient 50% moins cher à l’employeur qu’un poste au sein de l’entreprise. De quoi redonner un coup de fouet à l’économie espagnole. Et qui n’a pas rêvé de potasser ses dossiers sur une plage andalouse…