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La compréhension des parcours de "ruptures scolaires" et de "déscolarisation " des collégiens de milieux populaires
Concernant la disqualification des parents aux yeux de leurs enfants, il faut insister sur la contribution de l’école ou de la scolarisation à cette disqualification symbolique et du coup à l’altération des liens familiaux. On peut lister les effets potentiels de la scolarisation de ce point de vue : la production d’un sentiment d’incompétence des parents à leurs yeux comme à ceux de leurs enfants ; le sentiment de honte des enfants quand ils s’aperçoivent que leurs parents, le père ou la mère, ne comprennent pas ce que disent les enseignants ou ce que l’école demande, etc., ne maîtrisent pas les compétences scolaires, les processus institutionnels, ne maîtrisent pas le Français standard, c’est-à-dire scolaire, institutionnalisé, etc. Tout se passe comme si l’école, à défaut de réussir à transmettre les savoirs scolaires à ces enfants, parvenaient à leur transmettre l’illégitimité de leurs origines.
D’une certaine manière, l’école risque souvent d’être la négation de la famille ou de la socialisation primaire pour les enfants des familles les plus éloignées de l’univers scolaire et les moins conformes au modèle familial dominant. Lorsqu’un collégien d’Amiens déclare : "les profs, ils insultent nos parents", il n’a peut-être jamais entendu qui que ce soit au collège insulter explicitement ses parents. En revanche, il exprime le sentiment que l’école, par ce qu’elle véhicule, disqualifie son milieu d’origine. A chaque fois que l’on présente certaines pratiques comme impératives et à prétention universelle (et à connotations morales) ou que l’on stigmatise certaines pratiques ("il faut lire", "on ne parle pas comme cela", "ce n’est pas une tenue !", etc.) et que ces pratiques valorisées sont très éloignées des pratiques familiales ou que les pratiques stigmatisées renvoient à des pratiques familiales, les enfants voient certaines de leurs manières de faire, héritées de leurs propres parents, disqualifiées, rabaissées… Autrement dit, les enfants, à travers la sanction de leur comportement, peuvent voir sanctionner des savoirs et manières de faire familiaux qui les renvoient à l’indignité culturelle de leurs origines. On est là sur un problème particulièrement difficile car l’école peut ainsi contribuer à disqualifier les familles au moment où elle déplore leur "perte d’autorité" et, plus les familles sont en situation difficile au plan social comme au plan de l’éducation de leurs enfants, plus le risque de disqualification par l’école grandit car l’écart entre ce que l’école attend des parents et ce qu’ils peuvent faire grandit.
De ce point de vue, le phénomène est sans doute à son paroxysme lorsque s’accumulent sur l’élève les sanctions pour son indiscipline, sanction qui apparaissent plus ou moins comme des sanctions de la famille incapable de remédier au comportement de leur progéniture…./…