In Le Blog de Bernard Collot – le 28 novembre 2013 :
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Il y a un consensus quasi général sur le constat que tous nos systèmes sociaux, économiques, agricoles, industriels, financiers, politiques et bien sûr éducatifs, sont de moins en moins satisfaisants.
Oui mais !
L’insatisfaction n’est pas la même pour tous, des minorités diverses peuvent encore trouver des avantages dans des systèmes défaillants, même si ces minorités s’amenuisent, mais en général elles détiennent les rennes de ces systèmes. Ils sont d’ailleurs présentés pour que chacun de la majorité pense, qu’un jour indéterminé, il en bénéficiera aussi. Le seul comportement intelligent possible aujourd’hui, c’est comment je vais pouvoir tirer mon épingle du jeu (par exemple, aider son gosse à s’en sortir à l’école en supportant ses absurdités).
Nous sommes englués dans des systèmes que nous ne percevons même plus et surtout nous n’avons plus à notre disposition des perspectives cohérentes vers lesquels nous pourrions nous engager. Il y a bien eu la perspective politique de la république, puis celle du communisme qui ont engagé des transformations. L’une s’est pervertie rapidement dans de simples transferts de pouvoirs, l’autre, également dénaturée par le bolchevisme et plaquée brutalement, a abouti à l’échec monumental qu’on connaît. Il faut remarquer que ces « révolutions » ne touchaient volontairement que les systèmes politiques : la Révolution n’a pas ou a peu changé les systèmes agricoles, industriels, commerciaux, financiers qui ont poursuivi inexorablement ce qu’on peut appeler aujourd’hui une fuite en avant. Pour l’URSS, l’exemple le plus étonnant (pour moi) est celui de son école, conçue à l’identique de l’école capitaliste !
Tous les politiques (femmes et hommes) aujourd’hui, voire tous les intellectuels qui ont pignon sur rue de l’opinion, sont incapables d’imaginer d’autres systèmes politiques et sociaux cohérents et ce qui pourrait être leurs fondements.
Oui mais ! Pas possible !
Tous ces systèmes sont devenus tellement compliqués, imbriqués et généralisés (mondialisme), ils nous mettent dans une telle dépendance, ont créé de tels habitus, que la moindre transformation butte sur le « ce n’est pas possible ». C’est certainement l’expression qui a le plus d’occurrence dans tout ce qu’on entend et que nous disons nous-mêmes. Même si quelques-uns réalisent justement cet « impossible » dans de multiples domaines, nous nous gardons bien de le regarder ou nous l’assortissons de « Oui mais ! Eux c’est pas pareil ! Ils sont spéciaux ! Ils sont dans des conditions particulières. Ce n’est pas généralisable… ». C’est ce qu’on m’a sans cesse rétorqué à propos de l’école du 3ème type « C’est parce que tu étais tout seul, c’est parce que c’était à la campagne (les enfants n’y seraient pas de la même nature qu’ailleurs !), c’est parce que les parents étaient particuliers (les parents étaient aussi de même nature que tous les autres, et, malheureusement, subissaient les mêmes difficultés de tous ordres), c’est impossible parce que, parce que… »
L’école du 3ème type, qui n’est pas une autre pédagogie mais une autre conception de l’école et de ses finalités[1], n’arrive pas à sortir du petit cercle de celles et ceux qui en explorent les possibilités et la faisabilité… et qui y arrivent. Elle n’arrive même pas à être considérée simplement comme une proposition qui pourrait être critiquée, contestée, opposée à d’autres propositions… qui n’existent pas.
Lorsqu’on utilise l’expression « refonder l’école » on fait comme s’il ne s’agissait pas de « refonder le système éducatif ». L’école actuelle est bien celle qui convient au système éducatif actuel, ou l’inverse. Dissocier l’école du système éducatif relève de l’escroquerie intellectuelle. Or on ne sait pas, ni quelle serait la finalité d’un autre système éducatif, ni sur quoi il se fonderait, ni quelle serait son autre organisation (je l’ai appelée son autre architecture dans « Ecole et société »).
Que ce soit pour l’école ou pour toutes les autres transformations que nécessiteraient tous les systèmes de notre société, on ne sait pas ou on ne cherche pas, avant, ce que ces systèmes pourraient être. On poursuit les fuites en avant ou les rafistolages. On sait par contre que toute substitution brutale d’un système à un autre est vouée à l’échec à plus ou moins long terme, l’histoire nous l’a démontré sans cesse.
Le stade des transitions
Alors, faisons comme si l’école du 3ème type était la perspective vers laquelle nous voudrions que le système éducatif aille dans une finalité uniquement humaniste (construction de l’humain pour une société humaine), puisqu’elle existe et est déjà une expérience (en tant que vécu).
Son histoire, que je fais remonter à plus d’un siècle (Freinet, Ferrer, Freire, Dewey, Montessori…) est avant tout le passage d’un état existant à un autre état. En bout de cette longue chaîne de tâtonnements et de nouvelles certitudes, la conception et la réalisation d’une école du 3ème type s’est avérée possible.
Nous soupçonnions que la construction de tous les langages s’effectue dans l’informel, dans ce qui échappe aux volontés d’appreneurs. Nous sommes quelques-uns à avoir démontré que cela se passait effectivement quand on donne les conditions qui le favorisent.
L’école du 3ème type peut donc devenir une perspective et non un modèle à appliquer brutalement.
Sur le terrain, les échanges de tous les praticiens qui s’engagent actuellement dans cette voie[2] décrivent les tâtonnements absolument nécessaires pour passer d’un état à un autre : état dans lequel chaque enseignant est (ses représentations), état dans lequel sont les enfants (leurs habitus), état dans lequel sont les parents (leurs représentations, leurs croyances, leurs aspirations, leurs inquiétudes…), état dans lequel est le territoire de proximité, ses élus et ses habitants (liens sociaux existants ou inexistants, importance et moyens accordés à l’école, conditions économiques…). Mon propre parcours n’a été qu’une longue transition, chaque transformation en permettant de nouvelles.
Ces praticiens démontrent aussi le possible malgré l’hostilité d’un système conçu pour s’opposer à cette évolution.
Ce faisant, ont été aussi pointés un certain nombre de repères dans cette transition ainsi qu’à pu s’élaborer la conception d’un autre système éducatif dans une autre finalité (voir « école et société »). Parce qu’il faut bien passer de ce que révèlent les pratiques du terrain à un projet politique de l’Education nationale. Tout projet politique doit s’inscrire dans une perspective et doit imaginer quelle devrait être l’architecture du système (système éducatif pour l’école) qui permette de la réaliser. C’est ce qui a toujours précédé les révolutions. Mais cela reste toujours une hypothèse de travail, une base, comme tout ingénieur qui a besoin d’élaborer un plan avec ce qu’il connait avant d’entreprendre une construction. Il faut bien savoir vers où on veut aller, même si l’arrivée pourra être quelque peu différente de ce qu’on avait prévu. C’est dans ce sens que j’ai élaboré les propositions d’une école publique mais autrement publique dans « Ecole et société ». Il faut bien que sur les tables de travail il y ait des concrets pour en débattre, comparer, critiquer, contester, modifier, amender… ce qui a fait cruellement défaut lors d’une refondation qui du coup ne pouvait en être une.
Une fois un but à atteindre défini, l’hypothèse du cadre dans lequel il pourra se réaliser établie (imaginer un autre système éducatif), toute politique devrait consister à mettre peu à peu en place ce qui doit permettre la transformation d’un système que l’on ne peut pas détruire d’un seul coup, ni remplacer d’un seul coup par un autre. Il n’y a pas que l’expérience des praticiens dans leurs écoles qui le démontrent, sur un plan plus vaste les Finlandais l’ont fait.
Dans toute transformation d’un système social en un autre (révolution quand la transformation est à 360°), il n’y a pas que l’organisation du système et les pratiques qui sont bouleversées. Ce sont aussi les représentations qui doivent se modifier, les comportements, les habitus, les relations. Ce sont aussi les positions que chacun occupait dans ce système, les fonctions et les pouvoirs qu’il y avait, les postures qui devaient être les siennes… qui ne seront plus les mêmes. Ce bouleversement que chacun perçoit instinctivement est aussi la cause des résistances. C’est peut-être l’impasse sur ce phénomène qui a voué les révolutions à l’échec ou qui rend les révolutions qu’on pense non dirigées, comme celle de la communication, non fécondes et n’entraînant pas le passage à un autre paradigme.
La difficulté qui demande l’intelligence des politiques, est donc dans la transition, puisque ce sont eux qui ont ce pouvoir.
Le premier stade de cette transition serait d’abord de desserrer le système éducatif actuel. Plus il brinquebale, plus on resserre inutilement les boulons, voire on en rajoute, le grippant un peu plus. Il faut d’abord ôter les blocages. C’est dans des respirations retrouvées qu’on peut avancer (voir le billet précédent « Mr le Ministre si avant de refonder vous libériez »).
Ce qu’on peut appeler alors le paysage éducatif se modifiera quelque peu et ce qui apparaît encore comme impossible pourra s’envisager. Une transition pourra s’entreprendre dans ce qui est aussi nécessaire aux systèmes qu’aux personnes, la tranquillité.
Le problème est le même pour l’agriculture biologique que l’on veut faire côtoyer avec une agriculture industrielle dans une économie de marchés, comme on veut faire côtoyer des pédagogies aux fondements opposés dans un système éducatif dont la finalité est aussi d’alimenter une économie de marchés. L’histoire nous a toujours montré que toutes les expériences positives d’une autre approche de la vie sociale ont un avenir éphémère si simultanément les systèmes généraux dans lesquels elles s’effectuent ne se modifient pas. Mais aussi que les systèmes ne peuvent se modifier sans expériences sociales différentes. Il y a une rétroaction à permettre.
[1] Voir le tome 2 des chroniques d’une école du 3ème type, « Ecole et société », auto-édité pour l’instant chez TheBookdition.com, mais qui sera publié par les éditions de L’Instant Présent début 2014.
[2] Liste de diffusion « pratiques »