L’histoire (tarabiscotée mais d’autant plus significative) des « devoirs envers Dieu » dans les programmes de l’école primaire publique commence en 1882 et dure jusqu’au régime de Vichy .
Les débuts eux-mêmes sont quelque peu étranges. Lors de la première discussion au Sénat de la loi de 1882 sur l’obligation scolaire et la laïcité des écoles primaires publiques, le sénateur républicain (et spiritualiste) Jules Simon propose dans un amendement d’introduire les « devoirs envers Dieu et envers la patrie ». Cet amendement est refusé par Jules Ferry : « on ne vote pas Dieu dans les assemblées ! ». Adopté en première lecture, il est finalement rejeté en deuxième lecture par la Chambre des députés et le Sénat, malgré les admonestations de Jules Simon : « Mettez le nom de Dieu dans cette loi : mettez le, je vous en supplie, au nom de la République et aussi au nom de la France ».
Et pourtant les « devoirs envers Dieu » sont inscrits dans le texte réglementaire (publié le 27 juillet 1882) du programme de morale au cours moyen par le Conseil supérieur de l’Instruction publique. Le ministre Jules Ferry a laissé faire le Conseil (composé surtout d’universitaires spiritualistes- donc déistes – à l’image de ce qu’étaient alors plupart des enseignants de l’Ecole publique, comme l’avait d’ailleurs reconnu Jules Ferry lors des débats parlementaires).
« Devoirs envers Dieu. L’instituteur n’est pas chargé de faire un cours ex professo sur la notion et les attributs de Dieu ; l’enseignement qu’il doit donner à tous indistinctement se borne à deux points. D’abord, il leur apprend à ne pas prononcer légèrement le nom de Dieu ; il associe étroitement dans leur esprit à l’idée de la Cause première et de l’Etre parfait un sentiment de respect et de vénération ; et il habitue chacun d’eux à environner du même respect cette notion de Dieu, alors même qu’elle se présenterait à lui sous des formes différentes de celles de sa propre religion. Ensuite, et sans s’occuper des prescriptions spéciales aux diverses communions, l’instituteur s’attache à faire comprendre et sentir à l’enfant que le premier hommage qu’il doit à la divinité, c’est l’obéissance aux lois de Dieu telles que les lui révèlent sa conscience et sa raison ».
Peu à peu, mais surtout au tournant du siècle, une évolution sensible d’ordre idéologique se produit au sein des milieux enseignants . A son congrès de 1901, la Ligue de l’enseignement propose pour la première fois que l’enseignement des « devoirs envers Dieu » soit supprimé dans les programmes de l’école primaire laïque (et remplacé dans les écoles normales par un enseignement sur l’histoire des religions). Jean Jaurès est favorable ; mais Ferdinand Buisson (qui avait été très impliqué en tant que Directeur de l’enseignement primaire dans la rédaction du programme de 1882 et des « devoirs envers Dieu ») est hostile à cette suppression, qui n’est finalement pas décidée.
En février 1923, le Directeur de l’enseignement primaire Paul Lapie (un disciple du sociologue Durkheim) propose au ministre de l’Instruction publique Léon Bérard (en pleine période du « Bloc national » et d’une Chambre à large majorité de droite »bleu horizon ») la suppression de nombre d’indications dans les programmes de morale sous couvert de »simplifications ». Le signataire de l’arrêté du 23 février 1923 – le ministre de l’Instruction publique Léon Bérard – est furieux de prendre conscience après coup que son directeur de l’enseignement primaire Paul Lapie en a profité pour faire disparaître les « devoirs envers Dieu » !
Paul Lapie doit se »rattraper » par la publication, en juin 1923, d’une instruction reprenant d’importants passages du programme de 1882, en particulier du texte sur les « devoirs envers Dieu »
La question resurgit sous Vichy lorsque le 23 novembre 1940 le philosophe Jacques Chevalier (filleul du maréchal Pétain et Secrétaire d’Etat à l’Education nationale) introduit très explicitement les « devoirs envers Dieu » dans le cours supérieur (celui qui suit le cours moyen). Son successeur au ministère de l’Education nationale, l’historien Jérome Carcopino, remplace les « devoirs envers Dieu » par « les valeurs spirituelles, la Patrie, la civilisation chrétienne » (en mars 1941).
A la Libération, disparition, de près ou de loin, de toute référence aux « devoirs envers Dieu ». C’était il y a soixante-dix ans. Mais, durant une soixantaine d’années auparavant, l’école républicaine et laïque a eu au programme l’enseignement des « devoirs envers Dieu » sans problèmes ou états d’âme majeurs (et cela alors même que la République était encore de temps à autre sous menaces »théocratiques »). Sidérant, non ?
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