In Le Figaro.fr – le 14 janvier 2014 :
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[…] Deux pères, l’un portant un nom à consonance française, l’autre maghrébine: sur la base de cette méthode de testing, trois chercheurs concluent à une discrimination lors de l’inscription auprès d‘établissements privés.
L’enseignement privé sous contrat avec l’État opère-t-il une sélection discriminante de ses élèves lors des inscriptions? Vaste question sur laquelle il n’existe pas de données. «À notre connaissance, les raisons de (l’) inégale répartition des élèves entre l’enseignement public et l’enseignement privé, selon leur origine sociale et ethnique n’a pas pu être analysée faute d’informations sur les demandes d’inscription auprès des établissements privés», constatent trois chercheurs du CNRS qui se sont penchés sur l’accès à l’enseignement privé en utilisant une méthode de testing. L’étude menée entre mars et juin 2011 (la discrimination à l’entrée des établissements scolaires privés: les résultats d’une expérience contrôlée, menée auprès de 4269 établissements privés répartis sur le territoire français) est basée sur l’identité de deux pères fictifs, l’un portant un nom à consonance française, l’autre à consonance maghrébine adressant un message aux établissements pour obtenir plus d’information en vue d’y inscrire leur enfant à la rentrée suivante en CE1, CE2, CM1, 5e ou 4e.
Pression des familles
«Nos résultats mettent en évidence une discrimination», concluent les chercheurs. Dans 18 % des cas, les établissements privés discriminent le père issu de l’immigration: on lui répond moins (écarts de 11 points dans les écoles élémentaires, de 16 dans les collèges), plus souvent par un refus (écarts respectifs de 6 et 11 points) et moins souvent par une réponse positive ferme (il doit passer davantage par la case rendez-vous).
Loin de nier cette réalité, Pascal Balmand, secrétaire général du Secrétariat à l’enseignement catholique, explique dans une interview à l’Agence Éducation Formation (AEF) que «paradoxalement, des chefs d’établissement peuvent sincèrement souhaiter l’ouverture à tous et en même temps être confrontés à une pression de certaines familles voire d’enseignants qui restent attachés à une conception de l’enseignement catholique qui n’est pas la nôtre». Le nouveau secrétaire général, qui a pris ses fonctions cet été et affiche clairement une volonté d’ouverture sociale, va-t-il accompagner son message de mesures concrètes?
Dans cette étude, les chercheurs du CNRS rappellent à trois reprises que l’enseignement privé bénéficie chaque année, d’«un budget non négligeable» venu de l’État et des collectivités territoriales (respectivement 6663 et 1483 millions en 2008) et que parmi les contreparties à ce financement figure «l’obligation de respecter le principe de non discrimination». Principe inscrit dans la loi Debré de 1959, martèlent-ils.
La difficulté à intégrer l’enseignement privé
Plus globalement, au-delà de la question de la discrimination, cette étude démontre clairement la difficulté à intégrer l’enseignement privé par les voies classiques (les pères fictifs ont adressé leur message via une plateforme élaborée par l’éducation nationale). Dans 61 % des cas, les deux pères n’ont pas reçu de réponses de la part des établissements sollicités (67 % pour les pères d’origine maghrébine et 55 % pour les pères d’origine française). À l’opposé, ils ont reçu seulement 6 % de réponses positives fermes (respectivement 4,43 et 8,36 %).
Selon les statistiques de l’éducation nationale, l’enseignement privé (à 97,8 % sous contrat avec l’État) scolarise 13,4 % des écoliers du premier degré et 21,3 % des élèves du second degré. Les enfants issus des catégories les moins favorisées ne représentent que 40 % de ces effectifs (contre 56 % dans le secteur public). Pourtant, le privé tend à réduire l’écart d’aptitudes entre élèves issus de classes favorisées et défavorisés, alors que le public l’augmente, comme le rappellent les chercheurs en se basant sur des études sur le sujet. Les familles de cadres se tournent vers lui quand leurs enfants présentent des problèmes scolaires, tandis que les classes modestes y ont recours quand leurs enfants révèlent des facilités d’apprentissage. […]