[…] Mais, même en supposant que des réponses plus satisfaisantes soient apportées aux problèmes sociaux empêchant les enfants des familles pauvres d’apprendre à égalité de droits avec les autres, nous n’aurions fait qu’une partie du chemin pour la réussite de tous.
Au-delà de la question sociale, la réduction des inégalités en matière de réussite scolaire nécessite de trouver les moyens de mettre en application le principe « tous les élèves sont capables de réussir » qui figure dans la loi de refondation du 8 juillet 2013, c’est-à-dire de lever les obstacles à la réussite de tous, et de passer ainsi de la massification réussie à la démocratisation de la réussite scolaire.
Car l’augmentation insupportable des inégalités au sein de notre école est aussi, et est
surtout, la conséquence des choix faits dans l’organisation même du système éducatif.
Quatre leviers doivent être actionnés pour une politique globale mise au service d’un objectif unique : la réussite de tous les élèves. Là encore, en prenant appui sur les actions déjà conduites sur le terrain par des écoles, collèges et lycées, et sur les résultats de la recherche, le rapport fait des propositions très concrètes.
• Une concentration accrue des efforts et des moyens en direction des élèves et des territoires les plus fragiles, condition nécessaire pour une égalité des droits. La loi de refondation a engagé jusqu’en 2017, dans le cadre de la création de 54 000 postes pour l’enseignement scolaire, une attribution de moyens destinée à concentrer les efforts sur la priorité au primaire, la formation des maîtres et l’éducation prioritaire. Ces moyens nouveaux marquent l’engagement déterminé de la nation en faveur de son école dans un contexte budgétaire très
difficile.
En complément de ces efforts, il appartient au système éducatif de se
réformer afin de trouver en son sein, ses propres marges de manoeuvre budgétaires,
par exemple en réorientant les moyens consacrés au redoublement ou en dotant
davantage notre école primaire (sous-dotée de 15 % par rapport aux dépenses
effectuées dans d’autres pays, alors que notre lycée coûte 15 % plus cher).
• Une politique pédagogique et éducative globale pour une école inclusive, c’est-à-dire une école qui s’organise pour privilégier le « scolariser ensemble » au cours de la scolarité obligatoire et permettre à tous les élèves de réussir. La feuille de route donnée au système éducatif par la nation est donc très claire. Pour progresser sur ces différents points, il faut considérer non seulement que les enfants des pauvres, comme tous les enfants, ont un droit fondamental à la réussite scolaire mais que la réussite leur est accessible.
Et, bien entendu, ce dont ont besoin les enfants des familles pauvres, c’est que cesse la ségrégation sociale et scolaire qui les empêche d’apprendre avec les autres.
Une grande erreur consisterait à penser qu’il suffirait d’intervenir pédagogiquement
auprès des seuls jeunes en situation de grande pauvreté pour résoudre leurs
difficultés. L’école qui s’adresse aux enfants des pauvres ne peut être une pauvre
école, organisée à part et avec moins d’ambition.
Si l’on veut mettre réellement en application le principe affirmé dans la loi de refondation de 2013 d’une école inclusive, car tous les élèves sont capables d’apprendre, alors toute la scolarité obligatoire doit être conçue comme à la fois exigeante et bienveillante pour tous les élèves, gratuite dans son offre, avec une part significative d’enseignement collectif en classes hétérogènes. Il ne s’agit pas de décrire ce que serait une pédagogie idéale pour la réussite de tous et donc pour les enfants des familles pauvres. La diversité des approches possibles et des chemins pour assurer la réussite de tous interdit tout dogmatisme en la matière et appelle à la retenue.
Mais on voit tout de même les grandes directions à suivre. En effet, grâce aux acteurs de terrain et à la recherche, les principes d’organisation et de fonctionnement de l’école plus favorables que d’autres à la réussite de tous sont perçus relativement clairement et depuis longtemps. Notre école est pleine de ressources, la question est de savoir comment généraliser ce qui marche, comment lever les blocages, comment passer de « l’innovation à la transformation » ?
• Une politique de gestion et de formation des ressources humaines pour réduire les inégalités. Pour que les enfants et adolescents des familles qui ont des conditions de vie très difficiles réussissent, il faut qu’ils puissent bénéficier de l’enseignement de personnels bien formés, expérimentés, mieux considérés, et remplacés quand ils sont absents, ce qui est tout de même un minimum. Aujourd’hui par exemple, les enseignants présents dans les établissements de l’éducation prioritaire sont plus jeunes et sont plus fréquemment non titulaires que dans les autres établissements. Ce constat relativise, de fait, les efforts budgétaires en faveur des territoires en difficulté car les traitements des débutants et des non titulaires sont moins coûteux que ceux des professionnels expérimentés.
Les moyens consacrés à la refondation de l’éducation prioritaire vont dans le bon
sens car ils ont notamment pour objectif de permettre de reconnaître la spécificité
du travail en éducation prioritaire. Dans le cadre de la réforme de l’éducation prioritaire, les enseignants de REP+2 bénéficient en effet d’une revalorisation des indemnités et d’un temps de service devant élèves moindre pour faciliter le travail
en équipe, la réalisation de projets, le suivi des élèves et les relations avec les parents.
Mais, avec l’aggravation et la concentration des difficultés sociales et scolaires, il faudra aller plus loin pour faciliter la constitution d’équipes pédagogiques et éducatives pérennes en éducation prioritaire, notamment dans les secteurs géographiques les moins attractifs.
• Enfin, le quatrième levier est l’alliance éducative indispensable entre l’école, les parents d’élèves, les collectivités territoriales et les associations. La réduction des écarts de réussite scolaire ne se règlera pas sans un effort collectif accompagnant l’action de l’État et de ses personnels.
Cette action concerne les élus, les parents, les associations, les entreprises. C’est pourquoi, il n’y a pas de réussite scolaire possible sans programme plus large de « réussite éducative » qui permette de nouer des solidarités fondées sur la conjugaison des compétences et des responsabilités sur un territoire et non plus seulement sur leur seule juxtaposition. Cela est tout particulièrement nécessaire s’agissant des relations de l’école avec les familles en situation de pauvreté. Éduquer un enfant ne peut se faire que dans une relation de confiance entre l’école et les parents. La confiance ne s’obtient que si les familles pauvres sont d’abord considérées comme des familles qui tentent, comme les autres familles, d’élever leurs enfants dans les meilleures conditions possibles. Elles ne sont pas différentes des autres familles. Beaucoup de choses peuvent changer dès lors que les regards évoluent et que les préjugés tombent.
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