Annonce
Argumentaire
Similairement à ce en quoi se constitue précisément le care, ce numéro de Éducation et socialisation veut faire entendre une autre voix en éducation que celle de l’autorité et de la confiscation campée par la référence à l’idée d’autonomie dans ce champ. À cette fin, l’éducation ne peut être pensée seulement à partir d’une extériorité tout autant qu’elle ne peut se réaliser uniquement à partir de la seule subjectivité ou de la seule intersubjectivité. En ce qui concerne une « extériorité », nous renvoyons à toutes les prescriptions institutionnelles, à toutes les méthodes pédagogiques, voire à tous les principes philosophiques qui entendent déterminer comment produire cet objet. Et en ce qui concerne une « subjectivité », nous renvoyons à toutes les approches psychologiques ou psychothérapeutiques qui circonscrivent à partir de quoi il faut le produire. Prise entre les deux, il ne fait aucun doute que la temporalité éducative est réduite à celle d’un temps programmatique qui ne cesse de pousser à des ruptures, à des sauts, en passant de stade en stade, de zone à zone, etc. Dans tous les cas, ce qui se pense et se passe en éducation reçoit l’injonction d’obéir aux préceptes de l’autonomie qui suppose (impose ?) l’idée d’une rupture d’avec la condition enfantine originelle.
Or, du point de vue du care, nous avons à considérer la dépendance comme inhérente à la condition humaine, comme travaillant tout lien social, de façon plus ou moins reconnue dans le champ culturel, plus ou moins accueilli par l’espace politique. Cette dépendance peut être comprise comme non pas l’inverse de la liberté, mais comme sa complémentaire : la liberté est alors ce qui permet de choisir d’investir certains liens et non de se défaire de tous liens, elle est aussi ce qu’on fait des liens qu’on ne peut pas défaire.
L’invitation alors adressée à l’occasion de ce dossier est de donner la parole, puisqu’elle est non cachée même si oubliée voire ignorée par la puissante voix de l’autonomie, à cette dépendance comme réalité résistante au cœur de l’espace éducatif. Espace éducatif qui, de la sorte, n’est pas nécessairement à dépasser, mais plutôt à déplacer. Et pour ce faire, une piste à suivre serait peut-être celle de la temporalité humaine qui dans sa réalité, et en contrepoint de la temporalité programmatique évoquée précédemment, ne ressemble vraisemblablement pas à une montée en puissance indéfinie qui porterait le nom d’autonomie, mais plutôt à des réajustements continus :
- déconstructions et reconstructions de dépendance (se séparer – en partie – de ses parents, faire alliance avec un conjoint),
- dépendances surmontées (renoncer à son doudou) et dépendances insurmontables (avoir toujours besoin de l’affection de quelqu’un),
- dépendance qui ne cesse de se recomposer (autour de la maladie, autour d’un vieillissement qui oblige à modifier ses investissements, autour d’une famille dont la forme évolue, autour d’un travail plus ou moins prenant, plus ou moins épanouissant).
Très concrètement la question posée ici est celle d’un choix à opérer entre un espace éducatif qui a vocation à faire sortir d’un état ou un espace éducatif qui a à apprendre à réaliser toutes les potentialités qui se présentent dans un état, et se réaliser par leur mise en jeu.
Par ailleurs, les questions institutionnelles sont en même temps des questions politiques. Dans cette perspective, on pourrait envisager que l’école est déjà le lieu de construction de la liberté : elle permettrait d’y faire des choix raisonnés et éclairés à distance de dépendances passives obstruantes (telle famille, telle culture d’origine, telles croyances, telle histoire, telle fatalité…). Or toute la difficulté est sans doute que cet espace éducatif qui est là un espace de rupture, en ce qu’il induit une séparation, fait de surcroit de l’autonomie un objectif, et même une valeur. Ceci s’accompagne évidemment de contraintes liées au collectif (qui peut sembler exiger, pragmatiquement, une distance à l’enfant), mais aussi d’une représentation de l’autonomie comme sans cesse menacée par les affects, les émotions, les attachements. Cette représentation aboutit, pour finir, à une sorte de séparation entre vie intellectuelle et vie sensible : la distance critique, nécessaire tant aux visées d’une discussion rationnelle qu’à celles de l’examen scientifique réclamerait en même temps une distance affective (cette affectivité est à comprendre au sens d’une vie affective, dans la possibilité d’être affecté en tant que vivant).
Cependant à côté du paradigme de l’autonomie/distance conférant son statut politique au système éducatif se voulant en retrait pour mieux symboliser une sacralité imperméable à tout dévoiement, deux orientations peuvent être proposées comme alternatives : celle d’un rapprochement des espaces (école/famille), bien repéré aujourd’hui, mais aussi celle d’une acceptation d’une « autre dépendance », celle que l’enfant noue dans cet autre espace qu’est pour lui l’école. Il y noue en effet des liens avec ses pairs, avec ses enseignants, mais aussi avec un lieu, avec de nouveaux objets, de nouvelles habitudes, de nouvelles pratiques (la promotion, indiscutée, de la lecture peut avoir pour effet de se sentir dépendants de ces nouveaux objets que sont les livres), et finalement du savoir lui-même. Le désir de savoir, que les enseignants peuvent considérer comme le sommet de l’entreprise éducative, est l’institution d’un lien toujours renforcé à de nouveaux objets, de nouveaux interlocuteurs, de nouvelles institutions. Ici invitation est par conséquent lancée pour donner forme au visage que prendrait le système éducatif en répondant à cette dynamique politique de l’ouverture. Dynamique dont la spécificité est de toujours embrasser ce qui relie et qui, encore une fois, ne cherche pas à promouvoir toujours plus d’autonomie mais à s’inscrire de dépendance en dépendance en espérant une liberté conquise dans les voies de passages empruntées.
Enfin, et dans la veine de ce qui précède, une place peut aussi être accordée à la question de ce que deviennent les pratiques professionnelles, dans le champ éducatif, non pas pour viser et ne jamais atteindre un statut, celui de sujet autonome, qui n’a de cesse de se dérober, mais pour accompagner ce mouvement de dépendance à ce qui, nous liant, nous tient et nous soutient. Cette interrogation puise à la source d’une action de care en ce qu’avec l’effort réflexif que fournit ce courant, c’est avant toute chose une visée transformatrice qui l’anime. C’est pourquoi, donnant à voir que sous l’impulsion des Lumières le primat de l’universalisation s’installe (au moins historiquement) dans ce qui signe un éloignement de tout un chacun envers les autres, il y a peut-être lieu de se demander si cela ne rejaillit pas sur une distorsion de la situation éducative ? Cette dernière, au travers de ce qui constitue la proximité immédiate du maître et des élèves, ne voit-elle pas ce qui les rassemble ne plus être envisageable que dans ce qui les met à distance l’un de l’autre ? Dans leur relation, n’en viennent-ils pas à s’inscrire dans un jeu de positions et de vis-à-vis dans lequel le couple enseigner-apprendre se trouve normé par des rôles propres et prescrits ? Et là encore, si tel est le cas, se repose la même question : une autre voix se fait-elle entendre ?
Numéro coordonné par Pierre Usclat (UCO Angers), Renaud Hétier (UCO Angers) et Roger Monjo (université Montpellier3).
Modalités pratiques d’envoi des propositions
Les articles devront être adressés à educationetsocialisation@univ-montp3.fr
- Envoi des articles pour évaluation :
31 mars 2015.
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