In Le Nouvel Observateur – le 23 mars 2014 :
Accéder au site source de notre article.
Apprendre, c’est bien. Apprendre avec plaisir, c’est encore mieux, spécialement pour les enfants les moins favorisés. Mais chut ! C’est une promotion du "laxisme".
"Le plaisir est-il un appui ou un obstacle à l’apprentissage ?" Si l’on posait cette question aux Français, beaucoup répondrait sans doute "un appui". Et pourtant, lorsqu’on se met à parler du plaisir dans le champ scolaire, souvent, les sourcils se froncent. Oui, bon d’accord, mais il ne faudrait pas non plus que les enseignants s’abaissent à "faire plaisir" aux élèves… Ce n’est pas leur travail : ils sont là pour transmettre le savoir, avec conscience et méticulosité, pas pour jouer aux animateurs de parc d’attraction.
En général, le spectre du philosophe Alain Finkielkraut surgit peu après, tout caparaçonné de ronflantes notions : "nécessité de l’effort", "exigence", "persévérance"… On se met à évoquer, l’œil humide, ces professeurs du passé qui étaient, comme on le dit chez Gotlib, "sévères mais justes". La discussion s’achève sur l’assertion que la notion de plaisir à l’école est un "truc pour bobos", voire une démagogie dangereuse : comment expliquer autrement la montée de l’irrespect et de la violence dans certains établissements ?
Vecteur de réussite
Mais si le laxisme se situait justement de l’autre côté ? Du côté de ceux qui se contrefichent qu’une partie grandissante des élèves décrochent à l’école parce qu’elle ressemble trop à un sermon en chaire ? Que l’ennui y prenne une place si extraordinaire qu’il explique, en partie, les performances médiocres des petits Français, surtout ceux issus des milieux les moins favorisés ? Et que le plaisir soit, disent plusieurs études, un indéniable vecteur de réussite à l’école ?
Sachons gré, donc, au pédagogue Philipe Meirieu et à la dizaine d’auteurs enrôlés dans l’essai "Le plaisir d’apprendre" (1) de réhabiliter cette notion, non parce qu’elle serait moralement supérieure à la sévérité, mais parce qu’elle est intimement liée la performance scolaire.
Bien sûr, il y a l’exemple coréen ou chinois – ces hordes d’écoliers quasi-robotisés affichant des performances redoutables. Sauf que les enfants français ont probablement plus avoir avec leurs homologues scandinaves ou canadiens, des modèles qui, eux, ne négligent pas le bonheur d’apprendre, ni les efforts incontestables que cela réclame de la part des profs.
Rattraper les démobilisés
Comme le martèle l’ouvrage, il n’est pas question de remettre en cause l’engagement et la bonne volonté des enseignants, mais plutôt d’interroger un système scolaire français hérité des écoles jésuitiques et qui se résume souvent à l’injonction : marche ou crève. Or, "ce n’est pas parce qu’on n’est pas motivé qu’on ne réussit pas : c’est parce qu’on n’a jamais réussi – ou si peu – qu’on n’est pas motivé", dit Meirieu avec justesse.
Mais rattraper les éléments démobilisés en rendant ses cours plus attrayants, en laissant davantage d’espace au ludique et aux productions personnelles, est moins encouragé que de déclarer qu’ils "ne foutent rien" – surtout quand on est soumis à l’impératif terrible de "boucler le programme" de l’année. Et c’est ainsi qu’une école française à deux vitesses s’installe, dès la maternelle…
"Droit à la paresse"?
Autre lieu commun enraciné que lève cet ouvrage : favoriser le plaisir scolaire ne revient pas à jeter par-dessus bord la notion d’effort. "Combien d’entre nous trouvent du bonheur dans l’effort, dans le plaisir de courir, d’escalader des montagnes, des bricoler, d’apprendre la musique ?", interroge le sociologue François Dubet dans l’une des contributions. C’est souvent parce que nous adoptons spontanément le point de vue de notre tradition scolaire (…) que le droit au bonheur est perçu comme une sorte de ‘droit à la paresse’."
Parmi les exemples concrets (trop rares dans ce livre) qui viennent appuyer cette évidence, on en retiendra un : celle de cette prof de français de banlieue parisienne qui utilise avec succès les blogs, Twitter et Facebook pour faire écrire ses élèves. On préfère ne pas imaginer ce qu’Alain Finkielkraut en pense…
Arnaud Gonzague – Le Nouvel Observateur
(1) Philippe Meirieu (dir.), "Le plaisir d’apprendre", Autrement, 160 p., 19 euros.