A la lecture de cet ouvrage, on s’étonne qu’alors que son sujet constitue actuellement une sorte de passage obligé de tous les discours – du ministre à l’enseignant et au chef d’établissement en passant notamment par les recteurs et les syndicats – il n’ait jamais à notre connaissance traité avec un tel niveau d’approfondissement et encore davantage avec une telle ampleur. Il est vrai que les deux coordonnateurs (et auteurs) de l’ouvrage se sont entourés des compétences d’un inspecteur pédagogique régional chargé du suivi des « établissements » dans son académie, d’une proviseur de lycée, d’une principale de collège. On peut toutefois se demander pourquoi, alors que ce livre met fortement l’accent sur la puissance pédagogique d’une autonomie bien pensée et bien réglée, n’y ont pas été associés des responsables (inspecteurs, enseignants…) des disciplines. Jean-Paul Delahaye et Gérard Mamou font tous deux en effet partie du groupe « Etablissements et vie scolaire » de l’inspection générale de l’Education nationale. Mais, encore une fois, le premier mérite ce livre est de se rapprocher pour la première fois d’une étude exhaustive du sujet.
Les auteurs en effet, répondant à leurs sensible objectif non seulement de participer à la réflexion sur ce sujet d’actualité devenu central, d’ouvrir même certains thèmes souvent occultés dans le débat (et cela ne date pas d’aujourd’hui !), mais également de contribuer à ce que ce débat repose sur des fondements théoriques solides : historiques, juridiques, administratifs, éducatifs, pédagogiques, etc. Surtout peut-être, on sent à la lecture de ce livre, écrit à cinq, mais remarquablement homogène, que si les auteurs tiennent visiblement à analyser avec rigueur et sans langue de bois l’autonomie de l’EPLE, leur véritable visée est que cette nécessaire autonomie se mette concrètement en place dans les établissements, et dans des conditions de pertinence, de vérité et de clarté telles que les dispositifs associés y produisent toute leur force de création et de réussite.
Sans langue de bois, disons-nous. Les auteurs connaissent les règles de bonne conduite. Mais on se réjouit que cette lecture abandonne délibérément les formules creuses et vaines que l’Education nationale, comme toute structure installée, secrète naturellement. Tous les thèmes traités profitent de cette liberté de ton, et le lecteur se sent assez souvent porté, alors que le sujet pouvait lui paraître d’abord rebutant. Ainsi, par exemple, écrivent-ils : « L’autonomie de l’EPLE est souvent considérée dans les établissements comme « factice », sinon « fictive », tant le « carcan » des procédures relatives aux moyens et des circulaires est pesant, tant le hiérarchique prend le dessus, à chaque étape, sur la part de liberté fonctionnelle. » Le deuxième chapitre du livre, qui synthétise de nombreux témoignages de chefs d’établissement, est à cet égard passionnant. De même, s’agissant du chapitre qui, après des rappels historiques en la matière (la notion formelle d’autonomie scolaire date de 1896 !), explique pourquoi il est si inquiétant que « le ministère de l’Education nationale garde si peu de mémoire de son passé ». De même encore pour la question fondamentale suivante : « La charge de travail et la nature des tâches concrètes qui en découlent pour les responsables des EPLE sont-elles entièrement fondées et justifiées ? Ne sont-elles pas excessives, voire abusives ? Correspondent-elles toujours aux missions fondamentales des établissements scolaires, à leur « spécialité », enseignement, éducation, préparation à la vie professionnelle ? Ne portent-elles pas atteinte au principe et à la réalité de l’autonomie des EPLE ? Et finalement, n’empêchent-elles pas tout le système éducatif d’évoluer, en alourdissant de façon paralysante l’existence même des établissements, les privant par là même d’une part de disponibilité, de la vitalité et de l’inventivité qui permettraient l’évolution positive et concrète de l’institution en faveur des élèves ? »
Sur ce dernier point : les auteurs montrent bien que seule une autonomie bien comprise d’établissement (il ne peut s’agir d’indépendance, répètent-ils, et non plus de l’autonomie du chef, ce qui n’aurait aucun sens juridique) peut permettre aux établissements d’à la fois aider les élèves les plus faibles ou moyens à progresser au mieux, et donner aux meilleurs toute la matière dont ils ont besoin. L’obsession des auteurs, en quelque sorte, consiste d’ailleurs dans l’utilité, voire la nécessité de l’application du principe, et celle-ci, devenue moyen de meilleure efficacité défini par le ministère, s’impose en tant qu’obligation absolue aux établissements ; mais si elle s’avérait au contraire contre-productive, son interdiction serait tout aussi légitime !
Ou encore : « Plus la qualité et l’intelligence stratégique d’un projet et d’un contrat seront grandes, plus la matière à gérer par l’établissement sera substantielle, et plus la cohésion et la participation des différents acteurs seront effectives, plus un collège ou un lycée pourra s’exprimer en qualité d’établissement public à caractère administratif, fort de ses instances participatives et dès lors de son autonomie. Dans le cas contraire, plus le projet et le contrat se réduisent à des actes administratifs et bureaucratiques procédant d’une politique nationale mouvante, dirigiste et à court terme, et plus l’évaluation externe ne sera que la manifestation ponctuelle et publique d’une tutelle centralisatrice chassant les marges d’autonomie de l’EPLE. »
Ce livre ne n’élude ou n’omet, semble-t-il, aucune des facettes de son sujet. Les 31 pages du chapitre sur les relations administratives et fonctionnelles des établissements avec les collectivités territoriales sont aussi instructives que vivantes et concrètes. La deuxième phase de la décentralisation, en 2004, renforce un temps les doutes et les craintes des personnels et des familles quant aux risques que les écarts de richesse entre les régions, entre les départements, n’entraînent des inégalités de traitement entre les établissements. Mais les effets positifs de la petite révolution, en particulier dans l’ordre des moyens financiers, bousculent les réticences. Les collectivités sont les propriétaires des locaux de l’EPLE, on leur a transféré l’hébergement et la restauration, la gestion et le recrutement des personnels ouvriers et de service ; elles gèrent les transports scolaires, les équipements sportifs ; elles jouent un rôle important dans la conception et l’impulsion des politiques économiques et sociales locales : elles voient désormais, de facto, s’accroître leur rôle fondamental dans l’aménagement du territoire. Les auteurs, tout au long de l’ouvrage, insistent sur l’urgence d’une coopération d’amont franche et entière de l’Education nationale, à tous les niveaux, avec les collectivités territoriales, au niveau individuel comme au plan collectif. Les collectivités se sont si investies dans le fonctionnement des EPLE – elles sont leur deuxième tutelle, et non leur simple partenaire – que l’intérêt général impose aujourd’hui la loyale synergie qui seule permettra une saine articulation-insertion de l’EPLE comme composant du territoire, et en particulier son développement au sein d’un espace éducatif concerté. Il s’agit là d’un enjeu politique majeur.
Délégations de pouvoir, importance de la subsidiarité, performances et concurrences, risques réels ou supposés de la mise en œuvre de l’autonomie, conditions indispensables à cette application, aspect décisif de la communauté scolaire vivante et du travail collectif, effets sur la gestion des ressources humaines, réseaux d’établissements, questions politiques, etc. : il est clair que cet ouvrage a voulu embrasser toute la matière de son sujet, et il y a réussi. Il lui reste à susciter le débat, sur une notion essentielle à la survie et à l’évolution de notre système éducatif.