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Le Programme de Réussite Educative, un dispositif nécessaire mais exigeant
Lorsque le Programme de Réussite Educative s’est mis en place dans les principales villes du Languedoc-Roussillon notre premier regard a été teinté de scepticisme. Le termemême de « réussite éducative », en raison de son caractère généraliste et polysémique, générait des interrogations : parler de la réussite éducative ne revient-il pas à relativiser la réussite scolaire, à la « réserver » à d’autres élèves, à d’autres quartiers que les quartiers populaires dits sensibles ?
Une démarche consistant à « repérer » des enfants fragiles, à leur proposer, ainsi qu’à leur famille un « soutien individualisé » dans d’autres domaines que le scolaire (la santé, le socio-médical…) ne comporte-t-elle pas un risque de «psychologisation» des problèmes sociaux ? Ne risque-t-on pas d’occulter des éléments essentiels de contexte tels que l’absence avérée de mixité sociale dans certains quartiers ou la dégradation des conditions de vie des habitants ? Cette démarche ne comporte-t-elle pas un risque de sur-désignation des familles ? Ne risque-t-on pas de les accabler un peu plus, en leur faisant endosser la responsabilité majeure des difficultés de leurs enfants ?
Reconnaissons aussi et enfin que l’individualisation des réponses et des parcours marquait une véritable rupture avec les pratiques antérieures, s’inscrivant à contre sens des actions collectives, privilégiées jusque là dans les différents dispositifs d’accompagnement hors temps scolaire.
Malgré ces réticences nous avons fait le choix de nous investir. Une des qualités du PRE, et non des moindres, réside dans cette opportunité offerte aux différents partenaires locaux d’agir au plus près du terrain ici et maintenant, en les dotant de moyens tant humains que financiers non-négligeables. Les conditions semblaient réunies pour que ce nouveau programme devienne un espace d’innovation, de ressources partagées, de renouvellement des pratiques, de coordination des acteurs et de mutualisation des compétences.
Nous avons également voulu nous investir au plus tôt pour éviter une mise en place dispersée du dispositif dans la région, à un moment où l’accompagnement à la scolarité manifestait des signes d’essoufflement, où l’institution scolaire mettait simultanément en place, durant le temps scolaire le PPRE (Programme Personnalisé de Réussite Educative), et l’Accompagnement Educatif hors temps scolaire destiné aux écoles et aux collèges des ZUS.
Dans ce contexte dès la fin de l’année 2006 et durant trois ans, nous avons animé une coordination régionale des acteurs des PRE: coordonnateurs, référents, préfectures, conseils généraux, élus et agents de la Direction Régionale de l’Acsé se retrouvaient régulièrement. Un collectif d’environ trente personnes, d’une très grande stabilité et fortement mobilisé s‘est ainsi progressivement constitué.
Accompagner les acteurs, contribuer à leur formation, répondre collectivement aux
questionnements suscités par le Programme, constituer un lieu d’échanges et d’expression, de mise en réseau, de productions d’outils… contribuer à forger une culture professionnelle commune : ces objectifs ont été largement atteints et le bilan est éminemment positif. Ce travail a permis de chasser le sentiment d’isolement quelquefois ressenti au début par des coordonnateurs et référents, pivots du système mais souvent livrés à eux-mêmes. Ils ont pu progresser collectivement et mieux prendre la mesure de leur responsabilité ; ils ont acquis une réelle légitimité auprès de leurs employeurs, des différents partenaires et professionnels associés au programme.
Après trois années d’expérience en Languedoc-Roussillon et au terme des ateliers, force est de reconnaître que les réticences initiales sont largement tombées. Mais il nous faut maintenir une vigilance intacte. Nous savons par expérience que les dispositifs sont fragiles et souvent réversibles. Il nous faudra donner (ou redonner) du sens à ce programme en l’interrogeant en permanence.
De cet accompagnement résulte le présent rapport d’étude. Il concrétise et valorise une démarche active de soutien lui apportant une dimension évaluative et suggérant de nombreuses pistes d’amélioration et de mises en perspective. Confié à Bruno Carlon et Corinne Dessis (Association Territori), soutenu par le Département d’études, évaluation et documentation de l’ACSE, il porte principalement sur l’analyse des parcours de réussite éducative au regard de la place des familles dans la démarche, ainsi que sur la mutualisation des compétences professionnelles mobilisées. L’enquête a offert l’occasion aux équipes de Réussite Educative mais aussi aux EPS (Equipes pluridisciplinaires de soutien) de six villes de poursuivre la réflexion sur leur projet ; leur regard est ici croisé avec cinquante familles, également interviewées dans ces six villes.
L’étude confirme – s’il en était besoin – que le PRE est un programme nécessaire et sans doute indispensable, à condition que les acteurs en charge de le mettre en oeuvre soient conscients des enjeux dans lesquels ils sont pris et soient soutenus et accompagnés.
Le PRE propose un cadre susceptible de construire une autre relation aux familles. Le rapport nous montre que la démarche que nous avons initiée, la formation et les savoir faire des coordonnateurs et des référents, en particulier, ont permis de faire évoluer
1 Ce programme est lui-aussi individualisé et plutôt centré sur les apprentissages
2 Les réunions avaient lieu tous les deux mois environ. Nous avons, chaque fois que cela a été nécessaire, fait appel à des experts. Chaque réunion a donné lieu à un compte-rendu systématique. Des synthèses ont été réalisées et communiquées régulièrement.
représentations portées sur les familles et de modifier sérieusement certaines pratiques professionnelles.
Si tel est le cas, il ne s’agit pas d’une avancée mineure.
Se mettre à distance des représentations est la seule posture professionnelle à tenir pour que des personnes en situation de souffrance, souvent échaudées par des expériences malheureuses au contact des institutions reprennent confiance, soutenues et accompagnées par des acteurs désireux d’instaurer une relation durable fondée sur un mode égalitaire et respectueux.
Le PRE confirme aussi sans équivoque la prégnance du scolaire, qui reste au coeur du dispositif et des préoccupations des parents. Il interroge ainsi très sérieusement une représentation tenace concernant la démission ou le manque d’intérêt des familles pour les questions scolaires, si souvent allégués pour masquer un véritable problème de communication.
Enfin et pour conclure, Il faudra être particulièrement attentif à la place que le PRE
occupe dans les politiques éducatives des villes qui gèrent ce programme et reçoivent les subventions de l’Acsé. Le PRE est- il clairement identifié ? Est-il éclaté ou non entre plusieurs élus ? Est-il à la marge ou non de l’action éducative des villes ? Ces questions ne sont pas anodines. De la « place assignée » au PRE dans les villes dépendra, dans une large mesure, la place qui reviendra aux enfants et aux familles bénéficiaires des actions du PRE… ainsi qu’aux coordonnateurs et aux référents, acteurs majeurs du programme.
Le travail d’accompagnement initié en Languedoc Roussillon se nourrira, j’en suis sûr, des résultats de cette enquête. Ces résultats sont inscrits dans la réalité locale des six villes explorées. Nous espérons qu’ils pourront aussi alimenter utilement la réflexion nationale des acteurs des PRE, de leurs partenaires ainsi que des équipes des DRJSCS. En effet, comme le proclame Miguel Torga, « l’universel est le local moins les murs. »
Nourredine BOUBAKER
Direction Régionale Jeunesse et Sports et Cohésion Sociale en Languedoc-Roussillon,
Directeur Adjoint en charge des relations avec l’Acsé, Délégué régional adjoint de
l’Acsé