In L’Ecole de demain – le 13 septembre 2013 :
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L’enquête menée par deux chercheurs de l’ESCOL1, Séverine Kakpo et Julien Netter, jette le trouble. Après avoir étudié les logiques pédagogiques à l’œuvre dans le dispositif, le constat est sans appel : les dysfonctionnements sont récurrents. Pis, cette aide s’avère bien souvent contre-productive pour les apprentissages des élèves. Cette étude interroge la nécessité pédagogique et les conditions d’exercice des devoirs, et les politiques mises en œuvre pour l’aide aux devoirs.
Les auteurs ont cerné les dysfonctionnements qui pèsent sur la boucle pédagogiques du travail des élèves (classe – devoirs – retour en classe – traitement). Ceux-ci sont nombreux : l’irrégularité du volume des devoirs, les notions insuffisamment maîtrisées par les élèves pour effectuer le travail, les consignes floues et les supports inadaptés, la fragmentation des savoirs et des supports (multiplicité des cahiers). Par ailleurs, certaines prescriptions fonctionnent comme un leurre dans la boucle pédagogique, comme l’apprentissage de liste de mots, cantonnant les élèves à des tâches de bas niveau cognitif, sans rapport évident avec les notions construites en classe. Certes l’élève peut mener ces tâches facilement, mais son apport réel aux apprentissages pose problème. De manière générale, les élèves peinent à trouver du sens à leurs devoirs et à faire le lien avec les apprentissages menés en classe, d’autant plus pour les élèves en difficultés. Par ailleurs, les devoirs supposent un degré d’autonomie de la part des élèves que surévaluent largement les professeurs d’après l’étude.
Un type d’intervention fonctionne cependant, consistant à faire saisir aux élèves les enjeux d’apprentissage, en décontextualisant et recontextualisant la tâche. Mais cette démarche est chronophage et s’inscrit plus dans une logique de tutorat que d’aide aux devoirs, coïncidant mal avec de tels dispositifs, où les sollicitations sont multiples et les problèmes nombreux. Cette médiation requiert par ailleurs de solides compétences professionnelles. Mais ce souci d’individualisation, comme réponse aux besoins spécifiques de l’élève, est « en décalage avec la capacité matérielle des intervenants à s’y atteler. » Les accompagnants doivent en effet gérer un groupe d’élèves important (8 ou 15) dans un temps assez bref (40 minutes effectives). Face à la difficulté à gérer le dispositif, et les sollicitations incessantes des élèves, des stratégies de survie se mettent en place, qui préservent tout le monde : évitement, devoirs faits à la place des élèves… Ces stratégies mènent à des effets pervers et rendent souvent l’aide aux devoirs contre-productive.
La plupart du temps, dans les écoles et les collèges, l’aide aux devoirs est assurée par des assistants, étudiants et/ou des professeurs. Ce qui est frappant dans l’étude menée à partir de cette commune populaire de la périphérie parisienne, c’est que les accompagnants sont des professeurs des écoles ! Même assurée par des enseignants, l’aide aux devoirs est loin d’être un gage de réussite. Pour les auteurs, c’est avant tout «une caisse de résonance voire d’amplification des difficultés non résolues au sein de la classe. » La commune a pourtant investi fortement dans l’aide aux devoirs pour lutter contre l’échec scolaire. On mesure par ailleurs l’ampleur de la mission qui consiste à accompagner les devoirs, en grande majorité assurée par les parents, qualifiée de « sous-traitance pédagogique » par S. Kakpo.
Les auteurs concluent :
« On peut se demander si les dispositifs de ce genre ne constituent pas pour l’institution scolaire un moyen contemporain privilégié de se dédouaner de la responsabilité de l’échec scolaire et de la faire endosser aux élèves et à leur famille. À l’heure où un consensus politique semble se dégager en faveur de la ré-internalisation du travail personnel des élèves à tous les niveaux du système éducatif, il semble important de rappeler qu’un dispositif d’aide aux devoirs n’est pas une composante autonome du monde scolaire et qu’une « réforme des devoirs » ne peut avoir de sens qu’articulée à une réflexion de fond portant aussi bien sur les pratiques pédagogiques de la classe que sur le fonctionnement de l’ensemble du système éducatif. »
Pour le SE-Unsa, il n’est plus possible de poursuivre ainsi une pratique des devoirs qui nuit aux apprentissages, qu’aucune réglementation n’a réussi pour l’heure à annihiler. Pour cela, nous devons changer de modèle, et considérer que l’organisation du travail personnel des élèves, indispensable à leur réussite, est une responsabilité de l’institution scolaire prise en charge par les communautés éducatives. Plutôt que d’externaliser une part non négligeable du travail pédagogique, essentielle dans la consolidation des apprentissages, il est avant tout nécessaire de construire l’autonomie réelle et non supposée de l’élève et d’échanger avec les familles autour des contenus et des enjeux d’apprentissage. En ce qui concerne la gestion de la difficulté scolaire, le tutorat et les actions ciblées, plus individualisées, sont nécessaires et doivent être menées par des professeurs formés.
Cet article reprend de manière « sèche » les principaux enseignements de l’enquête, et nous ne pouvons que conseiller la lecture complète de l’article, qui vaut notamment pour le récit des observations du dispositif et des échanges entre professeurs et élèves.Séverine Kakpo et Julien Netter, « L’aide aux devoirs. Dispositif de lutte contre l’échec scolaire ou caisse de résonance des difficultés non résolues au sein de la classe ? », Revue française de pédagogie [En ligne], 182 | 2013, mis en ligne le 28 août 2015, consulté le 02 septembre 2013. URL : http://rfp.revues.org/4003