In Le Nouvel Observateur – 9 septembre 2013 :
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Jean-Louis Auduc, ancien membre de la Mission laïcité du Haut conseil à l’intégration, pointe les enseignements les plus sujets à controverses.
Le ministre de l’Education, Vincent Peillon, a dévoilé lundi 9 septembre le contenu de la charte de la laïcité, qui devra être affichée dans chaque école, collège et lycée publics. Objectif : qu’aucun élève ne puisse contester un cours ou un manuel en invoquant sa religion. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a immédiatement regretté que le texte comporte plusieurs "allusions" à l’islam, au risque de renforcer le sentiment de "stigmatisation" dans la communauté. Mais dans les faits, la religion musulmane est loin d’être la seule invoquée par les élèves ou leurs parents en cas de contestation. Pour s’en convaincre, suffit de regarder quels sont les points des programmes qui posent le plus de problème dans les classes. Jean-Louis Auduc, ancien membre de la Mission laïcité du Haut conseil à l’intégration et ancien directeur adjoint de l’IUFM de l’académie de Créteil (*), dresse la liste.
1. Les sciences de la vie et de la terre
"De l’avis des enseignants, c’est la discipline qui pose le plus de difficultés, toutes religions confondues. Les questionnements portent notamment sur la théorie de l’évolution : de nombreuses sectes évangéliques et néo-baptistes se mobilisent dans les banlieues et distribuent des documents pour la dénoncer. On constate par ailleurs des protestations quant à ce qui relève des questions de genre et de la sexualité : certains parents jugent anormal que ces thèmes soient abordés.
Les trois quarts des parents d’élèves n’ont pas été au lycée, et 60% n’ont pas poursuivi au-delà de la 4e. Au-delà du primaire, il convient d’expliquer qu’un programme scolaire constitue ce que l’Etat souhaite en tant que culture commune et partagée. Les enseignants ne sont que les interprètes de la partition écrite par l’Etat. D’ailleurs, ils commencent à être mieux armés. Voici un an, l’inspection générale de cette discipline a organisé un colloque sur les enjeux de savoirs."
2. Les arts plastiques et l’histoire de l’art
"Des enseignants ont été confrontés à des questionnements quant à la représentation de la nudité. Toutes religions confondues encore une fois. Il est donc utile que cette charte stipule que l’école publique ne s’interdit aucuns champs des savoirs".
3. L’éducation musicale
"Jusqu’au XVIIIe siècle, la plupart des œuvres musicales étaient des messes. D’où l’importance de présenter ce qui relève du culturel et du cultuel".
4. L’histoire
"Il s’agit de la matière dont on parle le plus, mais les professeurs sont plutôt bien préparés à son enseignement. L’année dernière, je n’ai pas eu de remontées particulières à ce sujet. Ce qui pose problème en particulier, ce sont les rapports entre histoire et mémoire. Pour la guerre d’Algérie par exemple, il existe plusieurs mémoires : celle des Algériens, celle des Harkis, celle des Français, celle des Pieds noirs. Des parents voudraient que leur mémoire propre soit enseignée. Mais ce débat existe depuis longtemps et a évolué, notamment grâce à la télévision, qui a bien joué son rôle. Il n’y a jamais eu autant d’émissions historiques, dans lesquelles histoire et mémoire sont séparées".
Bref, la charte de Vincent Peillon, un outil efficace ?
"Elle change des documents usuels illisibles pouvant atteindre 250 pages ! Il y avait besoin d’expliquer ce à quoi correspond la laïcité – primauté de l’Etat, liberté de conscience et égalité de traitements des cultes – et de développer une pédagogie. Elle est un enjeu de liberté de conscience, de liberté personnelle et de liberté d’expression. Reste que le meilleur des textes peut se révéler contre-productif si l’ensemble des personnels (de surveillance, administratif et de service) n’est pas formé à ces questions."
(*) Auteur de "La laïcité à l’école. Un principe, une éthique, une pédagogie". CRDP Académie de Créteil.