In educavox :
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On assiste dans les écoles à une accélération incroyable de la frénésie évaluationniste.
Les circulaires et les enquêtes pleuvent. Toute la chaîne hiérarchique – recteur, IA, IEN – s’y met avec un zèle décuplé.
On a l’impression dans certains secteurs que tout est fait ou tenté pour rendre irréversibles les politiques imposées depuis 2007. Ceux qui en souffrent sont évidemment en bas de l’échelle et au pied du mur : les professeurs des écoles, écrasés par les tâches inutiles, désemparés face à la prolifération des injonctions, éberlués par la multiplication des usines à cases, empêchés de penser.
On pense pour eux du sommet de la pyramide d’où dégoulinent les ordres, comme si l’on voulait fabriquer des exécutants dociles.
Certains résistent et se rebellent publiquement et s’exposent aux foudres des petits chefs.
D’autres, beaucoup plus nombreux, s’adonnent à la résistance passive, que le corps enseignant maîtrise depuis longtemps, favorisant le règne de l’apparence. D’autres se résignent à un « àquoibonnisme » désespérant.
Tous ou presque sont atteints par le désenchantement, le découragement, la démobilisation, le scepticisme.
Le pouvoir aura atteint quelques uns de ses objectifs implicites : moins de monde aux réunions d’information syndicale (même celles sur le temps de travail), passivité lors des animations pédagogiques, chahuts de potaches lors des conférences, absence dans les débats publics, même ceux programmés pour la promotion d’une autre école.
Cette désaffection sera difficile à effacer.
Les écoutant et les observant, j’entends ces phrases vraies et émouvantes de Philippe Meirieu : « Il en est qui hantent les couloirs, sans apercevoir à l’horizon le moindre possible, sans rien d’autre où accrocher le regard dans la routine scolaire, que la perspective des vacances.
La triste répétition d’un même cours, les corrections fastidieuses – on ajouterait aujourd’hui, les évaluations et les notices d’inspection de 10 pages – la solitude et l’incompréhension, un petit goût d’absurdité restent leur lot quotidien, et ils n’imaginent pas qu’il puisse en être autrement. »
La plupart se réfugient dans leur classe, dans leur contact avec les élèves. On entend souvent cette déclaration : « Tout ça, je m’en f… Dans ma classe, avec mes élèves, je suis bien ». Même si l’on sait bien que c’est de moins en moins vrai, que les tensions au sein des classes s’accroissent, que les élèves sont de plus en plus « durs », on peut penser que les enseignants s’efforcent de les protéger de la folie du système, parfois en se repliant sur des pratiques fort anciennes qui leur permettent dans le même temps de se mettre à distance et d’avoir la paix avec les parents.
Cette réalité pourrait être rassurante si les preuves de la gangrène qui tue les enfants ne se généralisaient. Qu’on en juge avec cette appréciation trouvée sur le bulletin d’un enfant en fin de petite section :
« Quel dommage ! S n’a pas souvent eu l’envie de travailler cette année. Aussi les résultats s’en ressentent. Très mauvaise tenue du crayon. Il faut espérer que S se mettra au travail en moyenne section. »
Condamnation d’un enfant de 3 ans. Effet Pygmalion garanti. Dramatisation de la tenue du crayon (Et vous, comment le tenez-vous ?). Invocation du saint travail et des saints résultats. Pas la moindre remise en cause des choix pédagogiques… Nous allons à la catastrophe et tout nous y pousse, du ministre aux inspecteurs davantage chargés de la propagande gouvernementale que de l’accompagnement des enseignants.
Et force est de constater que la pensée ultra libérale qui stigmatise et transforme les victimes en coupables, qui s’appuie sur l’insensé pilotage par les résultats, n’a pas d’alternative proposée enthousiasmante, que les projets éducatifs en préparation pour 2012 fuient la question de l’ennui, celle du sens, celle du plaisir d’apprendre, celle du bonheur à l’école. On parle chiffres et postes, mais pas de la vie dont l’école a bien besoin.
Mais vous n’êtes pas obligé d’être d’accord