L’outil de mise en oeuvre d’une politique permettant l’accès des JAMO à certains dispositifs est l’accompagnement, autre notion de large diffusion et quasi incontournable aujourd’hui.
Ce terme est utilisé dans des champs hétérogènes: on accompagne les jeunes (dans l’école ou hors l’école), les adultes victimes de «plans sociaux», les «demandeurs d’emploi», les professionnels «en difficulté» (la novlangue administrative abonde de cette rhétorique euphémisante-anesthésiante) et les mourants … Ainsi nous pouvons être accompagnés toute notre vie, et il ya même des accompagnements d’accompagnateurs. Cela ne vise pas uniquement les « publics en difficulté», et constitue un véritable phénomène de société – et un marché dont témoigne le succès du coaching.
Le terme d’accompagnement est d’usage récent dans le champ psychopédagogique, même si Maela Paul lO, dans ce qui est l’ouvrage de référence sur le sujet, lui voit trois approches préfiguratrices: la maïeutique, l’initiation, la thérapie. Il émerge récemment dans le champ des politiques publiques (les premières occurrences dans les textes datent du milieu des années 1990).
À noter que si, dans des métiers de plus en plus nombreux, on demande aux professionnels d’accompagner (des personnes – individuellement ou collectivement -, des pratiques, des territoires), le répertoire opérationnel des métiers et des emplois (ROME) ne connaît que les professions d’accompagnateurs de haute montagne, d’équitation, ou dans le champ du tourisme. L’accompagnement est une «fonction» – ou un métier au sens d’ensemble de tâches (le premier DESS Fonction d’accompagnement a été créé à Tours en 1998).
L’étymologie nous dit assez ce qui définit ou devrait définir l’accompagnement, ce nouveau «paradigme» Uacques Ardoino) 11 : il s’agit d’une relation interpersonnelle, tout entière tournée autour du sujet accompagné, l’accompagnateur jouant le rôle de catalyseur, d’ «accoucheur ». Il est celui qui fait un bout de chemin avec, voire celui qui partage le pain.
Dans une certaine acception, il implique la réciprocité, je me nourris avec l’autre, mieux: nous nous nourrissons l’un de l’autre.
Il est significatif à ce titre que les premières équipes universitaires qui travaillent sur cette notion soient spécialistes de la recherche-action, du récit de vie, de la formation (Henri Desroches et Gaston Pineau à Tours) ou de l’anthropologie des âges ou du projet Jean Pierre Boutinet à Angers), autrement dit des approches qui mettent l’accent sur le sujet, l’éducation non formelle, le rôle du «tiers facilitateur» …
Le succès de cette notion est inséparable d’un certain nombre de faits culturels: le développement de l’individualisme comme valeur, la centration sur le sujet dans les approches psychopédagogiques (la loi d’orientation de juillet 1989 qui met l’élève au centre du dispositif éducatif), les approches institutionnelles plus individualisées (et individualisantes), mais aussi la transformation des modes et cadres de socialisation: à une
société qui intégrait l’enfant ou le jeune (selon le modèle durkheimien) succède une société où chacun se construit au travers d’interactions (selon le modèle goffmanien). Aujourd’hui, chacun doit trouver ou construire sa place, dans une véritable « lutte des places», selon l’expression de Vincent de Gaulejac 12 .
1O. PAULM., L’accompagnement, une posture professionnelle spécifique, L’Harmattan, Paris, 2004.
11. ARDOINO J., « De l’accompagnement en tant que paradigme", Pratiques de formation/analyses, nO40, décembre 2000, pp. 5-19.
1
2. GAULEIAC DE V., La lutte des places, Desclée de Brouwer, Paris, 1994.
Il nous faut aussi interroger, et dans le prolongement de ce qui précède, nombre des termes qui, à l’instar de l’accompagnement, constituent aujourd’hui les référentiels de l’action publique: autonomie, mobilité … Ils peuvent renvoyer à des modèles de construction de l’individu-citoyen, du sujet qui se construit au travers de solidarités plurielles, qui échappe à toute dépendance asservissante ou aliénante, qui s’émancipe par l’action individuelle ou collective. Mais ils appartiennent aussi au discours dominant du modèle néolibéral et de l’idéologie managériale, voire à un modèle autoritaire, où chacun doit être soumis et adaptable aux seules lois du marché (l’autonomie, la mobilité), qui renvoie à chacun la responsabilité de ce qui lui arrive, de son succès ou de ses échecs (la « responsabilisation», l’ « employabilité»), dans une logique concurrentielle.
Refuser de clarifier le contexte d’usage de ces notions au nom du refus de l’idéologie (ce qui est encore une idéologie), en les limitant à un usage technique ou consensuel, c’est se condamner à l’inintelligibilité (pour l’émetteur comme pour le récepteur) et à ne pouvoir en conséquence réellement agir. Il importe donc de « repolitiser» le discours des politiques publiques.