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Perturbatrices les TICE ? Il y a longtemps qu’on le sait. Leur capacité à interroger le système éducatif là où ça fait mal est même une de leurs grandes qualités. C’est aussi ce que montrent Julie Higounet et Elizabeth Chaponot. En déplaçant les règles du jeu scolaire, les TICE peuvent fortement perturber la limite entre les élèves qui fonctionnent bien et ceux "en difficulté". Si les usages numériques peuvent exclure, ils peuvent aussi, c’est ce qui est conter ici, se faire inclusives.
L’école française souffre de ne pas savoir ouvrir la porte à certains élèves, ceux dits «en difficulté». De l’analyse des évaluations PISA (1) en passant les données sur la ségrégation scolaire (2) , les résultats sont sans appels. Le système scolaire semble fossilisé par des méthodologies de travail et modes de fonctionnement désuets, foncièrement distants du temps présent. L’élève qui accepte son rôle d’apprenant passif, va à l’encontre d’une société virtuelle, interactive, dans laquelle les échanges humains et la collaboration sociale sont une réalité quotidienne. En retard par rapport à d’autres pays vis à vis de l’intégration des nouvelles technologies (3), la France souffre également d’un manque de mise en place cohérente de recherche scientifique de terrain et d’un système de pilotage capable d’évaluer le cheminement effectué et à venir. Toutefois, entre initiatives fortuites et ouvertures avancées d’enseignants sur le monde, il arrive que certaines chevillettes soient tirées au bonheur de ceux qui ne rentrent pas dans le cadre.
Louise et Michael, sont deux de ces réfractaires au cadre pour qui le bénéfice d’une entrée ponctuelle et pensée par le numérique aura permis d’obtenir des résultats inattendus et prometteurs.
Tablette : des bénéfices inattendus
Louise a 4 ans. Après déjà un an de scolarisation les enseignants pointent lourdement du doigt les maigres difficultés de motricité fine de cette jeune élève. Effectivement la tenue du stylo ou des ciseaux n’est pas complément assurée, et le geste encore peu précis. Louise comprend, joue avec les mots et questionne toujours avec un brin d’humour. Ce qui, a 4 ans, est rare. Mais le fonctionnement traditionnel de classe obligeant la validation d’un travail de la compétence par un passage obligé à une motricité fine aboutie, bloque Louise. Nous assistons alors à un retranchement de cette élève dans un questionnement légitime sur le sens des activités proposées. Le “pourquoi“ devient omniprésent. Et finalement le temps d’activité, de manipulation reste réduit.
Le besoin de trouver un outil capable de décharger Louise de certaines contraintes momentanément afin de se centrer le travail sur la compétence visée sans autre surcharge cognitive a amené l’équipe enseignante à se tourner vers les nouvelles technologies et plus particulièrement vers la tablette numérique. De manière simple un certain nombre d’activités du type manipulation de lettres, de sons, de chiffres, de repérage dans l’espace ont été proposés à Louise en complément des activités aux supports traditionnels. Le mode de fonctionnement est toujours identique à celui proposé à ses camarades. Déplacement d’objets, reconstitution de collections, de mots. La différence réside essentiellement dans le fait que l’outil permet à Louise de simplement faire glisser les éléments utilisés et non plus essayer de prendre maladroitement ces mêmes objets fin, très mobiles et éparpillés.
L’équipe pensait initialement uniquement palier aux difficultés de motricité fine rencontrées afin d’aider Louise à effectuer de manière complète une activité proposée. Mais en définitive se sont ajoutées des bénéfices bien plus importants. A savoir, en premier lieu un nombre de manipulation 12 fois supérieur à ce qui était initialement effectué et un temps de concentration par conséquent allongé. Le regard des enseignants change et Louise s’affirme désormais en prenant alors avec beaucoup plus de motivation l’envie de réussir à manipuler les outils de la classe avec ses mains.
Michaël, heureusement "laissé pour compte"
Michael a 8 ans. Après plusieurs années déjà de scolarisation il est étiqueté comme élève perturbateur qu’il faut “avoir à l’œil”. Il dérange la classe aux dires des enseignants et se met fréquemment en stratégie d’évitement de travail. Les apprentissages sont difficiles et représentent pour lui une source de grande frustration, particulièrement lors des passages à l’écrit. Les acquis sont fragiles et soumis à rude épreuve lorsqu’il s’agit de laisser une trace écrite personnelle définitive.
Après avoir pointé pour un certain nombre d’enfants de la classe l’entrée dans l’écrit comme facteur central de difficultés, l’équipe a fait le choix d’utiliser l’outil informatique afin de permettre un encodage plus visuel des notions. Associer les étapes de la démarche scientifique au support de la bande dessinée via le logiciel Comic Life devait autoriser une mise en perspective plus large en permettant aux élèves de mettre en valeur des concepts et de les articuler de façon dynamique. Grâce à ce support les élèves peuvent à tout moment ajouter, supprimer, ou mettre en valeur les étapes de la démarche loin des contraintes linéaires de l’écriture traditionnelle.
Très rapidement l’équipe a pu observer des éléments de fonctionnement totalement imprévus initialement. En effet lors des deux premières séances, les élèves ont dû apprendre à utiliser ce nouvel outil et le temps d’interaction élève/enseignant a eu lieu massivement avec les élèves en réussite scolaire : élèves ayant à cœur la réussite et demandant l’approbation de l’adulte pour chaque nouveau clic sur le logiciel.
Les élèves en difficultés dont Michael ont donc œuvré à leur grand bonheur en totale autonomie et liberté. Ils ont été « laissés pour compte » malgré la volonté de l’équipe encadrante d’être attentive. En se faisant oublier, n’ont-ils rien fait ? Bien au contraire. Ils ont découvert un outil riche, et l’exploration de ces nouveaux champs de possibles les a mobilisés pleinement. Moins de contraintes et plus de liberté ont amené la fin des perturbations.
Lorsque les travaux ont été regardés plus attentivement, la richesse et la qualité de la mise en page choisie par Michael dépassait de bien loin celle de la moyenne de la classe. Un certain nombre d’options non présentées par les enseignants avaient été trouvées afin de mettre en exergue un mot ou un concept. Très rapidement Michael a émis la volonté de pouvoir utiliser cet outil afin d’encoder ou résumer certaines notions d’histoire ou de littérature. Le début des transferts arrivait, le début d’une appropriation des apprentissages. Il a de même basculé dans un fonctionnement totalement autonome de l’outil sans utilisation de modèle de formats proposés. « Je veux commencer avec un modèle blanc. Sans rien » déclare fermement Michael prêt à se lancer. Là aussi surpris par les produits finis, le regard des enseignants porté sur l’élève a changé. « Il est capable » .Michael le sens… l’agitation quotidienne se fait moins présente.
Les TICE éléments de réponse
A l’image de ces deux exemples, le cadre de travail restreint aujourd’hui proposé par l’école (un seul lieu, un seul temps, un seul système d’encodage) ferme la porte à trop d’élèves. S’il apparaît que le regard de l’adulte enseignant sur l’élève joue un rôle primordial dans ces deux exemples, il apparaît aussi nettement que les méthodologies de travail et les outils traditionnels proposés à nos élèves aujourd’hui sont loin de pouvoir les amener de manière équitable à exprimer et construire au plus haut de leurs possibilités. L’utilisation des TICE comme éléments de réponse dans ces deux classes et bien d’autres encore peut servir de levier pour associer plus efficacement les recherches de type action-formation au sein même de l’école et ce de façon systématique. Donner la possibilité à chacun d’être réellement actif dans ses apprentissages passera par une ouverture sur un monde virtuel vécu par les élèves. Il s’agira alors d’une école ouvrant la porte a ceux qui vivent, perçoivent, projettent et PENSENT dans d’autres limites que celles du papier et du crayon.
Julie Higounet , Directrice pédagogique
Elizabeth Chaponot, Chef d’etablissement
Lycée International de Los Angeles
Notes :
1 "La France se singularise par une proportion importante d’élèves au niveau 2 (correspondant au seuil en dessous duquel les compétences minimales ne sont pas maîtrisées), proportion qui a tendance à s’accentuer : ils étaient 15% en 2000, et 20% dans la dernière enquête en 2009", Olivier Rey , Dossier d’actualité veille et analyses • n° 66 • octobre 2011, PISA : ce que l’on en sait et ce que l’on en fait.
2 « L’origine sociale reste déterminante pour le destin scolaire » Pierre Merle, La ségrégation scolaire, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2012
3 Réussir l’école numérique, Rapport de la mission parlementaire de Jean-Michel Fourgous, député des Yvelines, sur la modernisation de l’école par le numérique. Remis le 15 février 2010