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Neuf mois après la prise de fonction de George Pau-Langevin au ministère déléguée à la Réussite éducative, Localtis a interrogé l’ancienne élue parisienne sur son périmètre d’action et sur la contribution qu’elle attend des collectivités locales à cette grande ambition nationale.
Localtis : Qu’est-ce qu’une politique de "réussite éducative", pour vous ministre déléguée à ce portefeuille, et pour un élu local ?
George Pau-Langevin, ministre déléguée à la Réussite éducative : Au sens large, la réussite éducative est la finalité de toute l’Education nationale. Plus précisément, c’est la prise de conscience selon laquelle l’Education nationale, même si elle se réforme, ne peut pas tout. Les animateurs, les parents et les collectivités ont aussi un rôle à jouer pour la réussite des enfants.
On le sait, les résultats scolaires des élèves sont corrélés au niveau social de leurs parents ; c’est pourquoi il faut prendre en compte tout l’environnement de l’enfant : sa famille, sa santé, son alimentation, ses activités périscolaires…
La tâche que Jean-Marc Ayrault m’a confiée est ainsi très liée aux temps de l’enfant. Dans la journée, l’enfant est pris en charge par les enseignants et par d’autres intervenants. Par exemple, lors de la pause méridienne, il n’est pas raisonnable qu’il mange à toute vitesse : la qualité du service de cantine influe sur la réussite éducative.
Beaucoup de collectivités ont déjà dépassé leurs obligations juridiques (restauration scolaire, construction de locaux…), en s’intéressant de plus en plus au fond, en essayant d’apporter un soutien en matière d’équipement (tableau numérique, accompagnement à la lutte contre l’échec scolaire…), en organisant des activités périscolaires qui sont souvent de bonne qualité. La région Ile-de-France mène par exemple une très intéressante action en faveur du décrochage scolaire.
Améliorer la prise en compte des parents dans l’école est également un de nos objectifs. Les parents défavorisés ne connaissent pas les codes de l’école, ils sont mal à l’aise face aux enseignants, ils ne peuvent donc pas assurer un suivi efficace de la scolarité de leurs enfants. C’est la raison pour laquelle la conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, organisée les 10 et 11 décembre au palais d’Iéna, a encouragé des lieux pour faciliter le dialogue entre les parents et les enseignants à proximité ou à l’intérieur même de l’école.
La réussite éducative passe par une collaboration entre les enseignants, les animateurs, les parents et les collectivités locales. Ce travail partenarial a été formalisé en 2005 dans le cadre de la loi de programmation pour la cohésion sociale, notamment sur les volets soutien scolaire et travail avec les parents.
Quel héritage gardez-vous de ce dispositif national "Réussite éducative" introduit par la loi Borloo ?
Les élus bénéficiant d’un soutien au titre de la politique de la ville se sont beaucoup investis dans ces dispositifs. Les contractualisations ont été faites au plus près du terrain, entre le maire et l’Acsé. Et il n’y a pas deux départements qui fonctionnent pareil : parfois le dispositif est porté par un GIP, parfois c’est la caisse des écoles, le CCAS, ou encore autres choses… Il y a eu peu de pilotage national : l’Acsé a géré le dispositif avec des préoccupations sociales. L’Agence a surtout vérifié l’utilisation des crédits, mais il n’y a pas eu de véritable évaluation nationale sur la mise en œuvre et l’efficacité des dispositifs, sur les bonnes pratiques et les innovations qui ont émergé.
Nous voulons engager cette évaluation nationale et pluripartenariale. De ce terrain foisonnant et multiforme, nous devons sortir une vision plus claire de ce que nous voulons en termes de dialogue entre partenaires, de recentralisation du pilotage, de niveau d’implication de la hiérarchie de l’Education nationale… Il nous faut aussi repérer et organiser l’échange de bonnes pratiques.
C’est pourquoi, avec François Lamy, nous organisons une journée d’échanges entre les partenaires, le 15 mai prochain, à la Sorbonne. Le comité de pilotage est installé depuis début février. Il se compose de représentants des ministères de tutelle (Famille, Ville, Jeunesses et Sports), d’associations, d’élus, de sous-préfets à la ville… Bref, le travail pluripartenarial est engagé.
A l’heure où s’engage une nouvelle étape de la décentralisation, vous envisagez un recentrage du dispositif. Ne vous sentez-vous pas à contre-courant ?
Pour mener une politique qui se veut efficace, il faut une vision nationale de ce qui se passe. Il est clair que les acteurs locaux font des choses très intéressantes ; il faut donc favoriser leurs initiatives. Nous voulons organiser un pilotage qui soit davantage partenarial. C’est tout le sens du mouvement de décentralisation.
L’accompagnement que vous envisagez sera-t-il ciblé en direction des quartiers politique de la ville ou concernera-t-il l’ensemble des enfants de France issus de familles défavorisées ?
Dans un premier temps, il s’adressera aux milieux populaires, donc aux enfants des quartiers populaires.
N’aurait-il pas été plus cohérent de rattacher votre ministère à celui de l’Egalité des territoires plutôt qu’à celui de l’Education nationale ?
Non, car l’éducation des enfants relève, à ce jour, principalement de la responsabilité des enseignants, et le positionnement de mon ministère permet de disposer des structures de l’Education nationale pour installer nos orientations sur l’ensemble du territoire.
Les espaces ruraux et périurbains comptent également des familles défavorisées. Quel accompagnement à la réussite éducative envisagez-vous pour ces enfants ?
La "réussite éducative" ne concerne pas seulement la politique de la ville. Le décrochage scolaire et les difficultés à l’école sont aussi présents dans des communes rurales où, très souvent, des initiatives des acteurs locaux essaient de combler le désert environnant en ressources culturelles et pédagogiques.
D’ores et déjà, les élus font beaucoup pour l’éducation des enfants et je suis persuadée qu’on peut encore faire bouger les choses. On ne se rend pas compte de tout ce qui existe déjà, car on n’a pas fait d’inventaire. Les associations relevant de l’éducation populaire, par exemple (qui sont aussi financées par l’Education nationale), ont souvent une réelle utilité en matière de périscolaire.
A chacun de bâtir une collaboration entre parents, Eucation nationale et collectivités locales qui soit à l’image de son territoire. Je suis sûre que l’on peut y arriver.
Quel peut-être le rôle de l’intercommunalité ?
L’intercommunalité peut être un atout considérable. Les communes s’interrogent sur le recrutement de personnels compétents pour les activités périscolaires : il y a souvent plus de moyens au niveau intercommunal. Je suis allée à Hirson, dans l’Aisne. La communauté de communes du Pays des TroisRrivières envisage de recruter des animateurs qualifiés et les faire tourner d’une école de village à une autre. Vous auriez par exemple un animateur informatique, un professeur d’espagnol, un prof de musique… Si les temps périscolaires sont organisés avec souplesse, ils peuvent commencer leur journée dans une école, faire du 13h00-14h00 dans une autre puis 15h45 dans une troisième, et cela quatre jours par semaine.
Voilà une politique périéducative harmonisée sur plusieurs communes, offrant de la qualité avec des moyens limités.
Pourtant, les collectivités ne se sentent pas toujours bien accueillies par les équipes éducatives, comme si l’école demeurait une chasse gardée…
C’est vrai que jusqu’à aujourd’hui, dans l’esprit des enseignants, ce sont eux qui ont, en priorité, en charge l’éducation des enfants. Nous avançons l’idée que si c’est effectivement de la responsabilité principale de l’enseignant, les autres partenaires doivent être pris en compte, s’impliquer et être respectés. C’est une évolution pour les équipes enseignantes. Il faut leur faire percevoir que, dans les équipes d’animateurs, dans le personnel périscolaire, il y a aussi des gens compétents qui agissent et jouent un rôle appréciable dans l’apprentissage des enfants.
Nous vivons une période de crispation qui permet aux enseignants de comprendre l’intérêt du dialogue avec ces partenaires.
Peut-on envisager un volet "Réussite éducative" dans le futur projet éducatif territorial ?
Le PEDT sera dans le projet de loi qui n’est pas encore voté. A l’issue du débat, qui débutera le 11 mars à l’Assemblée nationale, on verra bien comment il sortira. Pour l’instant, à ce stade, nous rassemblons ce qui existe : rendez-vous le 15 mai à la Sorbonne.
Propos recueillis par Valérie Liquet