PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

La réforme du collège : chiche !

L’école française du primaire à l’université a besoin d’une vraie révolution professionnelle, ce que le projet du ministère appelle « refondation ». Le collège en est la partie la plus mal en point. La méthode choisie pour y parvenir est-elle la bonne ?

Les  objectifs visés par le  projet de  réforme du collège qui devrait entrer en vigueur à la rentrée 2016, ne manquent ni de souffle, ni d’ambitions. On a envie de dire « chiche » ! S’y retrouvent en effet nombre d’analyses, d’innovations et  expérimentations dont la validité a été largement démontrée et pour lesquelles les ressources existent dans le corps enseignant, dans les travaux de recherche, dans tout le capital de pratiques analysées et valorisées par les multiples associations professionnelles et leurs revues. On ne peut donc que souscrire à ces ambitions nouvelles, elles vont dans le sens de ce que nous avons défendu depuis des décennies. Le propos ici est de souligner tout à la fois l’enjeu de cette réforme mais aussi les obstacles et difficultés qu’elle devra surmonter. Nous ne pouvons plus nous permettre de laisser le collège continuer à s’enfoncer dans la baisse des résultats et l’augmentation des inégalités. Mais il ne peut être question une fois de plus de décevoir, défaire, abandonner en route des perspectives prometteuses. Il ne peut être question non plus de laisser les enseignants seuls pour porter le poids de la réussite ou de l’échec d’une telle refondation.

Des constats généraux avec lesquels nous sommes d’accord

La crise du collège est enfin reconnue, bravo !
L’augmentation des inégalités scolaires et sociales n’est plus niée, elle est même assumée, comme sont affichés les résultats aux évaluations internationales PISA dans leur baisse continue et importante.
L’enlisement de pratiques enseignantes dans la reproduction d’un modèle professionnel d’un autre temps (peu de place pour l’oral, l’écriture des élèves, la réflexion collective) est implicitement jugé comme en partie responsable de la passivité des élèves en classe, de leur décrochage ou manque d’intérêt pour les cours, voire de leur ennui. Cet enseignement est aussi jugé comme  insuffisamment en prise avec les grandes préoccupations du monde contemporain et ne donnant pas, de ce fait, suffisamment d’outils pour le comprendre, y vivre et s’y construire : certes ! Bienvenue aussi est l’idée de ne pas dissocier les enjeux généraux des programmes des contenus de savoir, méthodes, compétences, dispositifs voire gestes professionnels, postures d’accompagnement et d’évaluation des élèves.
Didactique et pédagogie sont réconciliées, enfin ! C’est par exemple une révolution professionnelle que de penser le temps scolaire des apprentissages, non comme un simple inventaire infini de notions après lesquelles les enseignants ne cessent de courir mais comme devant faire l’objet de choix, d’ajustements aux élèves, dans leurs différences et leur développement.

Notons cependant qu’il est un constat qui a été oublié, c’est celui de l’abandon de la formation continue  depuis plusieurs années, comme celui de la tentative de liquidation de la formation initiale qui n’arrive pas à s’en remettre, le constat de la non-formation des formateurs, tuteurs, conseillers pédagogiques. 

Des programmes et un projet pensés d’abord du côté des élèves

Le renversement est considérable. Devient première la prise en compte de l’élève, comme personne singulière, à un moment crucial et difficile  de son développement au plan  psychologique, identitaire, social. Il s’agit de tout faire pour que les heures passées en classe, dans les différentes disciplines prennent du sens pour l’aider dans sa découverte du monde, de lui-même, des grands domaines de la culture. Ce tissage entre son expérience personnelle et scolaire est présenté comme un des moyens pour susciter son adhésion et intérêt. Il s’agit de tout faire pour susciter constamment par le débat, la discussion, l’écriture, sa présence active, nécessaire en cours. Des cours où il est enfin écouté, où sa parole son point de vue ont un intérêt : c’est là encore une révolution quand on sait que 70% du temps de parole en collège est attribué à la voix de l’enseignant et le reste à l’ensemble des  25 à 32 élèves.

Un autre renversement tout aussi conséquent dans les diverses disciplines est le primat de l’activité de l’élève confronté à des tâches complexes et ambitieusesde résolution de problèmes dont les enjeux  dépassent  le cadre strictement scolaire. Le modèle de la leçon et de son  application a vécu. On ne le pleurera pas ! Le travail collaboratif est encouragé : l’apprentissage et le développement des élèves s’inscrivent  et fondent une nouvelle socialité scolaire. Les gestes sociaux d’apprentissage s’enseignent.

Trois leviers stratégiques  pour cette refondation : les EPI, les APA, les programmes

Des   démarches ou propositions qui ont un air de déjà vu, déjà fait ? Ce n’est pas si sûr.

Les EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires, deux projets par an et par élève sur des thématiques imposées) feront l’objet d’une évaluation en fin de cycle 4. Ils obligent donc les  enseignants à des préparations et concertations interdisciplinaires  par niveau,  à une cohérence générale sur le cycle en relation avec les 5 domaines du socle commun : de belles  et obligées prises de tête collectives en perspective.

Les APA (aide personnalisée aux apprentissages) font partie de l’emploi du temps des enseignants et leur laissent beaucoup de liberté. Leur mise en œuvre soulève pourtant de multiples problèmes : faut-il les penser dans les cours ou hors les cours, avec des regroupements de plusieurs classes ? Faut-il favoriser l’homogénéité ou l’hétérogénéité des groupes d’élèves ? Comment identifier les approches méthodologiques transversales ? Quelles compétences  minimales des enseignants pour accompagner des élèves dans des démarches méthodologiques qui relèvent d’autres disciplines ? Etc. Le chantier APA est un chantier délicat, nouveau. C’est ce que les  enseignants  de collège savent le moins faire. Là aussi il ne peut s’improviser, au risque d’un gaspillage d’énergie considérable. 

Les programmes, d’une présentation très nouvelle, et d’une lecture difficile en domaines, compétences, connaissances, dispositifs, attendus en fin de cycle et enfin disciplines laissent un très grand espace à inventer pour chaque niveau (un vrai casse tête à venir pour les maisons d’édition !). Ils cassent  d’une certaine façon les identités disciplinaires, obligent les disciplines à prendre en compte les attendus des autres disciplines en matière de coopération obligée, mais surtout leur demandent  de repenser profondément la planification, les dispositifs, les tâches  à mettre en œuvre. C’est mission impossible pour un enseignant de s’y retrouver tout seul !

Attention prudence. Ces programmes  ne sont pas sans risques. Et pas seulement en termes de mécontentement des sociétés et lobbys disciplinaires. D’une part,  les pertes de repères des enjeux  didactiques précis et des cultures propres de chaque discipline, inscrits dans l’histoire de la profession sont à considérer avec attention. Elles ont fondé la professionnalité et l’identité des enseignants et de leurs formateurs, on ne les balaie pas d’un revers de raquette !

Concernant le projet de programme de la  discipline français, nous y reviendrons à l’occasion de la consultation.

Des renversements du travail de l’enseignant de collège

La réforme du collège demande et oblige à  un renversement significatif dans le travail jusqu’à présent très solitaire de l’enseignant. Elle demande des changements de méthodes, elle oblige au travail collaboratif en équipe pédagogique, à des concertations et planifications très précises et contextualisées à partir d’évaluation des résultats et des contextes sociaux et scolaires des établissements. C’est ce qui se fait dans tous les pays qui ont engagé des réformes d’envergure efficientes (Irlande, Finlande, Ecosse). On ne peut que se réjouir de ces transformations proposées. Mais soyons pragmatiques et analysons les cols à franchir, les résistances.  Ils sont de taille mais pas impossibles à surmonter.

Côté enseignants : quelques cols à franchir
En fait c’est une autre identité professionnelle que dessine la réforme. Les auteurs du projet en sont conscients  et l’explicitent. Résumons quelques-unes de ses dimensions et non des moindres :

–        Concevoir autrement les savoirs à enseigner : la focalisation sur les compétences, qu’on soit d’accord ou non avec cette perspective, oblige à des changements complets aussi dans les modes d’évaluation : les enseignants y sont-ils préparés ? En français par exemple évaluer le processus  plutôt que le produit fini dans une tâche d’écriture ou de lecture n’est pas simple.

–        Redonner du sens aux apprentissages : les inscrire dans de grandes thématiques, culturelles, sociétales est judicieux, mais la participation à des projets concrets, des chantiers collectifs de la cité ou du quartier (par exemple aller faire la lecture en maternelle ou dans la maison de retraite voisine) demande  des compétences précises.

–        Porter un autre regard sur les élèves : pour accompagner les élèves il faut apprendre à comprendre leur différences et la nature de leurs difficultés, prendre le temps de les écouter.

–        Passer moins de temps à « faire cours ». et plus à  accompagner, écouter les élèves.  Laisser de la place aux élèves, les laisser parler, écrire, penser par eux-mêmes nécessite d’abandonner une part de la posture magistrale au profit de celle de l’accompagnement, ou du lâcher prise. C’est à ce prix qu’il est possible de susciter  la créativité et l’engagement des élèves.

–        S’intégrer dans des projets collectifs, les discuter, les évaluer, être responsable des diverses compétences qu’ils travaillent demande aux enseignants des compétences auxquelles ils doivent être formés.

–        S’emparer des possibilités nouvelles qu’offre le numérique pour enseigner/apprendre, penser, travailler, créer seul ou à plusieurs : là aussi un grand défi qui nécessite un accompagnement.

Alors, oui à la réforme du collège, mais sous conditions !

Inutile de le sous-estimer, une telle réforme  demande un travail considérable aux enseignants  pour s’y ajuster : des remises en question de leurs pratiques, de leur conception de l’enseignement, voire de leur discipline, de leur autorité comme seul « garant du savoir ».

La réforme demande des dispositifs institutionnels précis, contractualisés permettant aux enseignants  des temps importants de concertation, évaluation, préparation.

1.     Le plus important : des temps réguliers pour l’accompagnement de la réforme  dans les établissements. Ils doivent conjuguer  formation, réflexion et travail en projet. Ils sont indispensables et doivent être conduits  par des équipes mixtes (corps d’inspection, formateurs, chercheurs). L’institution se doit de rapidement chiffrer leur cout et leur fréquence. Les EPI comme les APA peuvent être ainsi l’occasion de suivi des équipes pédagogiques par des équipes pluridisciplinaires et pluri-catégorielles (au moins une fois par trimestre). La question n’est pas d’ajouter des primes même importantes à des responsables de niveau, de cycle ou à des référents hâtivement formés, mais de prodiguer un accompagnement approfondi, bienveillant et de qualité. Dans toutes les enquêtes européennes, c’est le sentiment de n’être pas accompagné qui explique une partie importante des abandons de métier. Soyons clairs : sans cet accompagnement bienveillant et professionnalisant, la réforme n’a aucune chance d’aboutir et risque au contraire de provoquer de nouvelles désertions du terrain. Les doxas, habitus professionnels enracinés, l’emporteront.

2.     Le facteur temps.  On ne change pas une profession contre son gré, et il serait illusoire de penser qu’une simple et brève  concertation sur les  des programmes serait suffisante pour emporter les convictions. La refondation telle qu’elle est proposée exige des mutations lentes et surtout collectives. Il y faut du temps, celui de la déstabilisation, de la compréhension, de l’engagement, et beaucoup plus tard celui de l’évaluation du chemin et des progrès attendus.  

3.     Investir des  forces spécifiquespour la formation, l’expérimentation, l’analyse, l’accompagnement par la recherche  d’une dizaine d’établissements incubateurs de « bonnes pratiques ». Ils devraient être  choisis sur la base de leur volontariat, leur histoire,  mais aussi la diversité sociologique et culturelle des populations d’élèves scolarisés.  Un système d’appel d’offre sur projets devrait être proposé dès la rentrée 2015. 

4.     Penser la formation initialeest un chantier connexe urgents : les étudiants et futurs professeurs qui prendront des classes en 2016 doivent dès cette année être préparés aux changements attendus. Tous les formateurs et enseignants-chercheurs des ESPE doivent donc être partie prenante de la refondation du collège, de la discussion sur les programmes. Nous insistons sur la nécessité absolue d’un vrai travail collaboratif, dans toutes les ESPE, entre les formateurs, qui sont enseignants du secondaire, et les enseignants-chercheurs.

5.     La réforme peut réussir mais sa gouvernance et son suivi institutionnel et politique doivent être à  la hauteur des enjeux. Le financement de la réforme ne peut pas se faire seulement en création de postes. Les missions des corps d’inspection pour l’accompagnement de la réforme et des projets interdisciplinaires qui y sont prévus demandent d’être réajustées.

Les ressources didactiques, pédagogiques  existent pour  la réussite de  ce chantier. Les revues professionnelles et militantes abondent de propositions et d’exemples de pratiques ayant devancé depuis longtemps la réforme. Elle réveille l’écho de nombre d’expériences anciennes, de grands bonheurs professionnels pour beaucoup d’enseignants, notamment pour les militants de l’école républicaine que nous sommes. Mais les réformes se sont  souvent éteintes à chaque changement politique, à chaque  changement de ministre parfois. La continuité, le long terme, la confiance, l’accompagnement et une évaluation rigoureuse des effets des dispositifs seront nécessaires.

Les enseignants actuellement souffrent de la situation du collège, le métier y devient souvent très difficile. Parions qu’ils sont prêts à encore faire des efforts mais pas à n’importe quelles conditions.

Lire la suite : http://www.afef.org/blog/post-la-rurme-du-collu-chiche–p1519-c15.html#.VU8sBJ8rdq0.facebook

Print Friendly