AVEC L’ORGANISATION D’ACTIVITÉS AVANT ET APRÈS LA CLASSE, LA RÉFORME DES RYTHMES SCOLAIRES PORTE UNE CONCEPTION ÉLARGIE DE L’ÉDUCATION. POURQUOI S’ARRÊTER AU MILIEU DU GUÉ ? LE TEMPS EXTRASCOLAIRE DOIT ÉGALEMENT ÊTRE PRIS EN COMPTE POUR FAIRE ÉMERGER DES PARCOURS ÉDUCATIFS DE QUALITÉ. LE CENTRE DE LOISIRS DU MERCREDI ET DES VACANCES, ET LE DÉPART EN SÉJOUR COLLECTIF REVENDIQUENT LEUR PLACE DANS LES PROJETS ÉDUCATIFS TERRITORIAUX.
Les centres de loisirs et les séjours de vacances pourraient-ils être les grands oubliés du projet éducatif de territoire (PEDT) ? La réforme des rythmes scolaires à l’école primaire, à l’origine de ce dispositif, s’inscrit dans une vision élargie de l’éducation. Celle-ci reconnaît que les apprentissages eux-mêmes ne sauraient dépendre seulement de l’école, et que d’autres acteurs ont un rôle éducatif. Pour autant, l’accent est mis sur l’organisation des activités périscolaires les lundi, mardi, jeudi et vendredi, suite à l’allégement du nombre d’heures de classe par jour. La prise en compte des activités extrascolaires, celles du mercredi après-midi et des vacances, est optionnelle dans un PEDT lui-même non obligatoire. Elle dépend donc de la bonne volonté des acteurs. Pour construire un véritable « parcours éducatif cohérent et de qualité», tel qu’annoncé par le ministère de l’Éducation nationale dans la circulaire du PEDT(1), il apparaît aujourd’hui indispensable de souligner le rôle et l’importance des centres de loisirs et des séjours collectifs.
RUPTURE AVEC UNE CERTAINE CONCEPTION
La loi de refondation de l’école reconnaît une multiplicité d’acteurs légitimes pour intervenir dans l’éducation, dans et aux côtés de
l’école : les collectivités et les associations, en priorité celles de jeunesse et d’éducation populaire. L’État n’est plus seul. Il s’agit bien d’une rupture avec la conception d’une école séparée des autres acteurs éducatifs(2). Une avancée que La Jeunesse au plein air a soutenue. Mais la reconnaissance par le ministère de l’Éducation nationale que l’éducation vise à appréhender la personne dans sa globalité, avec son parcours, dans le cadre de vie qui est le sien, est encore timide.
Pour Yves Fournel, président du Réseau français des villes éducatrices, « la logique serait d’intégrer formellement l’extrascolaire
au PEDT… Il est nécessaire de ne pas "lâcher" pendant les vacances les jeunes qu’on accompagne le reste de l’année, notamment les plus en difficultés ». Yves Prévôt, maître de conférences en sciences de l’éducation, rappelle que les enfants passent 20% de leur temps en classe et 80% en dehors et que les inégalités se forment bien plus en dehors de l’école que dans l’école. Là est l’enjeu pour les centres de loisirs et les séjours de vacances. En pensant globalement les temps de l’enfant,
c’est la réussite de tous que l’on vise.
LE CENTRE DE LOISIRS COMME PASSERELLE
Par leur nombre, leur couverture territoriale et leur diversité, les centres de loisirs sont des espaces éducatifs structurants du temps libre. Ils contribuent à l’éducation en développant une action complémentaire de celle de la famille et de celle de l’école, poursuivant à la fois une fonction sociale et une fonction éducative et culturelle. Espaces de jeux, de découvertes et d’initiatives ouverts sur la cité, ils contribuent aux acquisitions de connaissances, à la conquête de l’autonomie et de la responsabilité. De plus, les équipes d’animateurs, souvent impliquées dans les accueils périscolaires, peuvent créer des passerelles. Cette tendance, qui tend à se renforcer avec la mise en place de la réforme, légitime d’autant plus la prise en compte des centres de loisirs dans les PEDT dans une logique de continuité éducative.
Le séjour de vacances répond à plusieurs enjeux éducatifs(3). La rupture spatiale et temporelle avec le quotidien est un élément bénéfique et émancipateur pour l’enfant. La vie collective en continu en fait un espace privilégié de découverte et d’initiation à la vie démocratique par la vie communautaire.
Les parents, qui ont déjà fait partir leur enfant en colo, ne s’y trompent pas. La dernière enquête de I’Ovlej- Étude et recherches de La JPA(4) montre qu’ils considèrent majoritairement ces séjours comme ludiques et éducatifs, permettant à leur enfant d’apprendre à vivre avec les autres et à devenir autonome. S’il y a un enjeu éducatif à apprendre à partir, le sociologue Jean Viard y voit aussi un enjeu économique : « Un jeune qui n’a jamais quitté sa cité, qui n’a jamais pris le train, aura du mal à trouver du travail ne fût-ce que pour aller à l’autre bout de sa région :».
INQUIÉTUDE SUR LES FINANCEMENTS
Si ces rappels sur les centres de loisirs et les séjours de vacances sont devenus indispensables, c’est que la mise en place de la réforme, dans son avancement actuel, pourrait contribuer à les faire oublier. Pour Olivier Prévôt, « le gros risque c’est que les collectivités estiment qu’elles aient "fait le job" en finançant le périscolaire et qu’elles financent moins les projets des associations d’éducation populaire sur l’extrascolaire. Je suis inquiet pour ce secteur de l’animation qui n’est pas arrivé, malgré tous les efforts de professionnalisation de ces dernières années, à s’imposer parmi les travailleurs sociaux comme un vrai outil d’intervention sociale ». Une note du Centre d’analyse stratégique(6) va dans le même sens : elle rappelle que le soutien au départ est souvent perçu comme accessoire dans les politiques sociales.
A ce propos, le député Michel Ménard fait dans son rapport(7) de juillet 2013 une proposition qui faciliterait l’attribution, aux séjours collectifs ou à leurs organisateurs, de subventions venant des collectivités, des fonds d’État ou des fonds d’action sociale
des caisses d’allocations familiales. Il s’agit d’intégrer les séjours collectifs de mineurs, organisés par des associations d’éducation populaire labellisées, ainsi que les classes de découvertes, dans les projets éducatifs territoriaux.
DES CONDITIONS FAVORABLES
Le présent dossier essaie donc d’éclairer la place actuellement prise par les centres de loisirs et les séjours de vacances à partir d’exemples différenciés, à l’occasion de la mise en oeuvre de la réforme ou de sa préparation. Celle-ci n’en est qu’à ses débuts, seulement 4000 communes s’y sont lancées cette année. Les exemples trouvés montrent, entre autres, l’émergence de la prise en compte du rôle des centres de loisirs dans la réflexion entourant la réforme.
On peut en dégager quelques conditions nécessaires ou favorables. Là où les centres étaient déjà partenaires de projets communs, dans le cadre d’un projet éducatif local notamment, ils n’ont pas été oubliés. Ainsi, la communauté de communes du Pays de Foix, dans l’Ariège, a su s’appuyer sur les Francas qui organisaient déjà divers accueils de loisirs, pour la plupart associés à l’école. Avec deux intercommunalités du Calvados, la Ligue de l’enseignement a accompagné le développement de la fréquentation du centre de loisirs pour l’une et créer un nouvel accueil dans l’autre.
BESOIN DE TEMPS
La stabilité, voire l’ancienneté des équipes d’enseignement et d’animation, favorise la reconnaissance de chaque secteur, comme à Saint-Fons, dans le Rhône, où les enseignants n’hésitent pas à interroger les animateurs sur les enfants et sur les situations familiales difficiles. Enfin, la collaboration organisée est payante dans la durée : à Angers, à partir de la deuxième année, on a pu déboucher sur la construction de projets communs, en complémentarité entre la classe et les temps d’animation.
Ce dossier donne également à voir quelques communes qui ont fait le choix d’intégrer même les séjours de vacances aux politiques éducatives, et qui affirment leur souci d’intégrer les temps extrascolaires dans leur futur PEDT. De telles expériences doivent se généraliser !
Et demain ? Il faut que les associations éducatives complémentaires de l’enseignement public puissent être reconnues pour leur capacité à construire, avec les autres acteurs, une action éducative sur l’ensemble du temps de vie de l’enfant. Leur complémentarité se situe bien là et doit s’affirmer. Associations et école devraient faire l’objet d’un accompagnement commun de la part de la puissance publique (Etat, collectivités locales). Une parole collective et forte des associations peut être portée auprès des partenaires du PEDT, à partir du temps libre et des vacances. Puisse ce dossier contribuer à sa construction…•
(1) Circulaire n’ 2013-036du 20 mars 2013.
(2) Les Rencontres nationales des projets éducatifs de Brest ont d’ailleurs consacré plusieurs interventions aux pratiques scolaires. Voir p.10.
(3) Judit Vari, sociologue de l’éducation et de l’enfance.
(4) Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes. Enquête « Les colos aujourd’hui : un secteur en évolution Quels publics pour quels séjours ?» 2013.
(5) Intervention lors du JT de France 2 le 1" août 2013.
(6)Note d’analyse 234, Juillet 2011, Sylvain Lemoine et Sarah Sauneron.
(7) Rapport d’information de l’assemblée nationale sur l’accessibilité des jeunes aux séjours collectifs et de loisirs, voir la proposition n’10.