Depuis que le Premier ministre a lâché, le 22 janvier, qu’il fallait s’attaquer à la politique de peuplement de certains quartiers pour lutter contre les ghettos, terreau de la radicalisation islamique, les pistes s’ouvrent. Le président de la République a reçu jeudi 29 janvier plusieurs élus de banlieue pour leur demander de plancher sur la question. François Pupponi en avait évoqué quelques-unes lors de ses voeux à la presse, le matin même, en tant que président de l’Anru. Sylvia Pinel, lors du même exercice, a identifié quatre leviers en matière de politique du logement.
Loger des personnes relevant du Dalo dans des logements très sociaux construits sur des terrains saisis par les préfets dans des communes refusant d’appliquer la loi SRU. Voilà une des mesures qui a été suggérée à François Hollande, ce 29 janvier en milieu de journée, lors d’un déjeuner de travail organisé à l’Elysée. François Hollande y recevait huit élus de banlieue (*), en présence de la secrétaire d’Etat à la Ville, Myriam El Khomri, et de la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, pour prendre le pouls de ce qui se passe dans leurs quartiers difficiles et envisager des solutions pour lutter contre la ghettoïsation.
Les quatre leviers de la mixité sociale de Sylvia Pinel
Ce midi-là, hôtel de Castries, la ministre du Logement, Sylvia Pinel, déclarait, lors de ses vœux à la presse : « La politique du logement doit être mise au service de la mixité sociale ». Elle promettait de « repenser nos outils en profondeur pour changer l’approche » en évoquant quatre leviers : la construction de différents types de logements (et de citer : logement très social et social, logement intermédiaire, accession sociale et logement privé) » ; la loi SRU ; la refonte des modalités d’attribution des logements sociaux ; la rénovation du parc de logements existants (logements sociaux et logements en copropriétés dégradées).
Le matin, François Pupponi faisait lui aussi ses vœux à la presse dans les locaux de l’Anru dont il est président depuis novembre dernier. Là encore, les déclarations portaient sur la politique de peuplement.
Selon Damien Carême, maire de Grande-Synthe et président de Ville & Banlieue qui participait à la réunion avec François Hollande, le président de la République a été à l’écoute des témoignages des élus de terrain et leur a demandé de formuler rapidement des propositions concrètes n’excluant pas que celles-ci donnent lieu à des mesures d’ordre législatif. Solutions qui inspireront vraisemblablement le comité interministériel de lutte contre les inégalités qui se tiendra début mars.
Cesser de loger les Dalo dans les quartiers prioritaires
Patrick Kanner, ministre en charge de la Ville, avait déjà évoqué l’idée que l’Etat puisse « saisir des terrains disponibles » dans les communes ne voulant pas appliquer la loi SRU et « construire » à leur place des logements sociaux (voir notre article du 23 janvier). « Je veux apporter une réponse à ces situations de blocage, par exemple en mobilisant davantage et en améliorant les outils d’urbanisme à la main de l’Etat lorsque la commune est récalcitrante », a annoncé de manière moins directe Sylvia Pinel aux journalistes, sans plus de détail. Mais de là à y loger les plus pauvres…
C’est que les quartiers prioritaires ne cessent de se paupériser. Parmi toutes les raisons, il y a le fait que les préfets logent les prioritaires Dalo dans leur contingent situé dans les quartiers déjà pauvres. Une démarche que François Pupponi, député-maire de Sarcelles et président de l’Anru, également présent à la réunion de l’Elysée, n’a eu de cesse de dénoncer (voir nos articles ci-contre). Il pointe également le fait que les villes qui ont construit du logement social sous la contrainte de la loi SRU ont veillé dans leur politique d’attribution à accueillir des personnes de la classe moyenne, ce qui a pu avoir pour effet de les sortir des quartiers populaires où elles résidaient jusque-là.
Les politiques d’attribution : le nerf de la guerre
Plus largement, les politiques d’attribution des logements se révèlent le nerf de la guerre contre la ghettoïsation. La solution envisagée n’est pas nouvelle : monter à l’échelle de l’intercommunalité pour permettre à chaque partenaire (Etat, bailleurs sociaux, maires et élus intercommunaux) de dépasser leur propre logique pour envisager une stratégie globale de « peuplement ».
Sylvia Pinel le sait bien quand elle annonce vouloir « favoriser la mixité grâce à une refonte des modalités d’attribution des logements sociaux ». A ce propos, l’échelle intercommunale et métropolitaine lui paraît également « pertinente » pour définir « des orientations partagées entre acteurs ». « Mais il faut casser les cloisonnements, améliorer le dialogue entre les acteurs. Je veux progresser sur ce point en partenariat avec le mouvement HLM, les associations et les élus », s’est-elle engagée.
Les opérations Anru menées dans la métropole lyonnaise prouvent, selon François Pupponi, qu’elles peuvent créer une vraie mixité sociale. Ici les villes voisines auraient accepté, par solidarité intercommunale, d’accueillir les reconstructions Anru et les habitants qui allaient avec. Une démarche jusqu’à présent inimaginable en Ile-de-France où, selon le maire de Sarcelles, « l’égoïsme territorial » est la règle. « Si les maires ne veulent pas de logements très sociaux – souvent sous la pression de leurs concitoyens – il faut passer en force », estime-t-il.
Ghettos sociaux et ghettos ethniques
Mais quand on parle de ghettos, on sous-entend aussi qu’il y a concentration « ethnique », même si le mot fait peur. Et là, autant le président de l’Anru croit possible de casser les ghettos sociaux, autant il estime « compliqué » de mener des politique de mixité « d’origine ». Selon les observations de l’Anru, les opérations d »accession à la propriété dans un quartier n’attireraient que les personnes ayant un emploi stable mais issues de la même communauté que le quartier. Il serait illusoire de penser attirer des classes moyennes venues d’ailleurs. L’entre-soi n’étant pas l’apanage des ghettos de riches…
Autre constat dérangeant : celui de la présence dans les HLM de personnes à qui il n’a pas été attribué de logements. Soit qu’ils y ont été accueillis par solidarité familiale, soit qu’ils sous-louent une chambre. Une politique d’attribution resserrée aura pour effet d’envoyer ces personnes, souvent issues de l’immigration clandestine, droit dans les mains des marchands de sommeil qui oeuvrent de plus en plus dans les centres anciens des communes, voire dans les lotissements périurbains. « Plus on est ferme sur les politiques d’attribution, plus on développe les filières parallèles », résume François Pupponi. D’où la nécessité de mettre en place parallèlement des actions de lutte contre les marchands de sommeil.
Plus d’écoles privées, plus de mixité ?
La question éducative s’est également invitée au déjeuner de l’Elysée. Le lien entre le décrochage scolaire et la délinquance a été illustré par plusieurs maires. Le programme de réussite éducative a été présenté comme un si « bon outil » que le président de la République aurait spontanément envisagé de l’élargir à d’autres communes.
Mais dans un cadre de politique de peuplement ambitieuse, qui ferait venir des classes moyennes, il ne suffit pas de réparer, comme le rappelle Damien Carême. « Pour des raisons que je peux entendre, les classes moyennes ne croient plus que le collège public est un endroit où leurs enfants ont un avenir », rapporte François Pupponi. « Et c’est vrai que souvent, ce sont ces enfants-là qui sont les premières victimes de rackets et d’agressions et comme les enseignants les considèrent plus privilégiés, ils leur accordent moins de temps qu’aux autres », poursuit-il (en connaissance de cause, ses propres enfants ayant été scolarisés dans un collège public de Sarcelles). Dès lors, il considère que pour favoriser la mixité scolaire dans les quartiers, il faut offrir aux classes moyennes la possibilité de mettre leur enfant dans une école qui les rassure.
De là à ce que l’Anru, un jour, finance la réalisation d’écoles privées dans les quartiers de renouvellement urbain…
Valérie Liquet
(*) Catherine ARENOU, maire de Chanteloup-les-Vignes, Stéphane BEAUDET, maire de Courcouronnes, Damien CAREME, maire de Grande-Synthe, Claude DILAIN, sénateur de la Seine-Saint-Denis, ancien maire de Clichy-sous-Bois et ancien président de Ville & Banlieue, Hélène GEOFFROY, députée-maire de Vaulx-en-Velin, Valérie LETARD, sénatrice du Nord, présidente de Valenciennes Métropole, François PUPPONI, député-maire de Sarcelles, Philippe RIO, maire de Grigny.