In La vie des idées.fr – le 5 juin 2013 :
Accéder au site source de notre article.
La politique de la ville est une réalité complexe et dont l’évaluation est contestée. Pour mieux la comprendre, la Vie des idées propose une série de repères sur les actions menées et leur impact.
Télécharger ce(s) document(s) :
-
La politique de la ville : Repères (PDF – 224.1 ko)
Par Cyprien Avenel & Nicolas Duvoux
Vers une nouvelle réforme de la Politique de la Ville
Après les élections présidentielles du printemps 2012, le premier ministre Jean-Marc Ayrault a annoncé l’engagement du gouvernement dans une nouvelle étape de la Politique de la Ville. Jusqu’à présent les politiques mises en œuvre ont révélé leurs limites, en particulier sur le plan de l’amélioration des conditions de vie des habitants concernés, qui restent confrontés à de lourdes difficultés sociales, accentuées par une crise qui les touchent particulièrement. Face à la persistance des inégalités territoriales, une nouvelle étape de la Politique de la Ville est donc engagée afin de renforcer la mobilisation des politiques publiques et des programmes spécifiques en faveur des quartiers urbains défavorisés.
Cette réforme résulte en grande partie d’une concertation nationale (« Quartiers : engageons le changement ! ») ouverte le 11 octobre 2012 à Roubaix par François Lamy, ministre délégué à la ville, et clôturé le 31 janvier 2013 à l’Assemblée nationale. Cette concertation opérationnelle a associé les différents partenaires concernés, publics et privés, locaux et nationaux, en créant les conditions d’une démarche de mobilisation permettant de dégager des constats partagés et des recommandations. La démarche a permis ainsi aux parties prenantes de contribuer aux réflexions sur les fondements, les orientations et les modalités et de la refonte de la Politique de la Ville.
Ainsi, au niveau national, trois groupes de travail, regroupant plus de cent cinquante participants, ont été réunis autour de trois grands axes stratégiques :
• Le premier groupe avait pour mission de contribuer à une remise à plat de la carte de la géographie prioritaire dans le but de simplifier les zonages – ZUS, ZFU, ZRU, CUCS, PRU, etc. -, et de concentrer les interventions publiques sur les quartiers qui en ont le plus besoin ;
• Le deuxième groupe avait pour mission d’établir un diagnostic et des propositions sur la gouvernance et la territorialisation des politiques publiques, la contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales, afin d’améliorer l’articulation entre la mobilisation des politiques de droit commun des ministères et la concentration des crédits spécifiques « politique de la ville » sur les territoires les plus en difficulté ;
• Le troisième groupe devait s’atteler à la notion de « projet de territoire » pour renouveler l’approche et le contenu des politiques sectorielles (action sociale, habitat et cadre de vie, éducation, emploi, développement économique, santé, culture, sport, etc.) et mieux déterminer la définition d’objectifs partagés entre les actions de rénovation urbaine et les politiques de cohésion sociale, mises en œuvre dans le cadre d’un contrat unique global.
Par ailleurs, cette concertation a également mobilisé les professionnels de terrain, les acteurs associatifs et les habitants par l’intermédiaire de cahiers d’acteurs [1], permettant à ceux qui le voulait de s’exprimer librement sur la réforme de la Politique de la Ville. Les habitants de certaines villes [2] ont été particulièrement invités à participer à des réunions publiques, les « Rencontres avis citoyens », occasion pour eux de prendre la parole et de débattre de leurs attentes.
À la suite de cette concertation, le comité interministériel des villes (CIV) présidé par le Premier Ministre, s’est réuni au cours d’une plénière le 19 février 2013 [3]. Le relevé du comité précise le contenu du projet de loi à partir de vint-sept décisions provenant, pour la plupart d’entre elles, des préconisations formulées dans le cadre de la concertation nationale.
Ces décisions s’articulent autour de cinq axes qui correspondent aux engagements formulés par François Lamy. Le premier engagement, qui n’est pas le moindre, porte sur la révision de la géographie prioritaire, avec pour objectif principal de resserrer les crédits spécifiques sur un nombre plus restreint de quartiers (de 2500 actuellement à 1000). La réforme pourrait aboutir à distinguer deux types de quartier : d’une part, les quartiers ciblés qui bénéficient de la solidarité nationale avec les crédits spécifiques de l’Etat. D’autre part, des territoires en “veille active”, avec une mobilisation de la solidarité locale autour du droit commun et une contractualisation visant l’optimisation des interventions publiques.
Le deuxième engagement concerne la mobilisation du "droit commun renforcé" avec une politique contractuelle rénovée et une exigence de solidarité territoriale et de péréquation plus cohérente. L’enjeu est de mobiliser en priorité chacun des ministères pour consolider l’intervention des politiques sectorielles (emploi, développement économique, éducation, santé, justice, etc.), et concentrer les moyens de droit commun dans les quartiers (des conventions sont contractualisées entre le ministère chargé de la Ville et chaque ministère [4]) Les nouveaux « contrats de ville » devront désormais intégrer le social et l’urbain, en créant une démarche d’intervention unique et globale à l’échelle intercommunale.
Le troisième engagement vise l’achèvement du programme de rénovation urbaine et projette une nouvelle génération d’opérations à partir de 2014 afin de poursuivre les efforts envers le désenclavement des quartiers et la mixité sociale.
Le quatrième engagement vise l’association des habitants aux décisions et aux projets dans un objectif de co-construction des futurs contrats de ville. À cette fin, une mission spécifique est confiée, par le Ministre délégué à la ville, à la sociologue Marie-Hélène Bacqué et à Mohamed Mechmache, Président de l’association AC Le Feu, afin d’établir des propositions opérationnelles sur la participation et le pouvoir d’agir des habitants, et sur le rôle des associations dans les quartiers.
Enfin, le cinquième engagement englobe la lutte contre les discriminations “liées à l’adresse et à l’origine réelle ou supposée”, avec en particulier le lancement d’une expérimentation sur les “emplois francs” dans 10 agglomérations (Marseille, Amiens Grenoble, Clichy-Montfermeil, Toulouse, Lille, Perpignan, Saint-Quentin, Sarcelles et Fort de France pour les outre-mer).
Au final, cette réforme amorce un nouveau souffle, non sans renouer avec l’esprit de mobilisation collective et citoyenne de la Politique de la Ville. À la veille de l’élection présidentielle, de nombreuses propositions de renforcement et d’amélioration de la Politique de la Ville avaient été diffusées par les grandes associations nationales, les réseaux des professionnels et des élus locaux, dans un objectif d’alerte sur la dégradation sociale des quartiers [5]. Les propositions révélaient un assez large consensus des acteurs locaux sur le constat d’une situation très préoccupante des quartiers et sur la nécessité d’une refondation de cette politique visant à lui redonner des perspectives.
Cette réforme est une réforme de méthode, pas de moyens (un budget de 500 millions d’euros). L’exposé des motifs vise à opérer une transformation en profondeur de la gouvernance de la Politique de la Ville, en réaffirmant fortement sa légitimité. La réforme invite largement à un retour aux sources de cette politique, de ce qu’elle aurait du être, mobilisant une approche ascendante de l’action publique, plus participative, transversale et ancrée sur le terrain. Elle affiche également la volonté de concrétiser un changement de regard sur les quartiers, en considérant ces derniers moins comme une accumulation de problèmes que comme un gisement de ressources. Il est donc attendu une mutation des pratiques professionnelles, en particulier pour ce qui concerne l’association des habitants au processus de décision, par-delà les simples logiques de consultation. L’ensemble des décisions prises par le CIV engage une nouvelle étape de la Politique de la Ville qui se veut, depuis son origine, contractuelle, interministérielle et locale, et dont les résultats sur la situation des quartiers ne sont pas jugés satisfaisants.
Les « quartiers sensibles » entre dynamiques de ségrégation et d’intégration
Les « zones urbaines sensibles » (zus) sont des entités administratives définies par les pouvoirs publics pour être la cible prioritaire de la Politique de la Ville. D’après la loi du 14 novembre 1996 relative au « Pacte de relance pour la ville », elles sont caractérisées par « la présence de grands ensembles ou de quartiers d’habitat dégradé et par un déséquilibre accentué entre l’habitat et l’emploi ». La France compte actuellement 751 zones urbaines sensibles dont 717 en métropole. Ces dernières regroupent 4,46 millions d’individus, soit 7,6 % de la population.
Les zones urbaines sensibles de la métropole cumulent les principaux indicateurs de difficultés sociales, et se démarquent nettement, de ce fait, des agglomérations dont elles dépendent. La plupart des indicateurs montrent un creusement des écarts avec les autres quartiers, notamment en termes d’emploi, de revenus ou de mixité sociale (comme le montrent les rapports annuels de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles – ONZUS – depuis dix ans maintenant). D’abord, les caractéristiques démographiques se distinguent de la France métropolitaine. La part des jeunes de moins de 25 ans y est plus importante (ils représentent 40 % de la population contre 30,6% % en France). Ensuite, les couples avec un ou deux enfants sont nettement moins nombreux tandis que la présence des familles nombreuses (11,9 %) et des familles monoparentales (20,5 %) y est plus grande. Par ailleurs, les individus sont trois fois plus souvent de nationalité étrangère (17,5 % ).
La situation vis-à-vis de l’emploi reflète la concentration des difficultés. Ainsi, entre 1990 et 1999, le taux de chômage passe, dans les ZUS, de 18,9 % à 25,4 %, alors que, durant la même période, ce taux évolue de 10,8 % à 12,8 % pour la métropole. Aujourd’hui (2011), ce taux y est toujours 2,5 fois plus important qu’ailleurs en concernant plus d’un individu sur cinq (22,7%), parmi les actifs de 15 à 64 ans. Surtout, si le taux de chômage des moins de 25 ans est de 24,5 % hors quartiers sensibles, il frise les 40 % à l’intérieur en 1999 (au lieu de 28,5 % en 1990) et il touche, en 2005, 45 % des jeunes hommes actifs et 38 % des jeunes femmes actives. En 2012, le taux de chômage des 15 à 24 ans se situe à un taux de 40,7%. Chez les séniors, ce taux augmente, passant de 10,5% en 2008 à 14,9% en 2011 ; alors qu’il est de respectivement 5% et 6,3% dans les unités urbaines qui comprennent une Zus. Les populations immigrées, enregistrent également des taux de chômage plus importants (26,1%) que les non immigrés (17,6%).
Par ailleurs, la proportion d’emplois précaires, c’est-à-dire concernant tous les salariés qui n’ont pas de CDI, s’élève à 18,2 % contre 12,1 % sur le territoire métropolitain. Quant à la scolarité, 39 % des habitants des ZUS n’ont aucun diplôme à l’issue de leurs études (contre 21,2 % des personnes des autres quartiers). Seulement 3,9 % obtiennent un diplôme universitaire de deuxième ou troisième cycle. Enfin, la catégorie socioprofessionnelle de la personne de référence du ménage indique la très forte concentration d’employés, d’ouvriers qualifiés et non qualifiés dans les zones urbaines sensibles (56,3 %).
Les habitants de ces quartiers connaissent donc une plus grande précarité financière : leur niveau de vie moyen est de 918 euros par mois contre 1 260 euros pour les personnes hors ZUS. Ils perçoivent plus fréquemment des allocations familiales ou des aides au logement (51,5 %). Ils sont environ deux fois plus souvent bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA) (30,2%). En moyenne, un ménage sur cinq vivant dans un quartier prioritaire se situe en dessous du seuil de pauvreté, contre un ménage sur dix dans le reste de la France et, près d’un jeune de moins de 18 ans sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté (rapport 2012 ONZUS).
Dans son dernier rapport (2012), l’Onzus pose un regard transversal sur la situation des deux millions de femmes qui vivent en Zus. Malgré des parcours scolaires meilleurs que les garçons, à l’âge adulte, plus d’une femme sur deux se retrouve sans emploi et, lorsqu’elles y accèdent, c’est souvent dans le cadre de contrats précaires (CDD, temps partiel, etc.). Les jeunes femmes âgées de 25 à 34 ans résidant en Zus (14,6% de la population totale de ces zones) vivent plus souvent dans le foyer parental, sont plus fréquemment chargées de familles – généralement plus nombreuses – et sont davantage en situation de monoparentalité. Ces éléments se répercutent notamment sur leur statut d’activité, puisqu’elles sont presque trois fois plus souvent femmes au foyer (17,1%) que les femmes des quartiers environnants (6,7%).
Même si les quartiers concentrent les difficultés, ils différent grandement entre eux, quels que soient les critères retenus. Contrairement à l’image courante, ces quartiers ne sont pas des espaces homogènes cumulant uniformément les handicaps et l’enclavement géographique. L’apparente unité que donne la définition des « zones » de concentration de problèmes dissimule des situations sociales et urbaines disparates. Les quartiers prioritaires situés dans les anciennes cités ouvrières des villes minières du nord et de l’est de la France, héritées de la période industrielle, se distinguent nettement des grands ensembles issus de la phase d’urbanisation de l’après-guerre. Par ailleurs, toutes les zones urbaines sensibles ne sont pas des cités HLM reléguées à la lisière de la grande banlieue. En province, la moitié des quartiers sensibles est située dans les « villes centres » des agglomérations (au sens de l’INSEE). De nombreux travaux statistiques rendent compte de cette hétérogénéité et montrent que l’effort pour hiérarchiser les problèmes selon une échelle commune semble vain. Par exemple, en 2009, quand les 10% des Zus les plus modestes ont un niveau de vie médian inférieur à 8 200 euros par personne, les 10% des Zus les plus aisées en ont un de près de 14 000 euros, soit près du double.
Pas plus que les quartiers, les habitants ne renvoient pas à une entité homogène. Le dénominateur commun ne provient guère que du regard extérieur. Beaucoup d’habitants ont des revenus faibles, mais une bonne partie d’entre eux dispose de revenus moyens issus d’un emploi salarié stable d’employé ou d’ouvrier. Au moment où les quartiers semblent s’imposer comme le lieu des trajectoires bloquées, un nombre non négligeable d’individus ne font qu’y transiter. En effet, la relative stabilité des inégalités entre ces quartiers et le reste du territoire résulte, en partie, du taux de mobilité résidentielle des habitants qui est grosso modo le même que celui des agglomérations où ils sont insérés (entre 2005 et 2009, le taux de mobilité atteint 52% dans le parc HLM). Les ménages qui ont eu les moyens de les quitter sont remplacés par d’autres, souvent plus paupérisés, avec en moyenne des revenus plus faibles et davantage allocataires des minimas sociaux et bénéficiaires des prestations sociales que ceux déjà installés. La connaissance du fonctionnement des quartiers devrait ainsi être renouvelée à partir d’une approche plus dynamique prenant en compte la mobilité spatiale et sociale de la population (l’ONZUS a lancé en 2011 une enquête par panel auprès d’un échantillon de 1830 ménages résidant en Zus, et suivis pendant quatre ans).
Exemplaire de cette diversité est la situation des « jeunes des cités », expression stéréotypée qui masque une multiplicité de situations et de parcours. Plusieurs travaux soulignent l’hétérogénéité de la jeunesse en fonction de l’origine sociale des parents, des niveaux de diplôme, de la nationalité d’origine et du rapport à l’école, différents facteurs soutenant la palette des positionnements vis-à-vis du quartier, du monde du travail et, plus généralement, de la société.
Il faut donc se méfier des discours abstraits portant sur « l’exclusion » et « les quartiers ». À tous égards, la question urbaine se décline au pluriel. Les situations de ségrégation sont relatives et doivent, par conséquent, être appréciées en référence à des configurations contrastées.
Le PNRU : une politique territoriale à visée sociale
Les origines des politiques de restructuration des quartiers urbains défavorisés sont à rapprocher de la dégradation précoce du cadre bâti des grands ensembles dans les années 70 et de la nécessité de les réhabiliter [6]. En 2003, la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, dite loi « Borloo [7] », s’inscrit dans cette continuité (amélioration du cadre de vie, mixité sociale et réduction des inégalités). Elle se distingue cependant des interventions antérieures, tant par l’ampleur des moyens dédiés à sa mise en œuvre et le nombre de sites concernés, que par la création de l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU), devant intervenir avec ses partenaires (le SG-CIV, la DHUP, l’UESL – Action logement, l’USH, la Caisse des Dépôts, etc.) pour développer des projets urbains globaux et pluriannuels dirigés vers la revalorisation du territoire.
Le programme national de rénovation urbaine (PNRU), défini par la loi du 1er août 2003, vise à restructurer en profondeur les quartiers prioritaires de la Politique de la Ville, par la mise en œuvre de vastes opérations sur le cadre bâti. Comme l’indique l’intitulé de la loi, il s’agit de « réduire les inégalités sociales et les écarts de développement entre les territoires », tout en maintenant « l’objectif de mixité sociale et de développement durable ». Dans le prolongement des politiques de renouvellement urbain lancées en 1999, le PNRU a pour objectif d’améliorer les conditions de vie des habitants de ces quartiers et de redynamiser le tissu socio-économique local. Il s’agit d’un programme ambitieux, planifié et quantifié, de revitalisation physique et de « rattrapage » des quartiers pauvres, qui renforce la politique de démolition et de construction des logements.
La « mixité sociale », notion floue et polysémique, visant un idéal de brassage des populations, est plus généralement positionnée comme objectif principal des mesures réglementaires et législatives sur la ville. Le PNRU comprend « des opérations d’aménagement urbain, la réhabilitation, la résidentialisation, la démolition et la production de logements, la création, la réhabilitation et la démolition d’équipements publics ou collectifs, la réorganisation d’espaces d’activité économique et commerciale, ou tout autre investissement concourant à la rénovation urbaine ». Il distingue deux types de territoires : les quartiers classés en « zone urbaine sensible » et, à titre exceptionnel, les dits « quartiers article 6 » présentant des caractéristiques économiques et sociales similaires. La loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 prolonge la période du PNRU jusqu’en 2013. Les objectifs sont alors très volontaristes et réévalués à la hausse [8].
Dans ce cadre, l’architecture institutionnelle de la Politique de la Ville est redéfinie. L’État concentre les moyens au sein de l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU), fonctionnant comme un guichet unique des projets et des crédits, sur la base d’une convention signée avec le maire. À ce volet urbain a été ajouté l’Agence nationale de la cohésion sociale et de l’égalité des chances (ACSÉ), à la suite des émeutes de 2005, ayant la charge des actions d’intégration des populations immigrées et de lutte contre les discriminations (mais aussi l’illettrisme) et du financement associatif. Enfin, la loi relançait la politique contractuelle avec la volonté de gagner en lisibilité et en cohérence. Ainsi depuis le 1er janvier 2007, les nouveaux contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) doivent être assortis d’objectifs précis sur une durée de trois ans, renouvelables une fois, et d’une évaluation. Ces contrats regroupent l’ensemble des dispositifs existants (réussite éducative, ville-vie-vacances, atelier santé ville, etc.).
Dix ans après le lancement du programme national de rénovation urbaine (PNRU), quels sont les effets du programme sur la situation des habitants, des quartiers et des agglomérations concernées [9] ? Pour apporter des éléments d’évaluation, le Conseil d’orientation de l’ONZUS a été chargé, en septembre 2012, par François Lamy, de réaliser un bilan d’étape du PNRU I, et de soumettre un ensemble de recommandations, dans la perspective d’un acte II du PNRU. Ce travail, mené sur quatre mois, est fondé tout à la fois sur la capitalisation d’analyses préexistantes et la passation de deux questionnaires auprès des services territoriaux de l’État (sous-préfet ville, préfet délégué à l’égalité des chances (PDEC), directions départementales des territoires (DDT), etc.). Le rapport, publié au premier semestre 2013, Dix ans de Programme national de rénovation urbaine : Bilan et perspectives [10] , examine les effets des projets de rénovation urbaine sur les territoires politique de la ville. Il questionne l’atteinte des objectifs, à travers les résultats, positifs comme négatifs, sur les conditions de vie des habitants, le fonctionnement des quartiers et leur intégration aux dynamiques d’agglomération.
D’un point de vue quantitatif, le PNRU est doté de moyens très importants : en dix ans ce sont près de 45 milliards [11] d’euros – dont un quart provient des subventions versées par l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU) – qui ont été investis pour restructurer 594 quartiers. Au total, ce sont plus de 610 000 logements qui sont concernés par des opérations de démolition (145 000), de réhabilitation (325 000) ou de reconstruction (140 000). D’une façon générale, les acteurs locaux et nationaux s’accordent sur le fait que la rénovation urbaine a permis d’améliorer la qualité du cadre de vie. Les changements opérés dans la structuration des logements, des espaces et plus largement dans la physionomie des quartiers sont réels. Et, les résultats de différents sondages [12], menés auprès d’habitants concernés par une convention de rénovation urbaine, révèlent que cette dernière a, la plupart du temps, créé un sentiment d’amélioration des conditions de logement, et contribue à redonner une certaine confiance des habitants dans les institutions.
Pour autant, les données nationales montrent que les résultats effectifs ne sont pas toujours à la hauteur des ambitions initiales. Certaines défaillances sont constatées, au premier rang desquelles l’écart entre les objectifs quantitatifs définis par la loi et la programmation effective, particulièrement en termes de logements concernés, mais aussi, un relatif retard enregistré sur le déploiement des opérations. À titre d’exemple, fin 2011, sur les 140 300 démolitions programmées, 75 000 ont été livrées. Plus encore, des 91 200 relogements que ces opérations livrées devaient théoriquement engendrer (65% des logements démolis), 52 800 ménages ont été concernés, soit un peu moins de 58% ; et de ceux-ci, moins de la moitié l’a été dans un logement neuf (20 400).
Par ailleurs, le sentiment d’adéquation entre le logement et les besoins des ménages relogés, varie fortement en fonction des acteurs : pour l’ANRU, le taux de ménage vivant dans un logement de taille inadaptée a sensiblement diminué alors que, pour nombre de ménages [13], la conception des logements est parfois éloignée des besoins et spécificités locales. À une autre échelle, la stratégie de déconcentration des logements sociaux semble avoir favorisé leur répartition dans les agglomérations (en ZUS, 60% de l’habitat est à caractère social) mais l’objectif d’articulation entre la rénovation urbaine et le programme local de l’habitat (PLH) apparait difficile, notamment en raison de la différenciation des échelles d’arbitrage.
Il s’avère que le PNRU ne peut pas résoudre à lui seul l’ensemble des problématiques rencontrées dans les quartiers. L’ambition de mixité sociale relève par exemple d’une intervention bien plus large que celle sur la restructuration spatiale. En outre, si la Politique de la Ville intervient au travers de la rénovation urbaine dans l’objectif, à terme, d’enrayer la ségrégation sociale, il n’y a pas pour autant de relation mécanique entre l’amélioration du cadre de vie et la diversification sociale, ni même avec les conditions de vie des ménages.
Dans ce bilan évaluatif, l’ONZUS apporte d’utiles clés de réflexion et d’analyse, avec notamment une typologie qui peut permettre d’orienter d’éventuels travaux complémentaires. Les données qui servent de socle aux analyses récentes proviennent d’études monographiques. Or, les situations rencontrées localement sont propres à chaque territoire, ce qui rend difficile la construction d’une vue d’ensemble. C’est pourquoi, en parallèle de ce rapport, l’observatoire poursuit son travail d’évaluation par des enquêtes sur les trajectoires résidentielles et les profils socio-économiques des habitants, à travers l’exploitation d’un panel Politique de la Ville, qui suit sur quatre ans une cohorte de 1 830 ménages. Les résultats issus de la première vague sont aujourd’hui en cours d’analyse et, la deuxième vague qui s’achève, permettra, à terme, d’approfondir les connaissances sur les mobilités.
Pour nombre d’acteurs, l’évaluation des effets de la rénovation urbaine sur les problématiques des quartiers restent encore à étayer. La visibilité de la transformation spatiale des quartiers, qui incitent les responsables politiques à se féliciter du « succès incontestable » de la rénovation urbaine, ne doit pas en effet occulter le maintien d’indicateurs socio-économiques dégradés.
par &