In Le Blog de Bernard Desclaux :
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J’étais invité à la Journée nationale du Refus de l’Échec Scolaire (JRES) organisée par l’Afev, en partenariat avec le cabinet d’études Trajectoires-Reflex et plus de trente organisations, le 25 septembre. J’ai déjà évoqué quelques thématiques que je comptais y aborder (« La France, Etat éducateur, Etat formateur»). Le temps d’intervention étant très court, j’ai ramassé mon propos et je vous présente l’intervention prévue.
En introduction
Je ne suis pas sur le thème : réformer l’enseignement professionnel. En tout cas je n’y répondrai pas immédiatement sans faire un détour historique.
Contrairement aux résultats de l’enquête qui était présentée dans cette journée, mon expérience témoignerait plutôt du « mauvais état » dans lequel les élèves rentrent en lycée professionnel.
D’où le thème de ma réflexion : quelle est la place de l’enseignement professionnel dans notre système scolaire ? Et c’est une place très particulière à la France.
Quelques repères historiques
On constate une intégration tardive de la formation professionnelle dans le système initial français, dans les années 50. Il y a plusieurs explications.
La première explication. Antérieurement, la suppression des corporations qui réglementaient la formation professionnelle chez nous. Cela se fait à la fin de l’ancien régime et à la Révolution (voir mon article « Apprentissage : le contexte historique français ». Cela crée un vide, et une multitude d’acteurs apparaissent dans la formation professionnelle, (municipalités, certaines entreprises, associations).
Compte tenu de la pénurie de formation, l’état essaye de légiférer, comme dans tous les états européens. D’où la tentative de lancer l’apprentissage à partir de 1919. L’Orientation professionnelle sera également créée à cette époque. Mais… les entreprises suivent peu (l’artisanat oui, mais pas les entreprises).
Et au retour de la seconde guerre mondiale, l’état « nationalise » la formation professionnelle initiale : « Nous formons, vous reconstruisez », c’est le deal de l’époque.
Mais une autre raison doit être évoquée, et elle concerne l’organisation scolaire cette fois-ci. L’intégration de l’enseignement professionnel se fait au moment où on a :
- Allongement de la scolarisation jusqu’à 16 ans
- Mise en place du système scolaire « unifié »
Et ce dernier point est important. Au fond l’enseignement professionnel permet de protéger l’enseignement secondaire général tout en assurant l’allongement de la scolarité. Ceci permet de maintenir, ou de croire que l’on peut maintenir la pureté de l’enseignement général. « On vous intègre, mais vous vous occuperez des élèves dont nous ne voulons pas ».
Et l’outil pour opérer ce tri qui a pour effet cette protection, c’est les procédures d’orientation.
Orientation-sélection
La matrice que nous connaissons aujourd’hui se met en place avec la réforme Berthoin en 1959. Le processus va se complexifier jusqu’à aujourd’hui.
La subtilité vient du fait que la famille doit faire une demande d’orientation à laquelle répond le conseil de classe. Avant 1959, pas de demande (on est dans un entre-nous sociologique = 5% de la population sont dans le secondaire). C’est la période de la démographisation comme disait Antoine Prost.
La décision du conseil de classe (je vais vite sur cette notion de décision) repose non plus sur des épreuves permettant de calculer une moyenne, mais sur un jugement collectif des enseignants qui se basent sur leurs évaluations individuelles (disparition des épreuves trimestrielles, apparues dans les années 1890, en 1969). Voir mon article «Aux origines du conseil de classe ».
L’élève « orienté » est d’abord un élève refusé pour une voie générale. C’est le jugement de base.
La double peine
Et l’orientation suppose un changement d’établissement… il faut trouver une place.
Avant les années 70, il s’agit d’une question « privée », chaque famille s’adresse à un établissement qui accepte ou non. A partir de 70, c’est l’affectation qui se met en place et cela devient l’affaire de l’état et de son représentant l’Inspecteur d’académie, le DASEN aujourd’hui et le recteur. De la foire aux dossiers on est passé au cours des années 80 à des procédures d’affectation assistées par l’informatique, et maintenant à une affectation gérée par une application nationale sur le web, AFFELNET. Les Proviseurs des Lycées professionnels sont souvent mécontents, car ils ne sont pas maitres du recrutement. Si l’application AFFELNET est nationale, sa mise en œuvre est rectorale. chaque rectorat introduits ses propres critères, mais les notes de l’élève sont le critère primordial pour calculer et produire les listings d’affectation.
L’état des procédures aujourd’hui
Aujourd’hui, il existe trois paliers d’orientation au collège (6ème, 4ème, 3ème). Avec le projet de nouveaux cycles (voir mon article), sans doute on aurait seulement 6ème et 3ème comme paliers. Il y a également l’expérimentation de « donner la mains aux parents » dans quelques établissements, mais seulement après toutes les phases de la procédure habituelle en troisième, et celles de 6ème et de 4ème. Cela ne supprime pas l’intégration du jugement dévalorisant sur soi, ou au contraire le renforcement du conflit (voir mon article).
Chiffres actuels : 61% pour la seconde Gt, 36% pour la seconde pro et 2% de rdt.
Donc ma position
Les procédures d’orientation placent les enseignants et le collège dans un paradoxe pragmatique : faire réussir tout le monde et en même temps être capable de sélectionner les élèves. C’est pourquoi je milite pour la suppression des procédures d’orientation, au moins au collège, dans le temps de la scolarité obligatoire.
L’obligation aujourd’hui (et hier) est de faire réussir tous les élèves à obtenir au moins le socle commun. Or les procédures attribuent au collège, et aux enseignants une fonction de sélection. Difficile de tenir les deux fonctions à la fois ! Dans ce principe de sélection, l’une des voies est nécessairement dévalorisée.
D’où l’idée d’une seconde commune rassemblant les trois voies, professionnelle, technologique et générale.
Le lycée polyvalent est un peu le collège créé en début de l’ère gaulliste. On y avait rassemblé les trois voies post primaire : les cours complémentaires, le CEG, et le premier cycle du lycée. Et petit à petit on a mis en place une seule 6ème… Le lycée polyvalent est une des hypothèses déjà bien avancée dans la réalité des constructions par diverses régions.
Une autre hypothèse, c’est le lycée des métiers. Au lieu de rassembler les formations « horizontalement », on rassemble fonctionnellement : on rapproche tout ce qui concerne la formation professionnelle, qu’elle soit initiale ou continue, qu’elle soit scolaire ou par alternance… Cette hypothèse est sans doute très intéressante pour la formation professionnelle par le mélange des différents apports des acteurs le plus souvent séparés. Mais elle ne résout pas la question de l’orientation.
L’organisation en silos des formations
Enfin il faut insister sur une autre tendance profonde de notre système de formation. C’est l’organisation en silos, ou en paquets cadeaux, ou encore par menus. Ce sont des blocs à prendre en totalité. La conception anglo-saxonne, libérale, diraient certains, ou modulaire, ou à la carte a beaucoup de mal à être concevable chez nous.
On peut se rappeler de diverses tentatives d’aller vers le modulaire :
- La création de la seconde de détermination en 1985 avec des options. Personne n’avait dit qu’il fallait rassembler dans une même classe les élèves ayant choisi la même option ! Même phénomènes dans les collèges. Au fond la facilité organisationnelle s’impose le plus souvent contre l’intérêt pédagogique. Le principe des classes homogènes s’affirme.
- A l’autre bout, dans l’enseignement supérieur, on peut observer la réforme dite LMD, qui avait comme principe une organisation modulaire des enseignements, permettant à l’étudiant de construire sa formation. Mais le principe du diplôme l’a emporté contre celui du niveau.
Et notre formation professionnelle est également largement organisée en silos.
Conclusion
Ce que je préconise, je le sais, n’est pas simple, car c’est une remise en cause très profonde du fonctionnement et des principes de notre système scolaire, mais c’est la seule manière à mon sens de réduire l’échec scolaire et les dégâts sociaux qu’il produit.
Bernard Desclaux