Comment l’institution scolaire évolue-t-elle pour accompagner le renouveau pédagogique que permet le numérique ?
Pendant de longues années après leur création par Napoléon 1er les lycées de France n’ont guère vu leur organisation évoluer : une administration mobilisée pour mettre en œuvre une politique éducative totalement centralisée avec « des procédures standardisées supposées s’accomplir sur tout le territoire de la même manière, suivant à la lettre des mêmes circulaires et se contentant » d’administrer » une pédagogie univoque » comme le décrit l’article de Jean-Christophe TORRES.
J’ai vécu cette époque où l’informatisation des procédures administratives conduisait les chefs d’établissement à échanger par la Poste de longs listings d’élèves avec les Centres Académiques du Traitement de l’Information sur lesquels au stylo rouge nous devions modifier les erreurs qui y figuraient ou ajouter les élèves manquant. Mais également celle où les manuels réalisés par des inspecteurs généraux – qui au passage ont largement profité de la manne- étaient la traduction seule authentifiée des programmes scolaires à mettre en œuvre au lycée et encadrant bien sûr les sujets susceptibles d’être donnés aux baccalauréats, sujets validés par ces mêmes inspecteurs généraux.
On parle » d’instructions pédagogiques « , expression encore présente dans le BO de l’Education nationale aujourd’hui, qui regroupe alors toutes les directives d’une institution qui s’apparente dans son organisation et son fonctionnement à celle de l’armée.
En guise de pédagogie on se forme plus à la didactique des disciplines qu’à la psychologie des adolescents ou aux concepts de docimologie. En utilisant des méthodes infaillibles nul doute que tous les élèves puissent réussir !
Le principe d’action, c’est le contrôle à priori : il fallait demander l’autorisation…avec pour conséquence une totale déresponsabilisation des acteurs.
Mais ce fonctionnement concernait bien sûr toute la chaîne hiérarchique.
L’administration des Rectorats également créés par Napoleon 1er par la loi du 10 mai 1806 et le décret du 17 mars 1808 fixant le fonctionnement de l’Université n’a guère varié jusque dans les années 1950, soit durant plus d’un siècle et demi, reproduisant localement l’organisation de la « Centrale » pour faciliter l’exécution des directives venant du Ministère. Ce dispositif en « tuyau d’orgue » convenait parfaitement pour un » gouvernement » de l’Education Nationale qui n’avait d’autre mission que de « distinguer et sélectionner les meilleurs » susceptibles de reproduire le système.
C’était le » bon temps » d’un jacobinisme exacerbé garant de l’élitisme républicain !
Ce mode de fonctionnement s’est heurté d’abord aux exigences de la massification des publics mais également aux attentes des citoyens d’une participation plus active à la vie de la Cité, corollaire d’une élévation du niveau d’éducation et de la massification.
La poussée des effectifs dans les années 1960 en collège puis en lycée dans les années 1980 tant en termes d’élèves que de personnels a rendu le système complexe à gérer de manière centralisée. La déconcentration de compétences pédagogiques et de gestion des personnels vers des administrations rectorales a d’abord été la conséquence de cette massification.
Le contrôle à postériori s’est progressivement substitué au contrôle à priori.
Mais ce sont bien les lois de décentralisation du début des années 80 qui ont révolutionné les pratiques et accéléré un processus de responsabilisation des acteurs publics en permettant aux acteurs locaux d’adapter les politiques nationales aux réalités de terrain.
Cela ne s’est pas fait sans frein de la part de ceux qui voyaient ainsi leur » pouvoir » se diluer dans des évolutions institutionnelles qui les dépassaient. Ces freins se sont d’ailleurs souvent accompagnés de procédures bureaucratiques aussi inutiles qu’improductives. Ainsi, dans les académies on s’est évertué à codifier la forme que devait prendre la rédaction par les EPLE des projets d’établissements institués par la loi d’orientation du 10 juillet 1989 afin d’en faciliter la lecture par le comité académique de contrôle de légalité… et leur évaluation ! Des dossiers qui ont encombré longtemps les caves des rectorats …
L’établissement scolaire apparait rapidement comme le lieu où peut « s’accroitre l’efficacité globale du système éducatif en associant l’ensemble des parties concernées à la définition d’objectifs, en assouplissant et en élargissant les procédures de décision « .
La pédagogie devient l’outil majeur permettant la réussite du plus grand nombre d’élèves dans une grande diversité des contextes scolaires. Et les équipes enseignantes les acteurs essentiels de cette modernisation de l’Education Nationale. Mais cela ne peut se faire sans confiance, sans liberté pédagogique, sans formation.
Depuis deux décennies l’organisation des rectorats s’est adaptée à cette évolution du système éducatif. Les nombreux chantiers ont été alimentés par des rapports dont on mesure aujourd’hui le caractère novateur.
Ainsi dans son rapport remis à Claude ALLEGRE en octobre 1999, le recteur BANCEL préconise l’attribution d’une dotation supplémentaire affectée à l’établissement « sur la base du projet pédagogique élaboré par les équipes enseignantes, adopté en conseil d’administration« .
A la même date le recteur MONTEIL, dans son rapport sur l’évaluation des enseignants, parlant de l’inspection évoque un « rituel pédagogique anachronique« , qui ne permet en rien « d’apprécier les performances et les compétences » des enseignants. Il propose la production d’un rapport d’activité tous les trois ans et surtout la création d’un conseil des études – qui verra le jour sous la forme du conseil pédagogique crée en 2005 – mis au service de projets collectifs disciplinaires et multidisciplinaires du volet pédagogique du projet d’établissement
Certes, il aura fallu » partager » des tutelles avec les collectivités territoriales mais il aura aussi été nécessaire de donner plus d’horizontalité à un système essentiellement « top down « .
Depuis quelques temps apparaissent dans les rectorats des fonctions inexistantes il y a vingt ans. Les directions de la Pédagogie créées au début des années 2000 acquièrent ainsi une place centrale dans les projets académiques. Les Cellules Académiques Recherche, Développement, Innovation, Experimentation – qui évoquent davantage le milieu entrepreneurial – comme les Délégations Académiques au Numérique Educatif sont de création plus récentes.
L’innovation pédagogique revient au centre du débat sur l’école et c’est rassurant ; et la question du numérique qui irradie la société demeure essentiellement pédagogique.
Nombre d’acteurs se mobilisent et agissent pour que l’Ecole fasse réussir un plus grand nombre de jeunes en leur donnant le plaisir d’apprendre.
Le Numérique est en effet intimement lié à cette nécessaire évolution des pratiques pédagogiques faisant des élèves des acteurs de leur accès aux savoirs. Les enseignants sont en forte demande de formation et de partage des expériences et des initiatives qui fleurissent dans les classes.
Le rôle de l’Institution scolaire, qui semble avoir bien compris combien la mutualisation des pratiques est source d’enrichissement réciproque, c’est » de créer les conditions favorables à ce que ces pratiques puissent émerger, essaimer, puissent être partagées « , affirme Catherine BECCHETTI BIZOT, directrice du Numérique pour l’Education dans notre entretien publié sur Educavox. Elle ajoute : » Il faut laisser pousser, laisser germer, s’épanouir ces expériences …puis architecturer tout ça pour que tout le monde en profite. «
Comment les nouveaux services académiques répondent-ils à ces nouveaux besoins ?
Comment » architecturer tout ça pour que tout le monde en profite « ? Quelles missions pour les DAN en académie ?
Marc NEISS est Délégué Académique au Numérique dans l’académie de Strasbourg.
Dans cet entretien il apporte ses réponses à ces questions.
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