PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Le retour de la morale à l’École revient régulièrement dans le discours politique. Le ministre de l’Éducation nationale n’échappe pas à la règle.

Le projet d’un « enseignement de morale laïque » de l’école primaire jusqu’au lycée, aura focalisé l’attention, dès son annonce réitérée par Vincent Peillon à la veille de la rentrée des classes, procurant du grain à moudre aux médias et servant de cible aux critiques, comme si l’impulsion symbolique de la politique éducative du nouveau gouvernement avait été donnée dans ce seul geste, au risque d’éclipser le lien avec le projet, beaucoup plus déterminant du point de vue de l’engagement de la nation en faveur de l’éducation, de la loi d’orientation à venir et de sa lente, voire houleuse, élaboration législative, dont la morale laïque ne
représente finalement qu’un fragment.

Or, cette proposition forte, mais circonscrite, du ministre isolé est vite devenue une métonymie de la refondation de l’école de la République, avant même toute consultation nationale, tout débat parlementaire et discussion au Sénat, tout avis d’expert et, notamment, des instances directement impliquées, comme le futur Conseil supérieur des programmes. En prônant l’introduction de la morale laïque comme une priorité éducative nationale et en l’érigeant en figure de proue, Vincent Peillon a ainsi pris le risque de l’exposer aux aléas de la vie politique. Peu de temps après le début de l’affaire Cahuzac, le journaliste Emmanuel Davidenkoff souhaitait, dans une tribune de L’Écho Républicain, « bon courage aux profs » pour enseigner la morale laïque à leurs élèves. C’est un choc de moralisation que la classe politique a dû encaisser, en totale contradiction avec l’ambition et les intentions explicites du projet éducatif ministériel.

En tout état de cause, le volontarisme martelé par Vincent Peillon pour soutenir l’enseignement de la morale laïque en vue du « réarmement moral » de notre pays en crise, a peut-être aussi placé le ministre en porte-à-faux par rapport aux impératifs de la communication politique, puisque, en tant que philosophe, notamment spécialiste des grands penseurs français de la République, on l’a vu alors investir ses responsabilités politiques davantage sur le mode de la vocation au sens webérien du terme, ce qui ne saurait, à notre sens, constituer une faiblesse ou prêter le flanc à la critique.

Si une certaine distorsion a pu se faire jour, cela tient à l’expression de « morale laïque » et à son entrée par effraction dans le discours politique. En effet, introduite telle quelle sous l’autorité du ministre philosophe dans le double registre de la communication ministérielle et du discours institutionnel sur les finalités de l’éducation et les programmes d’enseignement à venir, la « morale laïque », venant tout droit de sources savantes ignorées du grandpublic et des médias(1), est apparue comme un insolite « syntagme figé »(2) s’exposant aux critiques de passéisme et d’idéalisme invétéré, pour les plus douces d’entre elles. Des évolutions sont d’ailleurs intervenues, estompant l’incongruité première, puisque des formulations plus proches de l’éducation civique, et plus précisément, à l’articulation de la morale et de la politique, ont été finalement suggérées (morale commune, morale civique, valeurs républicaines, éducation au vivre ensemble) comme l’atteste le rapport

Pour un enseignement laïque de la morale rendu par la commission d’expert(3), lors d’une conférence de presse, le 22 avril dernier. On peut sans doute affirmer que, par les orientations retenues, qui préconisent des infléchissements plutôt que des innovations (interdisciplinarité, vie scolaire, projets éducatifs) et la méthode adoptée (auditions, consultations, état des lieux, lectures, synthèses documentaires) les apports de l’écoute, de l’analyse éclairée et de la prise d’information rigoureuse ont définitivement supplanté les discours péremptoires et les rixes oratoires relayés par les médias. Ce rapport marque une nouvelle phase en inscrivant la question de la morale laïque dans l’espace de la réflexion et de la discussion pédagogiques légitimes, en la référant à une connaissance de l’institution scolaire,des programmes et du cadre de l’activité enseignante que sont les écoles et les établissements,.

Il clôt ainsi en l’apaisant le cycle politique tendu que nous avons tenté de décrire, en insistant sur les déclinaisons pédagogiques à élaborer. La prudence reste de rigueur néanmoins, puisqu’on ignore à ce jour les suites qui seront données à ce rapport. Il est un dernier point à évoquer, et non des moindres, puisqu’il s’agit de la contradiction radicale apportée par Ruwen Ogien, directeur de recherches au CNRS et spécialiste d’éthique, dénonçant d’emblée le projet de Vincent Peillon comme une entreprise de « police morale » particulièrement odieuse, car ciblant « les pauvres » déjà lourdement victimes de l’échec scolaire. Le ministre philosophe n’ayant jamais pris la peine, ou le temps, de répondre à ces arguments particulièrement massifs, la controverse induite par l’auteur de La guerre aux pauvres commence à l’école n’a pas vraiment pu se développer. Aurait-elle seulement été possible, puisque Ruwen Ogien, « libéral » sur le plan politique et « libertaire » sur le plan des moeurs, récuse l’idée même d’une éducation morale, et a fortiori menée au nom d’un méliorisme d’État ? Au préalable, il faudrait analyser l’invocation des « pauvres » dans l’argumentaire de Ruwen Ogien. En effet, l’exercice consistant à parler au nom des « pauvres » et de la cause des « pauvres » n’est-il pas foncièrement ambigu ?

Dans quelle mesure, ne contribue-t-il pas de la dépossession qu’il dénonce ? De ce point de vue, le philosophe Alain se montrait plus juste quand il écrivait en 1909 : « La morale, c’est bon pour les riches ! »

(1) Husser Anne-Claire, Barthelmé Bruno et Piqué Nicolas (sous la dir. de), Les sources de la morale laïque. Héritages croisés. Lyon, ENS Éditions, 2009, 134 p.
(2) Krieg-Planque Alice, Analyser les discours institutionnels, Paris, Armand Colin, coll « ICOM », 2012, 238 p.
(3) Bergounioux Alain, Loeffel Laurence, Schwartz Rémy, Pour un enseignement laïque de la morale. Rapport remis à Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale, 22 avril 2013, Ministère de l’éducation nationale.
(4) Alain, Propos impertinents. Anthologie, Paris, éditions Mille et une nuits, 2002, 103 p.

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Categories: Laïcité

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