In Questions Educ , le blog de l’UNSA Educ – le 10 septembre 2013 :
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Suggérer la mise en place pour l’École d’une morale laïque, c’est croire en l’Éducation
C’est donc croire qu’en formant l’Homme, on peut agir sur la société. Le ministre de l’Éducation nationale, soutenu par une très forte majorité de l’opinion, a toute la légitimité pour s’engager dans ce projet d’une morale laïque. Sans céder à la nostalgie, cette démarche généreuse et louable constitue un hommage implicite aux bâtisseurs de l’École publique.
La morale laïque doit être une nouvelle construction qui respecte la diversité des opinions et des convictions religieuses, philosophiques, politiques… Tout le contraire d’un dogme. « La laïcité est le véritable œcuménisme » répétait Jean Cornec. La morale laïque « n’est pas adossée à une espérance »(1). Impérativement, elle doit s’affranchir des options religieuses ou métaphysiques qui peuvent diviser les Hommes. La morale de l’École de la République ne peut donc porter la marque d’aucune religion. Elle se doit d’être universelle. De fait, elle ne peut être que laïque pour respecter la liberté de conscience de chacune et chacun(2).
Former le citoyen est constitutif de l’idée même de République
Ce lien consubstantiel avec la République fait de l’École, ouverte à toutes et tous, une institution émancipatrice et non un service, voire une entreprise privée, que la puissance publique pourrait déléguer à telle ou telle confession.
Certes, l’École ne peut prétendre, seule, incarner la République et les principes qui la fondent. Mais, n’a pas disparu pour autant l’enjeu républicain de l’École. Enjeu pour conduire les jeunes, futurs citoyens responsables, vers le meilleur d’eux-mêmes, dans une relation de solidarité aux autres pour s’insérer dans la vie sociale. L’École est un moment important. Elle reste, encore aujourd’hui, le lieu institutionnel essentiel de socialisation.
Cette École a besoin d’une morale laïque pour favoriser la mixité sociale et concrétiser le vivre ensemble pour s’opposer à l’immanquable individualisme, porté aujourd’hui par le libéralisme, et déjà dénoncé, hier, par Auguste Comte : « Le triomphe de l’individualisme aboutit à la tolérance illimitée donc à l’anarchie morale. »(3)
Le devoir de former les citoyens
Dans le domaine de l’Éducation, seule l’intervention de la puissance publique, affranchie de toute tutelle, ecclésiale ou autre, sans distinction d’origine, sociale, culturelle et autres convictions, est la condition nécessaire de l’égalité des chances pour la formation de citoyens en devenir. Ces citoyens, égaux avec la laïcité, deviendront maîtres de leur destin, capables d’autonomie de jugement indispensable à leur émancipation.
« L’État a le devoir de former des citoyens » énonçait Condorcet, au nom de l’intérêt général et des valeurs communes, sans pour autant « créer une sorte de religion politique et violer la liberté », ce afin de préserver la liberté de conscience de chacune et chacun. Cette ambition de former le citoyen est indissociable du vivre ensemble dans la collectivité nationale : « Chaque société se fixe un certain idéal de l’homme, de ce qu’il doit être du point de vue intellectuel, physique et moral : cet idéal est le pôle même de l’éducation. La société ne peut vivre que s’il existe entre ses membres une suffisante homogénéité. L’éducation perpétue et renforce cette homogénéité en fixant à l’avance dans l’âme de l’enfant les apparentements fondamentaux qu’exige la vie collective. Par l’éducation, l’être individuel se mue en être social. »
Le creuset républicain de l’École reste encore à construire. Il demeure encore profondément éclaté par des tendances de plus en plus consuméristes avec le financement public d’un système dual. La morale laïque pourra-t-elle permettre de renforcer l’attachement à l’École républicaine ? École qui, ces dernières années, n’a pas toujours été défendue par ses gouvernants qui développaient l’idée de concurrence entre établissements dans une logique de privatisation du système éducatif.
La morale laïque n’est pas une sorte de croyance à l’envers
On ne peut mettre sur le même plan la foi et la raison, la superstition et la science, le créationnisme et le darwinisme où chacun choisit ce qu’il veut. L’École ne saurait être considérée comme un simple prestataire de services alors qu’elle a pour mission de former à la citoyenneté.
La logique qui prévaut actuellement résulte de l’opposition entre l’État et des « clients-consommateurs » qui jugent que l’institution scolaire publique entrave leur libre choix.
Il convient de donner aux jeunes la conscience sociale du « vivre ensemble » pour prendre dans l’intérêt général sa part de responsabilité.
Ferdinand Buisson en 1900 à l’ « Exposition universelle » lors d’un « congrès de philosophie » récusait déjà le dogme d’une morale laïque figée : « De même que les rapports des hommes entre eux diffèrent, évoluent et se modifient dans le temps et dans l’espace dont ils subissent la condition, la morale elle-même est obligée de différer, d’évoluer, de se modifier. »
« Bannissons donc de notre esprit cette superstition d’un catéchisme moral arrêté une fois pour toutes, pour les hommes de tous les temps et de tous les pays. L’homme est un devenir, la laïcité est un devenir, la morale aussi. Elle n’est pas faite, elle se fait. Si elle n’évoluait pas d’aujourd’hui à demain, elle ne répondait pas demain à des besoins qui dépassent ceux d’aujourd’hui au moins autant que ceux-ci ont dépassé ceux d’hier ».
Et il ajoutait que la morale n’était que l’incarnation de la société : « Non, jamais la morale n’est parfaite, mais c’est que la société ne l’est pas. À un moment, et à un lieu donné, au nôtre, par exemple, il manque à la morale exactement ce qui manque à la société. Une morale vaut ce que vaut la civilisation dont elle est le résumé. La théologie n’est pas apte à apporter aux problèmes nouveaux des réponses toutes faites parce qu’elle est liée au pouvoir religieux ».
La laïcité seule est capable d’accueillir toutes les diversités
Pour la morale laïque, il ne s’agit en aucun cas de dissoudre ni les identités ni les libertés fondamentales, mais de revendiquer d’abord la liberté de conscience. La nécessité s’impose de construire une culture publique et civique laïque seule capable d’accueillir toutes les diversités. Cette culture se forge, d’abord dans l’École publique laïque affranchie de toute tutelle. L’École publique, où s’élabore la citoyenneté, qui impose un espace laïque libre de tout assujettissement religieux ou autre où tous les élèves bénéficient des mêmes droits et se voient imposer les mêmes devoirs.
On ne peut abandonner cette mission fondamentale d’une École publique laïque qui prépare et institue la citoyenneté où les élèves rassemblés apprennent à vivre ensemble par-delà leurs appartenances politiques, religieuses ou philosophiques, ou celles de leurs parents. Ainsi, et seulement ainsi, on préserve la liberté de conscience des citoyennes et citoyens en devenir.
1. Nicolas Sarkozy, discours au Palais du Latran de 2007 : « La morale laïque risque toujours de s’épuiser quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration à l’infini. » … « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur. »
2. Diderot : « Je permets à chacun de penser à sa manière, pourvu qu’on me laisse penser à la mienne. »
3. Auguste Comte : « Le triomphe de l’individualisme aboutit à la tolérance illimitée donc à l’anarchie morale. Chacun est désormais libre de choisir les maximes selon lesquelles il va produire sa vie. Du coup toute autorité est perçue comme une atteinte plus ou moins directe à la souveraineté de la personne. Par ailleurs, alors que dès sa naissance, l’individu est débiteur de la société qui l’accueille, le sens du devoir cède bientôt le pas à la revendication des droits. Bref toutes les conditions semblent réunies pour que le désordre moral grandisse. »