L’avenir « des années collège » dans les quartiers sensibles n’est évidemment pas écrit. Il doit aujourd’hui être écrit par l’ensemble des acteurs sociaux, pour éviter le statu quo susceptible de résulter d’un ensemble de décisions publiques et de situations de fait aboutissant à un « non choix », celui de l’absence de mixité sociale. En effet, les facteurs de fragilité se cumulent dans les quartiers sensibles. Ce sont des quartiers où l’on évite, autant que possible, d’habiter, et où la plupart des résidents considèrent que « réussir, c’est partir ». Cette situation crée un engrenage qui aboutit au regroupement de personnes en situation précaire. L’inversion de cette spirale nécessite des politiques amples, transversales et concentrées dans le temps : car c’est à la fois la réalité et l’image du quartier qu’il faut faire évoluer. Engager une réflexion sur nos représentations de ces quartiers est essentiel, afin de redonner confiance à toute une partie de notre jeunesse. Il faut envisager tous les facteurs simultanément, recréer une convivialité, une douceur de vivre urbaine et un goût pour le vivre ensemble.
De ce fait, la mixité des populations est une résultante et, par conséquent, un objectif prioritaire qui doit être porté par tous. La réflexion prospective présentée dans ce rapport puise ses racines dans l’évolution récente des quartiers et dans les observations faites sur le terrain. Malgré les incertitudes inhérentes à tout exercice de prospective, cette étude permet de tirer quelques conclusions dont on
peut espérer qu’elles se déclineront dans des choix collectifs. Il est probable qu’aucun des scenarii proposés dans ce rapport ne se réalisera à l’échelle de la France car la situation des quartiers sensibles est trop hétérogène pour conduire à un scenario unique. Mais il est possible aussi que tous ces scenarios se produisent à un moment quelconque, du pire au plus positif selon l’évolution des
quartiers et de leur peuplement. Des lignes de fracture apparaîtraient alors entre des quartiers « tirés vers le haut » par la rénovation urbaine et le développement d’activités économiques, et des quartiers qui, au contraire, s’enfonceraient dans les difficultés.
Tout l’enjeu est d’éviter :
– que l’évolution favorable de certains quartiers ne se fasse au détriment d’autres qui seraient alors durablement marginalisés.
– Le travail sur les variables non quantitatives a permis de mettre en lumière l’importance, pour éviter le « scénario du pire », de certains choix de société portant plus sur des valeurs que sur des engagements budgétaires : changement des regards mutuels, prise en compte du rapport à la double culture et à la pratique religieuse, conduite d’un travail de mémoire, encouragement aux femmes et aux jeunes adolescentes dans leurs difficultés d’émancipation, intérêt de susciter chez les jeunes collégiens le désir de connaître et de découvrir.
– Traiter les « années collège », c’est aussi aborder le jeune adolescent, non seulement comme un écolier, mais aussi comme un être humain dans sa globalité. Soumis à la « déferlante hormonale », le collégien est dans le même temps confronté à la dure réalité du monde des adultes, du monde du travail et singulièrement du chômage, des relations sociales – et du rapport de force. L’accompagnement de ses premiers pas dans la société n’exige pas nécessairement un soutien qui se traduirait dans des engagements financiers ; c’est surtout une écoute généreuse et confiante qu’il lui faut.
– Dernier bastion de la République dans certains quartiers, le collège joue un rôle déterminant dans la construction du projet personnel de la nouvelle jeunesse française. Mais l’enseignement dispensé à cette jeunesse ne peut se contenter de méthodes qui souffrent d’une forme d’inadaptation aux réalités de la société Internet et de la révolution cognitive. La multiplication des sources d’information et le développement des réseaux sociaux nécessitent une réflexion sur l’adaptation des méthodes d’apprentissage et ce d’autant que ces nouvelles technologies suscitent l’enthousiasme des jeunes, ce qui en fait un levier d’action potentiellement très efficace.
Au total, cette mission au contact des jeunes des quartiers de rénovation urbaine, au contact de leurs parents, des professeurs, des éducateurs, des acteurs de la ville, des élus locaux, des historiens, sociologues, démographes et philosophes montre l’urgence de changer de regard sur le désarroi des populations fragilisées des banlieues défavorisées de la France. Alors que tout peut basculer à tout moment dans un sens ou dans un autre, il faut ouvrir simultanément tous les chantiers, des plus matériels aux plus intemporels pour redresser un univers aujourd’hui à la dérive.