In Slate.fr – le 14 novembre 2013 :
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Atsem, animateurs, professeurs… Tout ne va pas pour le mieux entre les différents représentants de la grande «communauté scolaire».
– A Nice, en février 2013. REUTERS/Eric Gaillard –
Les syndicats des professeurs des écoles ont prévu un mouvement social ce jeudi; on annonce 25% dans toute la France et 50% pour l’académie de Paris. Car oui, la capitale et ses 663 écoles concentre beaucoup de problèmes. D’ailleurs mardi, c’était les animateurs de la ville qui étaient en grève ainsi que les Asem (Atsem dans le reste de la France), les personnels qui aident les enseignants des écoles maternelles et qui prennent maintenant en charge une partie des activités périscolaires (ARE à Paris)…
Les rythmes scolaires révèlent un mauvais climat, des incompréhensions mutuelles et des frustrations.
Les Atsem/Asem
Que les Atsem/Asem soient parfois employés par les écoles pour assurer des activités périscolaires –Bertrand Delanoë parlait en avril dernier d’un «recentrage sur le cœur de métier au contact des enfants grâce à une décharge de leurs tâches de ménage»– passe mal. En maternelle donc et pas qu’à Paris, on a vu des Asem assurer l’animation de temps périscolaire. Pas du goût de certains enseignants. L’une d’elles nous confie:
«Je vous assure que voir l’Asem s’installer seule avec mes élèves, dans ma classe, quitter la salle et lui laisser ma place ça a vraiment été un grand choc.»
Sébastien Sihr, secrétaire nationale du SNUipp, LE syndicat majoritaire du premier degré, tempère: les professeurs ne remettent pas en cause la présence des Atsem et Asem, mais les nouvelles fonctions de ces dernières privent parfois les enseignants de leur présence en classe (et leur faut aussi parfois faire le ménage dans l’école).
Les enseignants de maternelle ont vraiment besoin de leur appui. Les petits de deux, trois ans (et parfois plus) ne vont pas aux toilettes tous seuls, la mise en place de certaines activités nécessite de l’aide, surtout avec une trentaine d’élève dans la classe, ce qui est monnaie courante en maternelle en France, rappelons-le.
Pour Frédérique Laizet, Asem syndiquée à la «CGT affaires scolaires Paris», un syndicat qui dénonce la dévalorisation de la profession, tout est compliqué.
«Notre profession est méconnue, notamment chez les parents d’élèves. Nous ne sommes pas assez respectés par la communauté éducative, par l’Education nationale et par la mairie de Paris. Les enseignants reconnaissent qu’ils (elles) ont besoin de nous pour travailler dans les classes. Mais ils (elles) ne veulent pas reconnaître notre valeur professionnelle.»
Précisons qu’à Paris 75% d’entre elles (ce sont essentiellement des femmes) ont un CAP petite enfance, qui peut être aussi obtenue par validation des acquis de l’expérience). Mais les Atsem/ Asem restent en bas de l’échelle de la fonction publique territoriale (l’échelon 4).
«Sur le papier, nous avons trois missions: technique, éducative, animation. C’est pour cela que les maires nous utilisent pour le périscolaire. On n’est pas là pour prendre la place de qui que ce soit, mais on veut qu’on nous reconnaisse en tant que professionnelle de la petite enfants et on souhaite l’égalité professionnelle avec les adjoints d’animation.»
Selon Frédérique Laizet, les débats de ces dernières semaines ont vexé de nombreux Asem.
«Avant la mise en place des nouveaux rythmes, on était considérées comme des domestiques, j’exagère à peine! Alors c’est difficile de nous voir faire autre chose. Au fond, je perçois une forme de mépris social, pas généralisé mais courant chez les professeurs des écoles.»
Les animateurs
Autre problème de «vivre ensemble» à l’école, les animateurs. Il y a un réel problème de culture de l’éducation en France concernant l’animation, nous explique Matthieu Parcaroli, directeur d’une école élémentaire dans la Meurthe-et-Moselle:
«On ne nous a jamais parlé du périscolaire ou des animateurs à l’IUFM (institut de formation des maîtres)!»
La question semble totalement extérieure à la culture enseignante actuelle.
Et cela va plus loin, dans la colère de certains débats, on a pu entendre des enseignants dire qu’ils ne voulaient pas avoir de relations avec les animateurs. L’année dernière, dans des réunions publiques, des représentants syndicaux des professeurs des écoles parisiennes se sont inquiétés de l’absence de capacité des animateurs à proposer des activités intéressantes aux enfants. La dernière grande réunion publique organisée par la mairie de Paris au Gymnase Carpentier avait fini par ressembler à un énorme dialogue de sourds avec des invectives de la part de syndicalistes enseignants au sujet de la qualité des animateurs… devant ces derniers qui se voyaient pratiquement insultés en public.
Stéphane Ruffin animateur à la ville de Paris syndiqué Unsa s’indigne lui que le SNUipp parisien comme Nathalie Kosciusko-Morizet (la candidate UMP avait fustigé des «activités dont l’utilité est loin d’être avérée», expliquant que son fils de 4 ans, «deux fois par semaine, deux fois une heure et demi par semaine, fait éducation nutritionnelle. Ça consiste à dessiner des carottes») aient caricaturé la profession:
«Certaines attaques étaient tellement insultantes qu’elles ont même été retirées du site du syndicat. Mais on sait que notre place est peu reconnue, on connaît ça depuis quarante ans! C’est tellement dommage que les relations soient si compliquées alors qu’on travaille tous dans le même sens. Et on devrait pouvoir quand même discuter plus sereinement…»
Les animateurs réclament d’abord une meilleure rémunération. Comme les Asem, car la réforme leur demande plus de travail. Et de faire un petit effort sur l’aspect symbolique, de la part des mairies, un peu de pédagogie sur le rôle du périscolaire dans l’éducation globale. La phrase lâchée par Vincent Peillon le 27 septembre sur France Inter –«Je ne suis pas le ministre du périscolaire»– aurait plutôt eu l’effet inverse.
Les enseignants
Mais pour les enseignants, analyse François Jarraud, rédacteur en chef du Café Pédagogique, il y a une dépossession symbolique; le dossier aurait dû être travaillé en amont. Effectivement, il est difficile de faire rentrer de nouveaux acteurs sans les avoir jamais légitimés. Les gens ne peuvent pas changer instantanément et individuellement l’image de leur profession. Cette question de la légitimité n’a pas été suffisamment réfléchie en amont.
Et puis il y a ce problème insoluble du partage de la salle. Une question très conflictuelle. «La salle, c’est un refuge, le seul endroit où un enseignant peut travailler tranquillement dans l’école», nous dit François Jarraud, «un espace sacré», nous confiait une maîtresse. Un lieu de travail avec des affiches des choses écrites au tableau à l’avance… Un espace protégé du monde extérieur… jusqu’à la réforme.
Car oui, les enseignants se sentent agressés quand on utilise leur salle. C’est plus ou moins justifié, mais peut-être eut-il fallu réfléchir au coût psychologique de cette réforme. Car il en est beaucoup question, en creux, quand les professeurs des écoles en parlent. Surtout qu’ils ont l’impression d’être, depuis des années, responsables de tous les maux du pays et la cible des politiques. «Maintenant on leur pique leur salle, pas étonnant que certains s’énervent», ajoute François Jarraud.
Il faut aussi dire que les écoles sont, architecturalement, des usines à enseigner peu adaptées aux pédagogies modernes et aux autres activités que le cours magistral, donc au périscolaire. On y manque terriblement d’espace, il y a peu d’endroits calmes pour travailler, ni de lieux de vie pour les enseignants, le confort est minimal… qui a déjà vu un divan dans une école? Et les rythmes scolaires, c’est aussi beaucoup un problème de mètres carrés… et là il va falloir être très créatif pour trouver des solutions dans le cadre du décret actuel.
Louise Tourret