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" La justesse de nos procédures d’orientation
A l’occasion du lancement de la concertation pour préparer la future loi, je voudrais intervenir sur le thème de la justice et de l’efficacité de nos procédures d’orientation dans notre système en rappelant quelques thèmes déjà abordé ici sur ce blog, et ce premier post portera sur la justice.
À propos de justice… et de son sentiment
Une structure de domination
L’idée de justice suppose au moins deux acteurs : un juge exerçant le pouvoir de produire un jugement et un individu qui subira ce jugement. Structurellement c’est une relation de domination de l’un sur l’autre. Et le cas de nos procédures d’orientation relève bien de cette structure basique.
Plaider sa cause
L’individu, objet du jugement peut, plus ou moins « plaider » sa cause. Cette possibilité de se faire entendre du juge, et donc de pouvoir agir sur la représentation du juge est un élément important pour la constitution du sentiment de justice. Mais il faut aussi que l’individu perçoive le fait que sa plaidoirie ait eu un effet sur l’élaboration du jugement.
Il y a bien des échanges prévus, en partie obligatoires entre professeur principal et parents et/ou élève, mais ils interviennent en dehors de la scène et du moment de la justice : le conseil de classe. Les représentants de parents d’élèves et les délégués élèves ont parfois ce rôle, mais ce ne sont pas des « avocats », c’est-à-dire des représentants institués de l’individu.
Le seul moment où une plaidoirie est exercée, ou peut être exercée, c’est au moment de l’appel : la famille et l’élève majeur ont le droit de s’y exprimer. Et n’oublions pas la rencontre de la famille avec le chef d’établissement à l’issue du conseil de classe du troisième trimestre, nouveau moment introduit en 1992 dans nos procédures, et dont aucune statistique peut nous indiquer ses effets.
Sur ce thème de la « plaidoirie », nos procédures d’orientation sont donc bien pauvres
La légalité
Sur quoi d’autres peut s’appuyer le sentiment de justice ? Sur un principe de fondement du jugement sur la légalité. N’importe qui ne peut pas juger, n’est pas en droit de juger. Le juge doit être institué par la communauté, l’état. Dans nos procédures, il y a un versant d’institution : il y a des textes, lois, décrets, circulaires qui organisent de manière réglementée le fonctionnement et les pouvoirs des différents acteurs qui interviennent dans ces procédures. Il y a en cela légalité des procédures. Mais…
La formule, « le chef d’établissement formule la proposition d’orientation sur avis du conseil de classe », crée une certaine ambiguïté. Et on peut se demander « qui c’est le conseil » ? Est-ce que les représentants et les délégués ont le sentiment de faire partie prenante dans la formulation de cet avis du conseil de classe ? Le chef d’établissement est-il tenu de « suivre » l’avis du conseil de classe ?
Mais la légalité du jugement, c’est aussi celle de son argumentation, et alors là, on peut dire que nos procédures sont particulièrement floues. La justification habituelle des propositions et décisions d’orientation repose sur l’idée que l’individu pourra ou non « suivre » dans la formation ou la classe demandée. Cela suppose deux choses : une « mesure » de cette capacité et une description des exigences pour suivre la classe en question. Or il n’existe aucune mesure de cette capacité, et le ministère n’a jamais produit de description des exigences. Depuis la création des procédures d’orientation, en 1959 tout d’abord, puis en 1973, l’état s’est bien gardé de légiférer en la matière, et à considérer que les acteurs locaux étaient capables de réguler par eux-mêmes ces décisions. Sauf que plusieurs loi sur la motivation des décisions administratives sont apparues depuis, et lorsque les parents rentrent en contestation judiciaires ils obtiennent raison en particulier sur cette absence de motivation légale.
La justesse du jugement
Elle concoure également au sentiment de justice. Qu’est-ce que la « justesse » ? C’est sans doute l’idée que le jugement suppose équivalent les individus face à la justice. Il n’y a pas de favoritisme. Le jugement s’applique de la même manière au sein d’un groupe. Car il y a l’idée et la possibilité d’un comparatisme des jugements. Ceux qui suivent de près le fonctionnement des conseils de classe savent que c’est une source de conflits et de ressentiments. Les élèves et les familles, souvent au cours des commissions d’appel invoquent ce principe de comparatisme et d’équivalence, ou plutôt de non-respect du principe d’équivalence dans l’élaboration des jugements : des résultats identiques ne reçoivent pas le même jugement !
Un jugement se doit d’être pertinent
Enfin le jugement s’applique bien à cet individu ; pour sa formulation, il a été tenu compte des caractéristiques de l’individu. Il s’agit bien d’un jugement « personnalisé ». Les caractéristiques de l’individu, ses particularités, ce qui fait qu’il est lui et pas un autre, et en particulier ses désirs, ses motivations, sont pris en compte… Oui, apparemment la proposition est formulée par rapport à une « demande » des parents ou de l’élève, il est même précisé que la proposition doit « répondre » à la demande, soit l’accepter ou la refuser. Mais que s’est-il passé au cours du premier trimestre ? Les résultats de ce trimestre vont influencer la formulation de la demande. Entre la réponse du deuxième trimestre, et la formulation de la demande pour le troisième, il y a diverses rencontres, et autant de « négociations » tentées, de part et d’autres. Mais combien de propositions et de décisions d’orientation ressenties comme allant contre le désir de l’enfant ? Et cela va sans doute en empirant. Avec le travail éducatif concernant l’orientation dès la cinquième, les élèves élaborent de plus en plus leur projet d’orientation, pas toujours « réalistes » comme disent les enseignants et les chefs d’établissement, et les jugements scolaires viennent briser les rêves.
Prochain article à venir : Nos procédures sont-elles efficaces ?
Bernard Desclaux"