In Les Liens qui Libèrent – octobre 2013 :
Accéder au site source de notre article.
Depuis bien longtemps, de très nombreuses recherches décrivent l’impact du capitalisme néolibéral sur nos modes de vie, sur la culture, sur les façons de vivre ensemble, en un mot : sur les sujets. Il est indéniable qu’aucune société ne saurait se protéger totalement des effets d’une logique commerciale qui impose sa marque en tant que pratique, mais aussi en tant que modèle pour penser. Tous ces effets ont été largement commentés, mais il manquait encore un livre sur les modalités qui les rendent particulièrement efficients et sur leurs modes d’action. Le présent ouvrage, intitulé La haine de la parole en hommage à Pascal Quignard, tente de répondre à ces questions en éclairant l’action du capitalisme illimité sur ce qui fait l’humain : sa parole.
Nous ne tenons les uns aux autres que par la parole disait Montaigne. Cependant, un examen attentif de trois domaines principaux qui sont l’usage de la parole dans le politique, dans la publicité et dans la psychiatrie (les trois P) montre que celle-ci estpervertie du fait d’une structure consumériste, le saint-Marché mis à la place précise de toutes les transcendances, et qui prône unesaturation sans cesse appelée à être dépassée et indéfiniment renouvelable, totalement antagoniste avec la structure même du langage reposant sur le manque. C’est ainsi que cette saturation, mode d’action et facteur de la haine de la parole agit de fait sur les articulations entre la sphère symbolique et le réel. Ne le voit-on pas à l’œuvre dès aujourd’hui dans l’exercice des « métiers de parole », ceux dont l’outil principal est justement la parole, que sont la justice (attaque des juges par les politiques), la presse (discréditée, délaissée et parfois se discréditant elle-même à des fins consuméristes), la sphère “psy” (où le conditionnement voudrait remplacer la parole), et finalement la politique elle aussi, où la capacité de se référer à un acte de parole est teinté de discrédit qui ne peut qu’entraîner un esprit de mécréance généralisé.
Mais si la parole est pervertie que restera-t-il de l’homme ?
Il est probable que les rêves les plus fous d’un capitalisme dérégulé visent à fabriquer un homme pulsionnel, purement automatisé, facilement conditionnable, et dont l’espace psychique, le « temps disponible de cerveau » pourrait être saturé en permanence (médias, loisirs, travail, addictions, etc.), où l’espace du désir serait ramené à un pur réflexe conditionné, et où les mots ne seraient plus des signifiants mais purement des signes.
Certes, la parole ne manquerait pas ainsi, mais comme le disait une publicité prophétique, elle aurait tout de la parole mais n’en serait plus une.
La haine de la parole explore cette situation en essayant d’en éclairer les mécanismes, et veut montrer qu’une véritable écologie politique de la parole est d’une impérieuse nécessité et sans doute d’une grande urgence.