In Educavox – 6 février 2013 :
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Note : Ce billet a d’abord été publié au Huffington Post Québec dans la section « blogue ».
Je reviens de France où ma pratique professionnelle m’a mené jusque dans le Vercors pour traiter de l’arrivée des jeunes nés avec la présence d’Internet dans les universités et sur le marché du travail. Ma synthèse de ce séminaire de deux jours est disponible sur mon blogue personnel ainsi que d’autres billets à propos de ce séjour outre-mer.
Nous étions deux invités hors de la France à Villard-de-Lans. Art Langer de l’Université de Columbia a donné une belle leçon d’humilité à tous les francophones en attirant notre attention sur l’offre abondante de contenus universitaires ouverts et gratuits qui foisonne actuellement sur La Toile. « Ne bougez pas mes amis francophones, nous les anglos sommes prêts à accueillir tous les étudiants qui cherchent à s’instruire via nos plateformes riches en contenus et propices aux apprentissages » !
Évidemment, au-delà de cette amicale provocation, il y a un fait : les Moocs anglophones connaissent un énorme succès populaire et aucun équivalent ne se pointe à l’horizon dans la langue de Molière. Résultat : à l’image du peu de présence du contenu en langue française sur le Web à l’échelle mondiale, les universités de la francophonie sont en train de rater le virage numérique et les conséquences risquent d’être désastreuses.
Absent sur le radar du fameux Sommet sur l’enseignement supérieur et pas plus présent en terme de planification stratégique à l’échelle du gouvernement du Québec, les possibilités d’apprendre autrement que dans le seul « lieu classe » ne semblent pas préoccuper ceux qui réfléchissent actuellement à l’avenir de l’enseignement supérieur. La remise en question des Cégeps* ou les escarmouches à savoir qui établira le plus gros rapport de force sur l’ampleur à prévoir des frais de scolarité à l’université dans le futur proche est à l’avant-plan.
Un MOOC c’est un des leviers de transformation les plus percutants de l’enseignement supérieur, actuellement. Les Massive Open Online Course sont d’abord une extension du principe de la mise en ligne des contenus de cours en salle de classe (dont le MIT fut le précurseur) et ensuite une mise en commun des ressources et des échanges entre participants. Un prof de l’Université de Montréal a récemment suivi un cours dans ce type d’environnement en compagnie de dizaine de milliers d’autres étudiants et témoigne de sa satisfaction.
Pendant qu’on s’escrime sur la gratuité scolaire au Québec, les contenus des cours sont déjà gratuits sur les plateformes Coursera (1,900,000 étudiants et plus de cent cours), EdX (370 000 étudiants et sept cours) et Udacity (250 000 étudiants et 15 cours). Qu’est-ce qui empêche les universités au Québec de prendre un leadership dans ce domaine ? Pourquoi ne pas prévoir avec d’autres universités ailleurs sur la planète francophone une offre à trois paliers dans l’esprit du modèle Freemium – le service est gratuit et l’accès à des services premium est payant ?
- Un premier niveau où l’accès aux contenus resterait gratuit.
- Un deuxième où la reconnaissance de la participation d’un étudiant à des activités d’apprentissage et de leur régulation serait à un coût fixe.
- Un troisième où la reconnaissance des acquis de formation d’un étudiant et la participation à des activités d’évaluation formative et sommative serait à des coûts qui varieraient avec le type d’encadrement privilégié et la nature des diplômes obtenus.
Il faut mettre à contribution les profs d’universités et les recteurs dans cette réflexion à faire pour arriver dans l’ère numérique. Il faut intéresser les associations étudiantes à ce débat qui pourrait leur permettre de mettre à profit leurs convictions militantes en les alliant à leur profond désir d’une formation universitaire de haut niveau.
Cessons de perdre du temps sur le modèle existant des études supérieures d’ici, alors qu’un nouveau modèle est en train d’émerger sous nos yeux, ailleurs.
Construire notre propre modèle d’enseignement dans le supérieur francophone ne serait-il pas la meilleure façon de relever le défi posé par Art Langer ? Permettre à un étudiant d’une université d’attache de suivre le meilleur cours disponible en français des meilleurs professeurs d’université présents en ligne et ayant partagé leur contenu sur des dispositifs ouverts ne constituerait-il pas une vraie avancée ? À quand la publication dans ces mêmes dispositifs ouverts et gratuits francophones des résultats des recherches de nos professeurs émérites ?
Alan Kay disait que « Le meilleur moyen de prédire le FUTUR est de L’INVENTER ».
Il nous faut être plus originaux et innovateurs. S’enfermer dans nos chicanes improductives pendant qu’ailleurs on collabore et on innove pourrait nous perdre.
Veut-on vraiment que nos enfants puissent continuer d’étudier et être diplômés dans des universités qui offrent une formation en français de très haute qualité ?
Cessons d’encourager un modèle d’enseignement universitaire qui encapsule les savoirs et qui se complaît dans la délocalisation de ses bâtiments au lieu de favoriser le partage de ses connaissances et de son savoir-faire !
L’heure n’est plus aux investissements dans le béton.
Le « lieu classe » a encore beaucoup d’avenir pour l’enseignement, mais le tout-le-monde-dans-un même-lieu-en-même-temps a atteint ses limites. Il faudra mieux tenir compte de tout ce qu’on peut mieux faire « hors classe » – et à son heure – pour bien apprendre, voire mieux apprendre.
Inspiré par la « dynamique de classe inversée » et par des projets comme Khan Academy, je propose de cesser de conduire le futur de l’enseignement supérieur les yeux rivés au rétroviseur qui ne nous montre que nos façons de faire du passé – dépassés.
J’adresse mon message livré à Villard-de-Lans aux organisateurs du Sommet sur l’enseignement supérieur…
« Les institutions universitaires doivent réagir de manière intelligente à la tempête parfaite, elles doivent revoir leur vision pédagogique et leur modèle d’affaires pour mieux influencer en réinventant la façon dont les profs et les étudiants interagissent dans leur campus qu’ils soient numériques ou patrimoniaux ! »
* Sur ce sujet, point de vue intéressant de Jean-Pierre Proulx.
Ajout : Comme c’est notre habitude lorsqu’on se rencontre, Christophe Batier et moi avons fait une petite causerie vidéo et elle est en plein dans ce sujet : « Les Mooc sont morts »…