PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Interview de Michel Zorman, chercheur en science de l’éducation, responsable d’un programme de lutte contre l’échec scolaire mené en collaboration avec plusieurs collectivités. Il jette un regard sans concession sur l’académie de l’école française et le peu de chances qu’elle laisse aux enfants de familles défavorisées.

Vous avez monté, avec des collectivités locales un programme de lutte contre l’échec scolaire: en quoi consiste-t-il?

Cette méthode a été validée dans des pays étrangers, puis adaptée en France. Il s’agit de pratiquer une partie de l’enseignement scolaire, six heures par semaine, en petits groupes de cinq élèves, dans lesquels l’enseignant pourra mieux adapter son apprentissage aux besoins de l’enfant. Ces groupes font partie intégrante de l’enseignement pédagogique et concernent tous les élèves, y compris ceux qui n’ont pas de difficultés scolaires.

Ils sont consacrés aux différentes facettes de l’apprentissage du langage oral et de l’entrée dans l’écrit: aussi bien la compréhension, que l’apprentissage du vocabulaire et le début de la lecture.

Enfin, ces groupes de niveau ne sont pas fixes: chaque élève peut changer de niveau en fonction de ses progrès. Au fur et à mesure des apprentissages, nous fournissons aux enseignants des outils d’évaluation qui permettent d’adapter leur enseignement aux besoins de chaque enfant.

Pour résumer, nous respectons trois principes:

– installer ces programmes dans la durée

– utiliser des pratiques pédagogiques validées

– mener un travail en petits groupes pour permettre à chaque élève d’accéder aux mieux à l’apprentissage

L’échec scolaire semble étroitement lié à la pauvreté: la lutte contre l’échec scolaire est-elle un enjeu de justice sociale?

Toutes les études internationales montrent que c’est la profession des parents qui prédit le mieux les performances des enfants. Les inégalités dues au statut social de la famille ne sont pas les mêmes partout, mais la France est un des pays où le phénomène est le plus fort. Cela est dû à de nombreux facteurs, en particulier à une conception très académique des apprentissages.

Vous dites qu’on peut réduire considérablement l’échec scolaire à condition de prévenir et non de guérir. Pourquoi faut-il intervenir précocement?

Ce n’es pas moi qui le dis, la particularité de notre travail, c’est qu’il se base sur la synthèse de travaux internationaux. Ces travaux ont été largement développés dans de nombreux endroits, en particulier dans certains états américains, où ils ont fait leurs preuves en situation réelle, c’est ce qu’on appelle  » evidence based pedagogy  » : la pédagogie par la preuve/

Nous savons que, pour les élèves qui ont des difficultés à lire ou à comprendre, il faut un travail spécifique et individualisé au moment où on fait l’apprentissage, et pas trois ans après.

La réussite scolaire n’est pas qu’une question de motivation: les neurosciences et l’imagerie neuronales nous apprennent que les élèves en difficulté, pendant les années où ils ne sont pas aidés, développent des stratégies alternatives d’apprentissage, d’autres réseaux neuronaux, car il leur faut bien se débrouiller. Il devient ensuite très difficile de « dénouer » ces nouveaux liens qui se sont mis en place dans leurs cerveaux pendant plusieurs année.

Si l’on intervient trop tard, ces élèves auront développé d’autres procédures d’apprentissage qui seront autant d’impasses. Il faut donc se donner tous les moyens d’intervenir au moment où se fait l’apprentissage, que ce soit de la parole ou de l’écrit.

Pourquoi associer les collectivités locales?

L’implication des familles est un élément très important de la réussite scolaire. On se trouve là à l’intersection de l’école et des compétences des municipalités en matière d’enfance et de petite enfance. De plus, certaines municipalités ont des traditions d’investissement dans la réussite scolaire. Il paraissait évident que ces politiques pouvaient se nourrir des connaissances que nous avons acquises.

Enfin, il faillait s’adresser à toutes les familles: dans nos expériences, 80 à 90% des familles ont participé. Cette association était donc la meilleure manière de « tirer tous dans le même sens pour faire des synergies et impliquer les parents.

Vous soulignez que la France connaît particulièrement l’échec scolaire: pourquoi?

Les études internationales montrent que certains pays ont de bien meilleurs résultats que nous: 5 à 10% d’élèves y ont des problèmes de compréhension en lecture au lieu de 20% en France. Ce sont des pays aussi différents que la Finlande, la Corée ou le Canada, avec des langues et des systèmes éducatifs bien différents. Je ne suis pas très inquiet de la moyenne des élèves, me^me si nous ne sommes pas très bons.

Nous sommes en revanche parmi les pays qui ont les résultats les plus mauvais pour les élèves les plus en difficulté. La dernière évaluation pour les CM2 montre une baisse inédite des résultats, en particulier chez les enfants issus des milieux populaires et des classes moyennes. On remarque ainsi qu’une part inquiétante d’entre eux est « scotchée en bas ».

Il n’y a pas à cela que des raisons pédagogiques. On peut y voir aussi la conséquence du fait que, cette situation perdurant, beaucoup de familles abandonnent, finissant par perdre espoir et ne plus croire que les efforts paieront. C’est d’autant plus grave que c’est une génération entière qui est concernée, car il n’y aura plus de rattrapage: on aura 20% d’une génération en échec scolaire, avec toutes les conséquences sociales qu’on imagine.

On assiste à une privatisation croissante du soutient scolaire, avec l’apparition de sociétés spécialisées. Est-ce un échec de l’école publique?

Notre école a des exigences très élevées et très académiques. Comme on ne se donne pas les moyens parallèles de réussite pour tous, les choses sont de plus en plus difficiles pour un nombre croisant d’élèves. Le travail par petits groupes que nous faisons, certains doivent se le payer pur pouvoir réussir.

Le paradoxe, c’est que ces exigences académiques très élevées ne produisent pas de meilleurs élèves que dans d’autres pays, où les programmes sont moins exigeants, mais où 90% des élèves parviennent à avoir le niveau. Nous avons à la fois des exigences très élevées, un enseignement académique fondé sur une culture très classique, et un échec scolaire qui se manifeste parfois dès la maternelle.

Comment s’étonner du découragement croissant de certains? Les évaluations nous montrent que 30% seulement des élèves parviennent au niveau des programmes: voulons-nous un programme scolaire ou un idéal?

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