Avec ma collègue sociologue Béatrice Mabilon-Bonfils, nous venons de publier un ouvrage où nous annonçons -c’est le titre du livre- la fin de l’école.
La question n’est pas de savoir si, mais bien de savoir quand, cette forme scolaire va disparaître, comme un moment particulier de l’histoire de l’éducation.
L’idée n’est pas nouvelle. Ivan Illich annonçait dès 1971, une société sans école (Deschooling Society). A sa suite, John Holt témoignait de sa confiance dans les apprentissages autonomes. Les parents devaient accompagner les enfants dans leur désir d’apprendre au quotidien… Dans Apprendre sans l’école (Instead of Education: Ways to Help People Do Things Better), il expliquait pourquoi ne pas passer par une école obligatoire -la même pour tous- permettrait l’émergence d’individus plus libres et plus créatifs. Changer d’éducation, c’est inventer une société nouvelle. Il a ensuite crée la revue Grandir sans école -Growing Without Schooling- qui a duré de 1977 à 2001.
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Pour Alan Thomas, également, les enfants pouvaient découvrir la lecture ou les mathématiques au cours de leur vie quotidienne, sans passer par le cadre rigide de l’école. Le jeu était pour lui essentiel dans le processus d’apprentissage, ainsi que les interactions avec les frères, les soeurs et l’ensemble de ceux qui entouraient les enfants.
Cette idée d’a-scolarisation (« unschooling »), mise en avant par ces pionniers, mérite selon nous d’être puissamment réactivée, à l’aune de deux évolutions majeures:
- La mondialisation des savoirs, qui rend en partie caduque la division nationale des contenus enseignés;
- La révolution numérique, qu’un ouvrage récent de Emmanuel Davidenkoff qualifie à raison de « tsunami » pour l’éducation.
On focalise l’attention médiatique sur les milliers d’enfants touchés par l’illettrisme, en oubliant tous ceux qui, déjà, par les tablettes et autres supports mobiles, apprennent à lire avec leurs frères et soeurs sans l’aide d’un adulte, et avant même d’entrer à l’école élémentaire.
A vos marques, prêt, apprenez! Cette injonction d’apprendre en un lieu et en un temps donné, que traduit la polarisation autour de la « rentrée scolaire » nous semble totalement dépassée. Car il est désormais possible d’apprendre en tout lieu et en tout temps. Et nul ne peut désormais prétendre détenir le monopole du savoir.
Le système éducatif français est coûteux: encore un milliard cent millions d’euros supplémentaires obtenus pour 2015 sans contrepartie de résultats. Il est inefficace: reproduction des inégalités, incapacité à préparer tous les enfants à trouver leur place dans la société, etc. Il est enfin totalement inadapté aux évolutions. Aucune réforme ponctuelle ne peut réussir dans un cadre qui reste inchangé. On voit les difficultés rencontrées par la réforme des rythmes scolaires. La réflexion sur l’évolution de l’évaluation n’aura pas un meilleur sort: passer de notes chiffrées à des couleurs ou des smileys relèvera du gadget sans lendemain…
Le plan numérique annoncé par le président Hollande est déjà obsolète: elle concerne principalement l’équipement du cadre scolaire quand la culture numérique des enfants se constitue largement en dehors de l’école… Quant aux contenus d’enseignement, les changements de programmes ne parviendront pas à remettre en cause la division sectaire des disciplines, à l’heure où il faudrait éduquer à établir des relations entre les savoirs venus de toute part, en sans hiérarchisation. De plus en plus, les élèves ont accès à des informations avant que l’enseignant ne les évoque en cours, mais cela exige l’éducation d’un savoir de la relation (pour être à même d’agir dans une société démocratique en citoyen critique, et passer de l’histoire-relation au pouvoir-relation).
C’est pourquoi nous proposons de changer non pas un pan du système, mais tout le système. Les pistes que nous offrons dans l’ouvrage sont destinées à un ministère qui ne serait plus seulement celui de l’école, mais bien celui de toutes les formes d’éducation. Enfermer l’éducation dans une forme unique n’est plus possible. Qu’elle soit école « socialisatrice » -pour Emile Durkheim-, « reproductrice des inégalités » -pour Pierre Bourdieu-, ou mettant en jeu les stratégies de différents acteurs -pour Raymond Boudon-, cette forme scolaire a toujours été pensée de manière exclusive, en délégitimant toute autre éducation comme concurrentielle (famille, médias, formation professionnelle etc.). Libérer ces éducations parallèles serait pour nous le seul moyen de réintroduire les trois fondamentaux dont la relation pédagogique a besoin:
- L’individuation: L’attention à chacun permettrait de créer une combinaison de modes d’apprentissage (maison, terrain, école, ordinateur etc.) complémentaire et adaptée à la personnalité de l’enfant. Ce que nous appelons la créolisation éducative en lieu et place de l’école traditionnelle.
- La dynamisation: L’accent est mis sur l’activité des apprenants et la motivation de tous les acteurs participants à l’éducation, ainsi que sur la confiance réciproque.
- L’humanisation: Les nouvelles technologies invitent précisément à une alternance des temps avec et hors machine, et à une réflexion sur les moments et les modalités de la présence physique (en groupe classe, en petits groupes, en suivi personnel).