La construction de l’identité professionnelle des jeunes enseignants appelés à exercer avec des élèves réputés difficiles
Jean-Louis AUDUC Intervention REIMS 14 décembre
Introduction :
Des élèves « difficiles », ce sont ceux qui mettent le professeur en difficulté quant à l’exercice de son métier, qui l’interrogent quant à ses compétences……
Le professeur est en difficulté par rapport à son métier, à l’acte d’apprentissage face à des élèves qui ne leur ressemblent pas…..
Parler de l’identité professionnelle des enseignants par rapport à des élèves qu’ils jugent ou qui sont jugés difficiles concerne TOUS les enseignants et pas seulement ceux des écoles, des établissements classés »difficiles » .
Toute classe contient, peu contenir des élèves potentiellement en difficulté.
Tout établissement contient , peut contenir une ou plusieurs classes à publics semblables aux classes de ZEP.
De plus, ce qui se vit avec des élèves difficiles est un effet loupe de situations qui peuvent se vivre avec tous les élèves.
I ) La construction de l’identité professionnelle des enseignants, l’entrée dans le métier enseignant
Les chercheurs reconnaissent savoir fort peu de choses, non seulement sur l’entrée dans le métier des enseignants, mais sur les diverses manières dont ceux-ci finissent pour la plupart par acquérir « du métier », par se construire des modes de faire avec des élèves, les classes, avec eux-mêmes, avec les contenus et les activités d’apprentissage.
« On ne sait guère comment ils parviennent à incorporer ces modes de faire de manière suffisamment routinière pour pouvoir être disponibles et accueillants à l’inattendu, à l’imprévisible, et ne plus être débordé par celui-ci. » ( Jean-Yves ROCHEX, Pourvu qu’ils m’écoutent . CRDP de Créteil)
Il faut se rendre compte des mutations à opérer lors de sa prise de fonction par un enseignant , particulièrement lorsque les élèves qu’il découvre, semble n’avoir guère en commun avec ce qu’il a été soi-même, ni avec ceux qu’il avait imaginé.
Enseigner en « milieu difficile », c’est être confronté à des élèves -en des proportions variables- que leurs difficultés à reconnaître le caractère normé et le registre propre aux différents domaines et processus d’apprentissage, portent souvent à penser ou du moins à ressentir que tout qui est discriminant ou discriminatoire, que toute évaluation est une remise en cause, une atteinte à leur personne.
Dans l’académie de Créteil mais sans doute dans d’autres académies, il y a certains établissements , où on a le sentiment qu’aucune situation ne peut être durablement stabilisée, qu’aucune norme ne peut être définitivement reconnue, qu’aucune classe, qu’aucun élève ne peut être considéré comme gagné de manière durable, que les épreuves et les rapports de force sont sans cesse à rejouer, les situations de travail sans cesse à reconstruire.
A) Le démarrage, la formation, la construction de la responsabilité
La construction de l’identité professionnelle s’avère complexe dans les premières années, car le responsable d’IUFM que je suis, peut vous dire que l’entrée dans le métier est marquée par une série de « grands écarts » .
1) Il y a rupture, grand écart, voire contradiction entre les deux moments où le jeune se sent « entrer dans le métier » :
• La réussite au concours
• La prise en responsabilité comme titulaire de sa première classe.
Ce grand écart , qui s’accroît compte tenu des mutations du système éducatif et des difficultés existant dans nombre d’établissements est à combattre .
Est-il normal que l’entrée dans le métier enseignant se caractérise par un changement radical de posture entre ce qu’ont été les études universitaires , la préparation au concours et la réalité du travail à exercer, de la mise en apprentissage des élèves ?
La formation en France est organisée historiquement sur le mode SUCCESSIF, notamment pour le second degré où les concours ont un âge respectable : l’Agrégation date de 1766 t le CAPES de 1950……
On reçoit d’abord une formation académique à l’Université, puis, après, une formation professionnelle à l’IUFM.
Cette organisation impose au stagiaire un changement de posture radicale d’une année sur l’autre..
Il doit ainsi se montrer capable de transmettre des savoirs, de mettre des élèves en apprentissage alors que l’année précédente, ils cultivaient les savoirs pour eux-mêmes hors de toute perspective éducative.
Dans d’autres pays européens, on a une formation SIMULTANEE. On se forme en même temps pendant la durée de ses études dans les domaines académique et professionnel sans changement radical de posture.
2)Il faut donc interroger la place et les contenus des concours de recrutement
Est-ce que les concours de recrutement tels qu’ils sont conçus actuellement répondent aux défis posés par l’exercice du métier enseignant ?
La réponse apparaît négative face à ce qu’est aujourd’hui la réalité du travail enseignant et les exigences d’une professionnalisation accrue des enseignants.
Les concours de recrutement, notamment ceux du second degré, devraient ne plus être exclusivement tournés vers l’amont de la formation universitaire, mais comprendre des épreuves tournées vers l’aval, c’est-Ã -dire, vers le métier qu’ils doivent exercer.
Il faut permettre au futur enseignant de se construire une identité professionnelle qui s’appuie sur des savoirs, des savoir-faire, et des gestes professionnels.
Ceux-ci se construisent dans deux pôles :
– A l’IUFM, pour acquérir des savoirs scientifiques et disciplinaires, la connaissance des programmes d’enseignement, des compétences techniques ; il analyse ses pratiques et échange avec les formateurs et les autres professeurs stagiaires.
– Dans des établissements scolaires , il assure d’une part des enseignements et exerce, avec les soutiens nécessaires, la responsabilité dans une classe et prend, d’autre part, sa place dans un établissement particulier. A ce titre, l e professeur stagiaire acquiert une capacité propre d’expertise.
Une meilleure articulation entre ces pôles de formation est indispensable. Il faut permettre au jeune enseignant de « penser le local » en ayant présent à l’esprit la politique nationale de l’institution à laquelle il appartient : le service public de l’éducation nationale qui doit assurer une même qualité d’enseignement , dans le respect de programmes et de règlements nationaux sur tout le territoire. Il faut ensuite que l’IUFM soit le lieu des réponses que le professeur stagiaire se pose , mais aussi le lieu où il est en mesure de faire état de ses premiers choix comme autant de parcelles d’un savoir professionnel légitimé par l’expérience.
L’année de stage est une année de démarrage de la formation et non un fin en soi. L’IUFM ne peut prétendre former un enseignant « fin prêt « d(où l’importance de l’accompagnement à la prise de fonction et de la formation continue.
3)Pour qu’une formation soit efficiente, il faut que le stagiaire soit en situation de se projeter dans son métier futur.
Cet investissement est-il possible avec les concours actuels ?
Peut-on considérer que c’est le même métier que d’enseigner à des jeunes de 2 ans ou à des jeunes de 11ans ?
A des jeunes de 12 ans ou à des jeunes de 21 ans ?
Les jeunes qui sur un an va faire trois stages dans chacun des cycles du primaire peut-il se projeter dans l’exercice concret de son métier futur ?
Peut-on sérieusement travailler sur la psychologie de l ˜enfant de 2 Ã 11 ans, comme si c’était la même pour toutes les enfants de toutes les classes du primaire ?
En fait , on voit bien qu’avec les textes actuels, on est contraint à deux mauvais choix :
– un « saupoudrage » de psychologie de l’enfant avant chaque session de stage dans un des trois cycles du primaire
– une approche d’un jeune « virtuel » de 6/7 ans alors que le futur enseignant pourra se retrouver avec des enfants de 3/4ans ou des jeunes pré-adolescents de 10-11ans
C’est exactement la même situation pour les enseignants du second degré concernant la psychologie de l’adolescent.
Peut-on sérieusement travailler sur cette question, alors que le professeur-stagiaire des lycées et des collèges peut se retrouver nommé de la 6e à Bac+2, soit avec des jeunes de 12 ans ou des adultes de 21 ans ?
Ne serait-il plus judicieux de prévoir une définition du métier répartis non plus sur deux métiers : professeur des écoles (PE), professeur des lycées et collèges (PLC), mais sur des divisions permettant une meilleur approche de la psychologie de l’enfant ou de l’adolescent ?
B) Les enjeux
Adopter la bonne posture, trouver les mots justes, gérer les écarts entre les attentes institutionnelles et ce que font les élèves, telles sont quelques-unes des appréhensions des stagiaires qui transparaissent dans « Pourvu qu’ils m’écoutent »face à des élèves « qui ne leur ressemblent pas »comme dit l’un d’eux………
Parmi les enjeux de la construction de la professionnalité enseignante, figurent un certain nombre de principes :
:
• Le refus de tout fatalisme
• Le pari de l’éducabilité . Se dire que tous les jeunes sont capables.
• Le vrai clivage concernant l’action des enseignants est entre :
– ceux qui croient qu’aussi en difficulté que soit un jeune, on peut toujours lui offrir les moyens de s’exhausser au-dessus de ses problèmes, de se dépasser, de se réaliser et de trouver sa place
– et ceux qui considèrent que la difficulté est génératrice d’exclusion, que ceux qui n’ont pas vraiment leur place n’ont qu’Ã céder le peu de place qui leur reste.
Il est important dans le cadre du stage en établissement comme en IUFM ou en accompagnement à la prise de fonction de montrer au nouvel enseignant qu’il est fondamental de n’accepter aucune fatalité comme allant de soi, comme devant faire l’objet de résignation , de combattre avec l’adolescent contre toutes les formes de fatalité sociale, psychologique et scolaire dans lesquelles ils sont en glués, dans lesquelles, ils sont parfois complètement enfermés.
Il faut également changer le regard des jeunes enseignants sur certaines populations afin de permettre une réelle prise en compte de la diversité des publics accueillis.
C) Quelques réflexions concernant les nouveaux enseignants
50% des enseignants vont être renouvelés dans 10 ans qui viennent. C’est un défi important pour le système éducatif.
30 000 Ã 40 000 enseignants vont être recrutés chaque année pendant cette période pour les écoles, collèges et les lycées.
Le professeur recruté en 2004 enseignera, s’il le veut, jusqu’en 2045 et cette année-là , il enseignera à des jeunes qui seront encore au travail en 2100.C’est donc au travers de leur formation initiale et continue, tout le XXIe siècle qui est en cause.
Avant l’identité professionnelle des enseignants se construisait au travers de l’appartenance à un ministère reconnu, au travers de syndicats puissants et d’un réseau mutualiste en situation de monopole.
La situation a changé : les nouveaux enseignants recrutés ces cinq dernières année se vivant plus par rapport à leur affectation locale que par rapport à une appartenance à une structure nationale.
Dans une enquête de la Direction de l’évaluation et de la prospective, les enseignants placent dans l’ordre, comme ressentis comme difficiles :
• les conditions de travail
• les difficultés d’adaptation au niveau des élèves
• l’hétérogénéité des classes
• La distance culturelle entre les attentes des élèves et les savoirs dispensés dans la classe.
Les enseignants de ZEP rajoutent l’indiscipline.
Les jeunes enseignants , notamment ceux d’histoire-géographie ou de Sciences de la vie et de la terre dénoncent : « la manque de respect entre élèves ou l’insolence »
Globalement, les jeunes enseignants du second degré comprennent leur métier comme « transmettre des savoirs, mais aussi éduquer ».
Seuls les agrégés à 92% centrent quasi exclusivement leur conception du métier sur la fonction de transmission.
Les jeunes enseignants du second degré apparaissent en entrant dans le métier accepter de s’adapter aux élèves présents dans leurs collèges ou lycées sans en rabattre sur les exigences. Si, après quelques années, les jeunes enseignants se déclarent aux deux-tiers, satisfaits de leur expérience professionnelle, il semble apparaître au fil de la carrière un sentiment d’usure grandissante dû au comportement des élèves, à la complexité des tâches à accomplir et à la difficulté de les faire tous progresser.
Les jeunes enseignants, dans les différentes enquêtes menées, évoquent très rarement la vocation. Pour le plus grand nombre, leur choix s’inscrit dans leur trajectoire scolaire : « Un moyen de continuer à cultiver une matière qui leur a plu à l’Université et de bénéficier de la stabilité de l’emploi dans un contexte peu favorable aux jeunes.
Les jeunes enseignants acceptent plus que leurs aînés qu’il n’y ait pas une réponse pédagogique, uniforme, valable pour tous.
L’ayant vécu dans leur scolarité, Ã l’inverse des enseignants plus âgés, il considère l’hétérogénéité des élèves comme un état de fait.
Ils se disent prêts dans l’ouvrage de P.Rayou et A. Van Zanten « à s’adapter à leurs élèves, à s’ajuster aux situations, à évoluer en fonction des contextes d’enseignement, à expérimenter des méthodes nouvelles. »
Ils semblent accepter que le métier enseignant ne soit plus un métier solitaire, mais un métier solidaire.
Ils sont moins individualistes que leurs aînés et apparaissent plus ouverts au travail en équipe, à l’interdisciplinarité, à l’harmonisation des pratiques ; ils acceptent de dire leurs difficultés, de demander conseil à leurs collègues……
Cette acceptation d’une action en équipe permettra-t-elle de changer l’école ?
Les mesures prioritaires pour 7 sur 10 des jeunes enseignants sont :
– la diminution du nombre d’élèves par classe
– l’intégration dans le temps de service, d’un temps de concertation pour les enseignants de ZEP.
A l’inverse de ceux du premier degré, les enseignants du second degré jugent insuffisants leur reconnaissance et leur salaire.
Au niveau des perspectives de carrière, ils sont peu attirés par les carrières de l’encadrement. Peu se voit inspecteurs, encore moins se voit chef d’établissement.
Ils optent pour la mobilité horizontale ( du collège au lycée, de la banlieue au centre-ville, Ã la province…) plus que verticale .
20% des jeunes enseignants envisagent à court terme de ne plus enseigner en collège et en lycée, ;
– les deux-tiers pour des postes dans l’Education nationale, notamment dans l’enseignement supérieur
– un tiers vers l’entreprise ou d’autres secteurs de la fonction publique.
Ce pourcentage est tout de même considérable pour des personnels qui viennent d’être recrutés dans leur fonction par concours.
Peut-être, les obligations et les caractéristiques du métier n’étaient-elles pas suffisamment explicites ?
D) Quels éléments de ruptures entre jeunes et anciens parmi les enseignants?
• Il y a moins d’endogamie chez les jeunes enseignants et les relations avec les mutuelles et les associations proches de l’éducation nationale sont , pour eux, beaucoup plus distendus que chez les anciens
• Les jeunes se sentent des professionnels comme les autres sans évoquer comme certains anciens, la vocation
• Les jeunes ne se représentent pas comme membres d’une profession unie . Ils sont moins attachés à l’institution, plus centrés sur le métier, sensibles aux différences liés au x contextes d’exercice
• Les jeunes refusent un certain esprit de corps
• Les jeunes sont moins liés aux syndicats que ne l’étaient les anciens
• Les jeunes sont beaucoup plus méfiants par rapport à tout ce qui apparaît comme des réformes globales.
E) Quelles identités professionnelles des nouveaux enseignants issus de l’immigration et de familles défavorisées ?
Entre 2003 et 2005, l’IUFM de Créteil a recruté comme professeurs des écoles 527 professeurs des écoles issus de l’immigration maghrébine et scolarisés en ZEP pendant leurs années d’école et de collège.
Ce chiffre montre que malgré ses difficultés, l’école joue encore son rôle de promotion sociale dans certains quartiers.
Dans le cadre d’une étude menée en 2004 sur un groupe représentatif de ces enseignants, ils ont exprimé Ã peu près les mêmes angoisses et attentes que les autres nouveaux enseignants.
Sur deux points, leurs réflexions peut nous intéresser ce matin.
« Ils ne se veulent pas être des spécialistes des publics difficiles, mais ils ont une forte conscience concernant leur situation spécifique, leur rôle
Les PE2 étudiés ont une vision assez claire de ce qu’elles ou ils peuvent apporter , compte tenu de leur cursus, Ã leurs élèves :
« Je veux particulièrement aider les jeunes qui sont des élèves en difficulté…Je veux transmettre ce que je sais pour aider les jeunes à progresser. » ( Aldjia 1 )
« Moi qui suis venu de l’étranger en France à l’âge de 8 ans, je veux redonner aux jeunes un peu de ce qu’on m’a donné à l’école française. » ( Sabri)
« Je ne cesse de découvrir la culture française. Il m’arrive d’apprendre aujourd’hui, ce que d’autres français savent depuis tout-petits » ( Djamila)
« Je veux l’école pour tous, donner les moyens de réussir à tous, le petit africain non francophone doit pouvoir aller en fac. Pour cela, il faut être combatif » ( Kheira)
« J’opterai pour enseigner à Montfermeil parce que je suis issu de Montfermeil, sinon Bondy , Bobigny ou des écoles classées ZEP, parce que c’est plus intéressant, on est plus utile. Dans ces quartiers, on a plus besoin de l’école qu’ailleurs. » ( Nadia) . Elle rajoute dans l’entretien cette formule qui montre toute sa détermination :
« J’en veux à l’école de ne pas avoir été efficace par rapport à tous les autres camarades de mon quartier. La majorité n’a pas eu la chance d’avoir le même parcours que moi, c’est injuste ! » . (….)
Les relations parents – enseignants sont citées fréquemment par nombre des professeurs stagiaires étudiés comme un des éléments importants de la crise actuelle du système éducatif en France.
Ils indiquent comme souhait prioritaire concernant la transformation de l’école « la modification des relations école – famille » ( Farid)
« il faut accorder une place importante aux relations avec les familles » ( Rania)
Pour Aldjia 2, les relations parents-enseignants sont un des enjeux majeurs de l’école : « Les enseignants ont peur des parents ; les parents ont peur de l’école. C’est aux enseignants d’arrêter d’avoir de préjugés sur les parents ; ils doivent y compris aller au devant des familles »
II) L’éthique du métier
Il faut permettre au jeune enseignant de se construire une identité professionnelle qui s’appuie sur des savoirs, des savoir faire et des gestes professionnels.
La première étape de la formation initiale des enseignants doit leur montrer que l’enseignant n’est pas uniquement une personne privée, qu’il est investi d’un rôle social qui lui impose et lui interdit certains comportements et que son statut de fonctionnaire ne lui permet pas de se considérer comme un professionnel indépendant.
A) Le problème de l’engagement de soi
Enseigner dans des classes difficiles expose au brouillage des limites entre le relationnel et le pédagogique, le privé et le professionnel.
Pourtant, la mise à distance est nécessaire pour exercer le métier enseignant et ne pas s’yn noyer :
« L’effort d’impersonnalisation ne peut sans doute faire l’objet d’une formation professionnelle tant que le futur enseignant ne s’est pas retrouvé pour de vrai en situation d’enseignement et n’y a pas éprouvé ni le choc du réel, ni les effets en retour.. » ( Jean-Yves ROCHEX, Pourvu qu’ils m’écoutent… CRDP de Créteil).
B) Construire son identité professionnelle, c’est passer d’
• une personne à un personnage
• privée public
• (en démarche) personnelle professionnalisé
• (en ) position (en) posture
• (de) puissance (de) pouvoir ( autorité légitimée par
la fonction)
C) Acquérir une capacité propre d’expertise
« Penser le local » en ayant présent à l’esprit la politique nationale est un enjeu important de l’identité professionnelle des enseignants.
Il faut permettre à l’enseignant le plus tôt possible d’acquérir dans le cadre d’un aller-retour terrain-centre de formation, du développement d’analyse de pratiques, d’acquérir une capacité propre d’expertise fondée sur l’expérience.
D) Les missions de l’enseignant
Une telle réflexion est cadrée par le texte sur les missions du professeur enseignant en collège, en lycée d’enseignement général et technologique ou en lycée professionnel. ( Circulaire du 23 mai 1997 ).Il s’agit , au travers de ce texte , pour l’enseignant d’exercer sa responsabilité au sein, du système éducatif, dans la classe, dans l’établissement scolaire.
L’enseignant dans sa classe exerce ses responsabilités pour mettre en apprentissage les jeunes leur permettre de construire leur réussite.
Il le fait dans ses choix pédagogiques et ses procédures d’évaluation qu’il doit coordonner avec ses collègues et assumer devant les élèves et leurs familles.
Exercer ses responsabilités d’enseignant peut impliquer une collaboration avec les autres personnels de l’établissement ou avec des personnels extérieurs à l’établissement non pour qu’ils se substituent les uns aux autres, mais pour additionner les complémentarités.
Exercer ses responsabilités, ce n’est donc pas supporter tout seul « toute la misère du monde », c’est être à même de disposer de la connaissance des personnes ressources susceptibles par leur professionnalité d’épauler les missions fondamentales de l’enseignant.
La responsabilité enseignante peut être élargie à toute l’équipe des enseignants dans le cadre de la fonction de professeur principal.
E) Les enjeux de l’évaluation
Comprendre les enjeux de l’évaluation dans toutes ses dimensions est extrêmement important pour l’enseignant afin de favoriser la motivation des jeunes.
Il faut travailler l’évaluation dans toutes ses dimensions : diagnostique, formative, sommative, d’être en capacité d’interroger l’actuelle notation, celle qu’un rapport récent de l’Inspection Générale sur « l’évaluation des acquis des élèves » accuse de na pas refléter suffisamment les différents acquis des élèves, mais de simplement présenter le « masque de la moyenne ».
Il s’agit pour l’enseignant de pouvoir prendre en compte chaque élèves tel qu’il est et de ne pas l’identifier, ni le réduire à ce qu’il est , à sa situation, à ses actes, à ses appartenances, ou à l’état présent des ses compétences.
Prendre en compte le collectif de la classe et les rythmes et les démarches de chaque élève, c’est construire un enseignement pour tous et pour chacun, c’est travailler à mettre le possible de chacun…..
F)De la responsabilisation à l’exercice des responsabilités
Un enseignant se doit donc d’être porteur d’une éthique professionnelle, d’une éthique de la responsabilité qui guidera son action dans la classe, dans ses pratiques d’évaluation et qui lui permettra de lier justesse et justice dans ses actes.
Cela lui permettra d’être en posture de conjuguer pratiques dans la classe permettant l’exercice de sa liberté pédagogique en cohérence avec le projet de l’établissement et la politique de l’institution.
C’est au nom de cette éthique responsable que l’enseignant pourra se sentir en capacité d’ oser, de prendre des risques pour adapter son enseignement aux réalités du terrain et mieux mettre les élèves en situation d’apprentissage.
Le travail collectif doit permettre à l’enseignant de mieux assumer ses responsabilités. Il ne s’agit pas pour lui de les aliéner en se réfugiant dans un anonymat qui pourrait lui apparaître plus « confortable ». Etre en capacité d’assumer personnellement les décisions que l’on prend individuellement ou au sein d’un collectif est un des enjeux d’un travail sur la posture enseignante.
III) L’identité professionnelle dans l’établissement scolaire, espace de savoir et de citoyenneté
A) Les obligations de laïcité des enseignants
Les obligations de laïcité des enseignants définissent l’exercice même de la fonction enseignante.
La loi du 30 octobre 1886 sur la laïcisation du personnel enseignant des écoles publiques, celle du 7 juillet 1904 interdisant « l’enseignement de tout ordre et de toute nature aux congrégations », l’arrêt Bouteyre de 1912 « interdisant aux servants d’une religion de pouvoir passer un concours de recrutement d’enseignants » ont défini le cadre des obligations de laïcité des enseignants.
Dans le droit fil de cette réglementation , la circulaire du 12 décembre 1989 a rappelé :
« Dans l’exercice de leur fonction , les enseignants, du fait de l’exemple qu’ils donnent explicitement ou implicitement à leurs élèves, doivent impérativement éviter toute marque distinctive de nature philosophique, religieuse ou politique qui porte atteinte à la liberté de conscience des enfants ainsi qu’au rôle éducatif reconnu aux familles.
L’enseignant qui contreviendrait à cette règle commettrait une faute grave en raison du trouble apporté au fonctionnement de l’établissement . Il serait susceptible d’être immédiatement suspendu dans l’attente d’une action disciplinaire ».
Ce texte est très clair . Il s’agit de tout marque distinctive et les sanctions sont immédiates.
La jurisprudence s’est toujours inscrite dans cette logique pour tous les personnels d’un établissement public en contact avec les élèves . C’est ainsi que le 3 mai 2000, le Conseil d’Etat a approuvé le Rectorat de Reims d’avoir mis fin aux fonctions d’une surveillante qui portait un foulard en indiquant dans cet arrêt très clairement le contenu des obligations de laïcité des enseignants:
« Si les agents du service de l’enseignement public bénéficient comme tous les autres agents publics de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l’accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce que les agents du service public d’enseignement disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses »
Mais les obligations de laïcité des enseignants ne s’arrêtent pas au refus de les voir porter des marques distinctives de nature philosophique, religieuse ou politique. La circulaire du 23 mai 1997 relative aux « missions du professeur exerçant en collège, en lycée d’enseignement général et technologique ou en lycée professionnel » précise :
« Le professeur participe au service public d’éducation qui s’attache à transmettre les valeurs de la République, notamment l’idéal laïque qui exclut toute discrimination de sexe, de culture ou de religion (….) le professeur aide les jeunes à développer leur esprit critique, à construire leur autonomie et à élaborer un projet personnel. Il se préoccupe également de faire comprendre aux élèves le sens et la portée des valeurs qui sont à la base de nos institutions et de les préparer au plein exercice de la citoyenneté. »
La laïcité n’est, bien entendu, pas la neutralité. Elle repose sur des valeurs et des pratiques.
Dès 1908, Jean Jaurès l’avait clairement indiqué :
« La plus perfide manœuvre des ennemis de l’école publique, c’est de la rappeler à ce qu’ils appellent la neutralité et de la condamner par là à n’avoir ni doctrine, ni pensée, ni efficacité intellectuelle et morale. En fait, il n’y a que le néant qui soit neutre. »
La circulaire du 12 décembre 1989 et le décret du 18 février 1991 contiennent tous deux le même paragraphe qui rappelle ce principe qui doit guider l’exercice du métier enseignant :
« L’école publique ne privilégie aucune doctrine. Elle ne s’interdit l’étude d’aucun champ du savoir . Guidée par l’esprit de libre examen, elle a pour devoir de transmettre à l’élève les connaissances et les méthodes lui permettant d’exercer librement ses choix. »
B) Forger un sentiment d’appartenance des élèves à un collectif large en respectant leur diversité culturelle
Les jeunes de nos villes, de nos quartiers, sont souvent devant un « grand écart » d’identités ambivalentes et floues : ni d’ici, ni d’ailleurs.
Tous pourtant, ne se reconnaissent pas toujours par rapport à la globalité de la Ville, souvent une juxtaposition d’espaces où ségrégation sociale et spatiale se mêlent. Ils ont donc tendance à rechercher une culture d’identification en se repliant sur des groupes ethniques, religieux, voire des sectes…
La ghettoïsation de certains quartiers pousse au refus de l’autre et produit donc de la violence.
Quand j’évoque ce phénomène, je pense à tous les ghettos, y compris à ceux des nantis qui, sous divers prétextes plus fallacieux les uns que les autres , refusent l’implantation près de chez eux d’un centre pour handicapés, d’une structure pour toxicomanes ou demandeurs d’asile……
Quand l’école ne fait plus sens , quand des jeunes qu’ils aient décrochés de l’école très tôt , qu’ils aient décrochés des diplômes, se retrouvent au chômage discriminés dans l’accès à l’emploi, un incident peut embraser ces quartiers.
Crise des « terroirs », crise de la nation
De moins en moins de jeunes ( et de moins jeunes) d’une France à plus de 80% urbaine se sentent accrochés, référents à un « terroir ».
Les déplacements de population, les mutations de l’habitat, la dislocation des familles ont rendu de plus en plus problématique la notion de « terroirs » d’origine.
Le(la) jeune d’origine malienne né(e) en France ou arrivé(e) très jeune ,n’est plus une dizaine d’années après ni totalement français, même s’il en a la nationalité, ni totalement africain….
Il est le plus souvent dans une situation instable où il rejette, il oublie ou il fantasme sa communauté de naissance, dont il ne maîtrise plus une partie de ses codes ce qui fait qu’il est le « français » en Afrique noire ou du Nord et « l’africain » ou le « maghrébin » en France…..
Il ne se sent pas non plus inséré , notamment en terme de logements et d’emploi dans une société française qui ne respecte pas toujours les règles qu’elle édicte pour l’accueil des immigrés.
Placé devant ce « grand écart » d’identités ambivalentes et floues , le jeune peut rechercher une culture d’identification qui ne soit ni celle de sa famille, de ses traditions, ni celle du pays d’accueil. Celle-ci peut se forger en dehors de la famille, du quartier , dans une démarche de « retour au religion » ou par l’impact de campagnes publicitaires ou médiatiques.
L’identité de certains jeunes est plus forgée par les médias, notamment par la télévision, que par la mémoire de leur histoire familiale ou par le parcours migratoire, internes ou externes à la France, de leurs familles.
Le choc provoqué par cette crise des « terroirs » est d’autant plus fort que pendant de nombreuses années, la nation dans ses fondements familiaux, idéologiques et religieux a été relativement stable. Elle reposait sur un certain nombre de mythes fondateurs et intégrait non seulement sur ses valeurs universalistes, mais au travers d’institutions comme l’Eglise, le syndicalisme, les partis politiques ou les associations sportives. ( Il suffit de se rappeler du cas des Italiens ou des Polonais).
La société française est donc confrontée à un certain nombre de questions majeures qui relèvent de la représentation d’elle-même, rendent le dialogue inter-culturel plus difficile et rendent ses mythes de moins en moins opérants .( 2 )
Cette refondation du projet national est d’autant plus fondamental que la notion de progrès est mise en cause aujourd’hui par des familles angoissées.
Leur angoisse vient du fait qu’aucune famille n’est à présent assurée que leur enfant vivra mieux que ses parents, ce qui marque une rupture profonde avec les eux siècles précédents où la notion mythifiée, fantasmée, de l’ascension sociale a été un moteur puissant de l’espoir dans le futur.
L’école n’apparaît plus comme l’élément structurant d’un futur réussi quand ceux qui sont exclus précocement comme ceux qui ont mené leurs études jusqu’au bout se trouvent discriminés dans l’accès à l’emploi.
Cette crise de la nation, des composantes de l’identité nationale, ces jeunes qui ne se sentent ni d’ici, ni d’ailleurs , pose d’autant plus question que la France est régi par le droit du sol.
Une telle acculturation par rapport aux valeurs qui fondent le contrat liant tous les êtres vivant sur un même territoire est un défi pour le futur, car pour savoir où l’on va , il faut savoir d’où l’on vient et ce que l’on veut….
Redéfinir le « Vivre ensemble »
Le cadre laïque français peut être le lieu de conciliation de cette double exigence : respecter la diversité culturelle de chacun et forger un sentiment commun d’appartenance. Cette exigence doit être pensé en liaison avec le droit du sol, qui n’existe pas dans d’autres pays européens.
Sur 40 000 enfants nés en France de parents étrangers, il n’y en aura que 500 qui ne deviendront pas français.
Sur 40 000 enfants allemands nés dans ce pays de parents étrangers, seuls 1000 deviendront allemands.
Construire un projet commun pour vivre ensemble est donc un enjeu pour la société. Elle doit se donner les moyens de faire coexister sur un même territoire des individus qui ne partagent pas les mêmes convictions, au lieu de les juxtaposer en une mosaïque de communautés fermées
sur elles-mêmes et mutuellement exclusives. Elle est un moyen de faire coexister des
individus qui ne partagent pas forcément les mêmes convictions.
L’éducation civique, apprentissage de la citoyenneté
Dans ce cadre, l’éducation civique prend tout son sens . C’est une matière essentielle pour mettre en musique des principes et des valeurs : celles de la République.
L’éducation civique n’est pas une matière d’éveil, ce n’est pas un bouche-trou pour « boucler » les emplois du temps, ou une heure supplémentaire utilisée par les enseignants pour leur permettre d’achever des programmes. Elle joue un rôle essentiel dans l’apprentissage du civisme, de la démocratie et de la socialisation de nos élèves.
L’éducation à la citoyenneté ne doit pas être une cerise sur le gâteau, mais être au cœur des apprentissages et un outil de réussite scolaire.
Elle s’adresse à tous les élèves, à tous les établissements et pas uniquement à ceux réputés en difficulté.
Les pratiques de citoyenneté Ã développer
Les pratiques de citoyenneté dans toutes les disciplines doivent donc reposer sur :
• des valeurs non négociables qui sont les fondements d’un fonctionnement social démocratique : : refus du racisme ou du sexisme, respect des droits de l’homme, etc…
• une réflexion sur ce qu’est le bien commun, l’intérêt général, qui n’est pas la somme des intérêts particuliers.
• des pratiques de médiation concernant la gestion des conflits dans un cadre clairement identifié et reconnu par tous les partenaires.
• un apprentissage de l’argumentation, du débat, base de la vie démocratique. La minorité a le droit de conserver ses idées, mais elle doit accepter les lois, les règles, les règlements définis par la majorité.
L’école doit se concevoir comme un lieu :
• de compréhension du monde :
L’élève doit à travers ses pratiques et les savoirs qu’elles dispensent permettre à l’élève de comprendre le monde pour ne pas le subir.
L’école doit se vivre comme un lieu de compréhension, de connaissances des autres cultures , notamment pour faire comprendre à l’élève, la part d’universel que recèle chaque culture.
• d’éducation aux droits de l’homme :
L’éducation aux droits de l’homme est un formidable défi pédagogique. Elle passe par des savoirs, des pratiques, des valeurs et des concepts, des fondements et des problèmes, la confrontation du droit et de la vie sociale, l’approche disciplinaire et interdisciplinaire.
S’approprier la connaissance des droits de l’homme est fondamental dans une perspective d’une quête croissante d’universalité de ces droits basés sur le développement du sujet et l’éthique de la responsabilité.
Eduquer aux droits de l’homme, c’est aussi mettre le jeune en posture d’agir.
S’il est toujours indispensable de proclamer que les êtres humains doivent être libres de perler et de croire, il faut affirmer avec force la nécessité de les libérer non seulement de la terreur, amis de la misère. Il ne suffit pas d’énoncer des droits ; ce sont les femmes et les hommes en tant que citoyens qui s’emparant de ces textes doivent en faire des réalités concrètes.
La lutte contre le racisme, l’antisémitisme, les pratiques discriminatoires est l’affaire de tous et pas des seules communautés concernés.
C’est un enjeu de citoyenneté Ã l’inverse de toute démarche communautaire.
Lutter contre les discriminations et les racismes, c’est aussi pratiquer un travail sur l’histoire, le patrimoine de la nation qui transcende les mémoires familiales.
Prévenir et combattre les racismes
Il est important de voir qu’il n’y a pas de « petits » actes racistes ou antisémites qui pourrait être pudiquement « excusés » ou ne pas faire l’objet de réactions.
Tout acte raciste est un délit, toute parole raciste est condamnable et doit l’être.
Tout amalgame visant à mettre sur le dos d’un groupe ethnique ou religieux , les comportements , les attitudes de quelques-uns du groupe est du racisme et doit être fermement combattu.
L’intolérance, c’est le refus du « Vivre ensemble » mettant en avant ce qui unit pour privilégier ce qui divise , notamment les idéologies et les croyances.
L’urgence absolue est de s’éloigner des réponses communautaires ;des attitudes qui enferment les hommes dans des identités rétrécies et leur substituer la défense, la promotion, la mise ne acte de l’universalité des valeurs de la République.
« Que l’on crache sur un juif parce qu’il porte une Kippa, que l’on ferme la porte du monde du travail à un jeune maghrébin ou à un africain parce qu’il n’a pas la bonne couleur de peau, que l’on discrimine les gens du voyage, la haine, la violence physique ou morale est la même. » ( Mouloud Aoûnit, Libération, 21 mai 2004)
Face à des propos et des attitudes racistes , il est nécessaire :
1) de rappeler que conformément aux lois françaises, le racisme n’est pas une opinion, mais un délit qui peut donner lieu à des condamnations.
2) de mettre fortement l’accent sur l’égale dignité entre toutes les femmes et tous les hommes quels que soient leurs origines ou leurs religions.
3) de combattre tous les préjugés et amalgames qui circulent ici ou là , y compris véhiculés par les média : l’égorgeur est arabe, le comploteur est juif, le voleur est gitan, le fourbe est chinois, le fainéant est noir, l’alcoolique est polonais……On pourrait même rajouter, le jeune de « banlieue » a une casquette à l’envers et ne réussit rien à l’école !!!!!
4) de bien faire comprendre aux élèves que la religion étant une affaire privée, l’appartenance à la communauté nationale n’est pas déterminée par la religion . Quelle que soit sa religion ou son absence de religion, tout jeune né en France est membre de la communauté nationale.
Combattre les discriminations
La lutte contre les discriminations raciales , notamment à l’embauche, pour un
logement ,est plus que jamais un enjeu considérable.
Comme l’a montré le remarquable film de Yamina Benguigui d’octobre 2004 « Le plafond de verre » : la discrimination à l’embauche des jeunes issus de l’immigration est encore plus forte lorsqu’ils sont diplômés. La toute première génération de diplômés issus de l’immigration émerge actuellement sur le marché de l’emploi et constate que malgré ses efforts d’intégration, la discrimination demeure. Le taux de chômage de ces jeunes diplômés est trois fois plus élevé que la moyenne nationale. Comme le constate dans ce film, Philippe Bataille , ancien président du Groupe d’études et de luttes contre les discriminations : « Ce qu’on leur reproche, ce n’est plus de ne pas s’intégrer, c’est justement de s’être intégré. D’être en haut….. ».
« L’égalité inscrite dans les textes de notre belle nation et au fronton de nos hôtels de ville n’est pas forcément de mise dans les faits. « Travaillez bien à l’école aujourd’hui pour avoir un bon métier demain » ne vaut pas pour tous. » ( Le Nouvel Observateur n°2085, 21 octobre 2004)
Dans un article du journal « Le Monde » du 25 janvier 2006 intitulé « Ce que nous avons appris sur les nuits de novembre », le sociologue Hugues Lagrange indique que « Les incendies n’auraient pas eu une telle ampleur si les discriminations et la ségrégation spatiale ne s’étaient approfondies …Les pouvoirs publics ont constamment sous-estimé les effets ravageurs du chômage des aînés diplômés… Ce n’est pas seulement l’ascenseur social qui est en panne, mais le modèle de socialisation : le grand frère qui a fait des études mais se trouve sans emploi met en déroute toutes les bonnes paroles sur la réussite scolaire. »
Il conclut ainsi : « On ne prend pas la mesure des émeutes de novembre si l’on ne se demande pas comment les jeunes des quartiers peuvent reconquérir l’estime de soi. »
Respecter la diversité culturelle
Il est clair que l’enjeu des mémoires est un enjeu décisif dans la construction d’un projet collectif futur.
La nation française, une construction permanente, « un plébiscite permanent » disait Renan doit assumer la diversité, les contradictions de ces mémoires.
De la même manière, que l’Histoire de France a, avec difficulté , assumé la double mémoire de Saint-louis et des bûchers cathares, de Versailles et des dragonnades, elle doit assumer clairement aujourd’hui les crimes de la colonisation comme mettre en lumière les causes du développement des villes portuaires de l’Atlantique grâce à un « commerce triangulaire » reposant sur la mise en esclavage de millions de personnes.
Nous avons suffisamment dénoncé l’histoire « officielle » de « nos ancêtres les gaulois » ou « le mythe national » pour ne pas admettre qu’au XXIe siècle, on en revienne à de tels errements en imposant aux enseignants de « mettre en lumière les aspects positifs de la colonisation » comme le demande l’article 4 de la loi du 23 février 2005.
Nier toute diversité ou pluralité en réaffirmant de façon incantatoire un pacte républicain qui n’a existé que dans la croyance ( et ce terme religieux s’avère parfaitement légitime) de ceux qui en ont la bouche pleine, serait tout aussi dévastateur pour la société française..
La laïcité française d’aujourd’hui est mise au défi de forger l’unité tout en respectant la diversité de la société.
Forger un sentiment commun d’appartenance
L’apprentissage de la citoyenneté dans notre société à cultures et origines diverses suppose qu’on apprenne à vivre ensemble. En articulant unité nationale, neutralité de la République et reconnaissance de la diversité, la laïcité crée par-delà les communautés traditionnelles de chacun la communauté d’affections, cet ensemble d’images, de valeurs, de rêves et de volontés qui fondent la République.
Faire vivre la laïcité, c’est défendre la liberté de conscience, c’est promouvoir l’universalisme et les droits de la personne humaine, .c’est construire un projet collectif approprié par tous, reposant sur un vivre ensemble :
– mettant en avant les valeurs, les savoirs faire, les savoirs qui réunissent et non ce qui peut diviser ;
– qui ne nie pas d’où l’on vient et ce qu’on est , mais qui sache où l’on va et sur quelles valeurs .
Gérer la mixité
Souvent, la dérive communautariste repose sur la crise d’identité déjà décrite de la nation et du territoire où se mêlent ségrégation spatiale et discrimination sociale, mais aussi sur la situation des garçons et des filles:
-Une crise d’identité :
– Du territoire : les jeunes de nos villes, de nos quartiers, sont souvent devant un « grand écart » d’identités ambivalentes et floues : ni d’ici, ni d’ailleurs. Ils ne se reconnaissent pas par rapport à la globalité de la Ville, souvent une juxtaposition d’espaces où ségrégation sociale et spatiale se mêlent. Ils ont donc tendance à rechercher une culture d’identification en se repliant sur des groupes ethniques, religieux, voire des sectes…..
– De la situation garçon/filles : Notre société doit s’interroger sur le fait qu’aujourd’hui , entre 2 et 18 ans, les jeunes vont rencontrer pour travailler avec eux que des femmes : professeurs, chefs d’établissements, assistantes sociales, infirmières, médecins généralistes, employées de préfecture ou de mairie, voire juges, tous ces métiers sont très majoritairement féminins. Au fond, les seuls métiers masculins de proximité sont les policiers…..Cette situation peut entraîner une crise d’identité pour certains garçons qui peut amener certains à manifester leur masculinité par la force et la violence, voire à être tentés par des idéologies rabaissant le rôle de la femme…
De plus, les filles réussissent mieux à tous les niveaux dans le système scolaire. Si près de 15% des garçons ont quelques difficultés à lire ; elles ne sont que moins de 7% de filles. Il y a près de 8 sur 10 au niveau du baccalauréat ; il n’y a que 6 garçons sur 10. Une fille sur deux dans sa génération obtient un diplôme du supérieur ; il n’y a qu’un garçon sur trois. Les filles sont beaucoup moins présentes dans les situations de décrochage scolaire .
C) La nécessaire cohérence de toute la communauté éducative
L’établissement scolaire, espace laïque de savoir et de citoyenneté , doit développer des pratiques de citoyenneté , des initiatives citoyennes, créer des espaces de médiation, d’écoute et de dialogue avec les jeunes et les familles, parce qu’elle a compris que le lien social, déchiré par les inégalités et la crise, se reconstitue aussi dans la solidarité et par l’engagement, que le civisme n’est pas une règle froide et abstraite, mais un apprentissage collectif permanent.
La cohérence de l’action des adultes de l’établissement ( Personnels de direction, d’éducation, enseignants, administratifs, ouvriers, sociaux….) est une nécessité.
Faire que tous les adultes de l’établissement aient un discours cohérent est un enjeu important pour toute la communauté éducative.
Cela implique que chacun, de l’aide éducateur à l’enseignant, du personnel administratif à l’équipe de direction, soit conscient qu’ :
– il faut une cohérence entre le dire des discours et le faire du travail quotidien ;
– il est nécessaire que chacun dans ses activités applique les mêmes règles que l’autre, ait le même seuil de tolérance concernant ce qui est inacceptable, non négociable.
Il est fondamental que l’élève ressente que tout l’établissement, toutes les heures de cours fonctionnent selon les mêmes règles. Les règles fonctionnant dans l’école n’étant déjà pas les mêmes que celles fonctionnant dans la rue, dans la cité ou évoquées dans les médias, il est difficile de pour les élèves de se les approprier, s’ils ressentent que, concernant par exemple les retards , le rendu des devoirs, les injures, il y a une règle en français, une en mathématiques, une en EPS, etc…
Cela ne peut que déstabiliser les jeunes et rendre plus difficile l’exercice du métier enseignant. Cette caractéristique des établissement français où la règle varie souvent selon les enseignants apparaît dans les enquêtes internationales comparatives.
La construction d’un seuil de l’intolérable commun à toute l’équipe éducative implique la construction d’un compromis entre tous les personnels où chacun apporte sa vision mais accepte de pratiquer, dans sa classe, dans son atelier, la loi commune. Il faut se garder de penser qu’un simple consensus sans réflexion de toute l’équipe de l’établissement puisse y suffire.
Le développement d’une véritable communauté éducative regroupant tous les acteurs d’un établissement , quelles que soient leurs origines, leurs philosophies, leurs croyances est le meilleur antidote contre les replis communautaires.
Redonner sens au collectif
Face à une telle situation, il est important que la société s’interroge sur ce qui peut redonner sens à du collectif.
N’avons-nous pas trop rapidement abandonner des rites collectifs ?: La construction de la personnalité, le sentiment d’appartenance à un groupe, à un établissement , à une nation passe par des rites.
S’il n’y a plus aucun rite organisé par la société, ceux-ci passeront par d’autres : la bande, les groupes ethniques ou religieux….
L’appartenance à un collectif est un élément important du Vivre ensemble. Pour dépasser les tensions communautaires, il faut proposer des éléments d’une appartenance collective.
Donner le sentiment qu’on appartient à un collectif doit être au cœur des projets d’établissements …..
L’établissement scolaire public doit se concevoir comme porteur d’un projet collectif approprié par tous, élément d’un projet national collectif.
Le défi de l’école inclusive n’est donc pas d’opposer des cultures , des traditions, mais en partant du principe que chaque culture porte une part d’universel , de donner sans attitude paternaliste ou néo-colonialiste des connaissances à la fois sur l’histoire, la culture des pays d’origine et sur le patrimoine national français et européen afin de forger un sentiment commun d’appartenance qui ne nie pas la diversité des identités .
D) L’enjeu des relations école/famille
Le partenariat école-famille est une relation d’adultes égaux en droits et en dignité qui se doivent un respect mutuel , qui s’épaulent les uns les autres pour la réussite des jeunes.
Dialogue entre adultes ne veut pas dire consensus « mou » permanent , mais peut vouloir dire confrontation exigeante de points de vue contradictoires, frictions qu’il faut dépasser pour qu’elles ne deviennent pas un conflit permanent. Il faut passer d’une situation de défiance à une relation de confiance.
• Respect réciproque :
– des enseignants envers les parents, quels que soient leurs situations, leurs origines sociales, car ils sont responsables de leur enfants ;
– des parents envers les enseignants et les missions qui leur ont été confiées par les autorités.
• Chacun, école et famille, a besoin de l’autre pour mener à bien sa mission ;
L’enseignant doit renforcer l’autorité des parents et réciproquement….
• Construire de bonnes relations parents-enseignants doit se placer dans l’optique d’une meilleure efficacité de l’acte éducatif, donc d’une meilleure réussite du jeune basée sur l’espérance de chacun dans le potentiel de chaque enfant.
• Les enseignants et les parents doivent s’épauler les uns les autres, sans qu’il y ait ni volonté d’être le patron, ni tentation d’instrumentalisation, mais un travail commun sur des objectifs communs.
• Construire de bonnes relations parents-enseignants fait partie des missions des enseignants et de l’exercice de leur métier.
• Il est nécessaire de montrer qu’il qu’il y a diversité des chemins pour parvenir à de bonnes relations parents-enseignants.
• Les familles les plus éloignées de l’école ne doivent pas être jugées comme démissionnaires, mais doivent être respectées et accompagnées. Les enseignants doivent changer leur regard concernant ces familles. Changer de regard, c’est être à l’écoute des familles, faciliter l’expression de leurs besoins, ne pas les stigmatiser, avoir le souci de les rendre plus responsables et plus autonomes.
• Les associations de parents d’élèves doivent être reconnues à la fois comme porteuses d’une expression collective qui n’est pas la somme d’intérêts particuliers et comme médiatrices naturelles entre l’institution scolaire et les familles.
• Le travail avec les familles doit aussi s’inscrire dans l’action pour la responsabilisation et l’autonomie du jeune.
Prendre au sérieux la parole des parents passe en parallèle par une véritable prise en compte de la parole du jeune dans la classe et dans l’école.
En conclusion, l’identité professionnelle des enseignants doit s’affirmer tout au long de la carrière et doit notamment reposer sur trois préoccupations constantes :
• Donner du sens au savoir, motiver le jeune, le mettre en situation d’appétence, lui donner le goût de l’effort
• Travailler en équipe, travailler en partenariat avec son environnement économique, social ou culturel, avoir le souci d’élargir l’horizon culturel des jeunes
• Travailler avec toutes les familles
Des enseignants mieux porteurs d’une identité professionnelle forte, c’est une école , des personnels, des programmes plus légitimes , plus porteurs de sens, affirmant mieux son rôle et sa mission.
La légitimité de l’école ne se décrète pas, elle se construit sur des valeurs vécus, sur la réussite des jeunes, sur une action permanente contre toutes les discriminations.
Construire, susciter l’espoir chez le jeune et sa famille, est un élément de la réussite de l’école et de ses personnels.