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Le web 2.0 un chantier pour l’école, Caroline Jouneau-Sion, professeur de lycée (Rhône)
Le web 2.0, c’est l’interactivité, les échanges d’informations et de contenus multimédia, c’est aussi l’outil de la liberté, de l’expression citoyenne et de la contestation. On comprend donc bien à la fois tout le potentiel de l’internet participatif dans le domaine de l’éducation, mais aussi tous les problèmes que ces outils peuvent poser à l’école. Quels projets l’école doit-elle mettre en oeuvre dans ce domaine, et surtout quelles questions doit elle aborder pour que ces projets soient une réussite, permettent des apprentissages, soient acceptés par tous ?
Premier chantier : Renoncer à la méfiance
Le web 2.0, c’est d’abord l’opportunité d’ouvrir sa classe sur le monde. C’est un moyen d’obtenir de l’information en temps réel et de trouver ce que l’on cherche sans délai. C’est aussi le moyen pour une classe de produire de l’information : interview d’une personnalité via Twitter et publication sur Facebook mais aussi, c’est arrivé, diffusion d’une vidéo diffamatoire. On comprend la réticence des enseignants et de l’institution à s’ouvrir aux réseaux sociaux : comment contrôler l’incontrôlable ? Comment faire que l’ouverture vers le monde ne soit pas l’occasion d’une perte d’attention des élèves ? Comment s’assurer que l’information produite soit respectueuse de chacun ? Comment protéger les élèves de contenus dangereux ? Cela pose la question de la confiance, réglée en général par des filtres et des interdictions, solutions faussement simples et faciles à contourner. Il faut plutôt réfléchir ensemble aux règles d’accès aux réseaux, règles qui doivent être suffisamment souples pour ne pas nuire aux démarches pédagogiques et suffisamment claires pour être comprises et acceptées par tous. Il est nécessaire de donner aux élèves, aux parents et à l’ensemble du personnel de l’établissement une véritable éducation aux médias : les former à la communication sur ces réseaux, à la recherche et au traitement de l’information. Si le chef d’établissement est toujours légalement le directeur de publication de l’établissement, il doit pouvoir, comme le suggère Serge Pouts-Lajus, déléguer cette responsabilité aux personnes ainsi formées et informées, dans une démarche de confiance réciproque.
Deuxième chantier : la place de l’enseignant
L’interactivité des outils du Web 2.0 favorise le travail collaboratif, compétence devenue essentielle dans notre société contemporaine. Rédaction collective d’un texte via Etherpad, suivi d’un projet via un wiki, échange des fichiers, c’est se préparer à l’Internet citoyen et à la vie en entreprise. C’est aussi découvrir que les réseaux sociaux changent notre rapport au savoir. Sur le modèle de Wikipedia, le web participatif permet de construire ensemble le savoir. Sur les réseaux, une question reste rarement sans réponse très longtemps. S. Pouts-Lajus, « Déléguer la direction de publication », Cahiers Pédagogiques n°482, juin 2010, pp.51-52. XXXIIIe colloque national de l’AFAE, École et société : tensions et mutations
Plutôt que de promouvoir un savoir transmis de manière pyramidale des experts vers leur public, internet met le savoir à disposition de tous, diffusé au sein de réseaux dans lesquels chacun peut, à un moment ou à un autre, avoir un rôle d’expert. Mais sur internet se pose la question de la validité de la réponse. Nous avons vécu et enseigné longtemps dans un monde où l’autorité intellectuelle était détenue par celui qui savait, de manière incontestable. Bien sûr parfois, les livres, les cours, les conférences contenaient des erreurs, mais il était difficile pour le commun des mortels de les repérer. Aujourd’hui, confronter les versions de l’histoire ou les théories scientifiques devient plus facile.
Cela a des conséquences non négligeables sur la classe. Les élèves arrivent désormais sinon avec la connaissance, du moins avec la certitude qu’ils pourraient la trouver ailleurs, et que ce qu’apporte l’enseignant est autant sujet à critique que ce qu’on trouve sur internet. Quelle peut alors être la place de l’enseignant, et que peut devenir le geste d’enseigner dans un tel contexte ? C’est l’ensemble des démarches pédagogiques qui doivent être repensées, le cours à sens unique n’étant plus l’unique modèle. L’enseignant doit accepter de n’être plus celui qui sait mais celui qui accompagne chacun dans son appropriation individuelle ou collective du savoir, d’être celui qui institutionnalise ce savoir (co-)construit. Position insécurisante, à laquelle les enseignants n’ont pas été formés, et qui explique une bonne partie de leurs réticences à ouvrir la classe au web 2.0. Ce changement de posture pédagogique n’implique pas cependant d’abandonner les savoirs fondamentaux au profit de compétences extra-scolaires, principalement instrumentales et utilitaires – c’est toujours in fine l’enseignant qui est spécialiste de la discipline – mais d’accepter de s’aventurer sur des terra incognita et peut être de se former soi-même.
Troisième chantier : repenser le temps de la classe
Le web 2.0 modifie également le rapport au temps. Le temps de l’école s’étend au gré des échanges de messages. N’en déplaise à l’État de Virginie, les échanges se poursuivent sur les blogs ou sur Facebook. La ligne entre la sphère du travail de la sphère privée devient floue et demande à être repensée. Il en va de même pour le rythme de travail, la fréquence des échanges. Mme Dupont peut-elle envoyer par courriel un travail pour le lendemain matin, et doit-elle répondre dans l’heure à la sollicitation de Kevin ? Cela suppose de redéfinir le statut des enseignants qui repose aujourd’hui sur un texte écrit bien avant internet, et, à l’échelle de la classe et de l’école, d’établir quelques règles de fonctionnement et de reconnaissance du travail ainsi accompli.
Par ailleurs, dans la classe, cinquante-cinq minutes ne sont souvent pas suffisantes pour mener à bien une tâche complexe qui mêle recherche d’information, coopération, collaboration, mise en forme et publication. Au contraire, une activité qui proposerait de confronter, à propos de la révolte en Egypte, l’information diffusée via Twitter à celle que publient les journaux en ligne ne prend pas une heure. De plus, cette forme d’enseignement induite par les outils du web 2.0, démarches d’investigation et autres méthodes de pédagogie active, rend souvent caduc le cloisonnement entre les disciplines. La structure horaire de l’emploi du temps et le découpage des enseignements sont donc un autre obstacle à la diffusion du web 2.0 dans les pratiques de classe. Comment repenser l’emploi du temps de façon à répondre à la diversité des situations de classe, dans un usage pédagogique des réseaux sociaux qui peut aller de l’apprentissage du vocabulaire à la résolution de tâches complexes ?
L’État de Virginie s’apprête à interdire les relations profs-élèves via Facebook et SMS, d’après LEMONDE.FR, 10 janvier 2011
http://media.education.gouv.fr/file/01_janvier/26/9/Rythmes-scolaires-resume-rapport-de-synthese-janvier–
2011_167269.pdf
XXXIIIe colloque national de l’AFAE, École et société : tensions et mutations .Les chantiers sont encore nombreux. On pourrait évoquer le nécessaire débat d’éthique autour des traces qu’on demande aux élèves de laisser sur internet, et de l’usage qui est fait de celles-ci ; discuter également de la nature des outils qu’on met à disposition des élèves, et de bien d’autres sujets encore. Le web 2.0, par sa structure horizontale et multidirectionnelle, par la vitesse de son évolution, interpelle une école hiérarchisée qui a une multitude de questions à se poser avant d’être sûre de son fait. Mais si l’École attend pour entamer ce chantier d’en avoir tous les plans, il se pourrait bien qu’à trop attendre, on assiste à un divorce entre une génération et son école.
Caroline Jouneau-Sion, professeur de lycée (Rhône)